Centres-autos et constructeurs sur un pied d’égalité
Cela fait maintenant plus de dix ans que l’Union européenne a renforcé la libre concurrence sur le marché de l’entretien automobile en France et dans tous ses pays membres. Datée du 1er juillet 2002, la circulaire communautaire autorisant les automobilistes à faire entretenir leurs véhicules ailleurs que chez leur concessionnaire peine pourtant à s’ancrer définitivement dans les mœurs. Selon les statistiques du Gipa, société spécialisée dans les études sur l’après-vente automobile, 38 % des Français pensent encore qu’ils perdraient leur garantie en allant ailleurs que dans leur réseau constructeur. Un chiffre qui monte même à 46 % chez les possesseurs d’un véhicule de moins de 2 ans, encore très “maternés” par leur concessionnaire. Autrement dit, il aura fallu plus de dix ans pour que seulement deux tiers des conducteurs français prennent conscience de leur bon droit. Certains s’en contenteront, préférant voir le verre à moitié plein. D’autres, au premier rang desquels la Fédération des syndicats de la distribution automobile (Feda) et la plupart des réseaux de fast-fitters, se battent pour qu’il n’y ait plus le moindre doute dans la tête des clients. Yves Riou, délégué général de la Feda, le concède : “Quand bien même les choses ont évolué dans le bon sens ces dernières années, il y a un mauvais message qui est encore véhiculé autour de ce sujet.” Dans la ligne de mire de la Fédération se trouvent les constructeurs. Soucieux de conserver leurs clients après leur avoir vendu un véhicule, ces derniers n’hésitent pas à jouer sur les mots. Directeur marketing et communication de Speedy, Julien Dubois explique leur stratégie : “Le message est aujourd’hui très problématique. Les constructeurs adoptent une attitude défensive en entretenant le flou, non pas sur le fond de la mesure où tout est clair, mais sur son interprétation. Dans le doute, certains automobilistes n’osent pas quitter leur concessionnaire.”
Une opportunité pour se diversifier
Si la plupart des réseaux de centres-autos concèdent que le problème tend à se résoudre – les marques craignant de plus en plus des sanctions de la part de Bruxelles, comme cela a pu être le cas chez certains de nos voisins (Kia en Suède, par exemple) –, la Feda reste mobilisée. Alors qu’elle encourage les automobilistes à faire jouer la concurrence avec sa campagne “Libérez-vous des idées reçues”, elle se montre aussi vigilante et a demandé, via le projet de Loi Hamon relatif à la Consommation, à ce que soit ajoutée une mention exprimant ce droit dans tous les carnets d’entretien des véhicules neufs. Une mesure qui fera foi en cas de problème, et qui clarifiera un peu plus les choses pour les fast-fitters. Ces derniers sont d’ailleurs plus que jamais en mesure de tenir tête aux marques. Car si la situation demeure imparfaite, l’introduction dans leur offre de la garantie constructeur préservée (GCP) a profondément changé leur visage, mais aussi la perception des clients. Passés en dix ans de “réparateurs rapides” à “garagistes compétents”, ces derniers ont très vite compris tout l’intérêt qui était le leur en respectant les règles de la GCP. C’est notamment le cas de Point S, spécialiste du pneumatique devenu spécialiste à part entière de l’entretien automobile. “Nous avions la volonté de changer les codes en diversifiant notre activité avec notamment l’entretien rapide, note Thierry Marmouget, directeur d’enseigne. La révision constructeur allait dans ce sens et constituait une opportunité pour notre développement.” Une volonté de diversification partagée par First Stop qui s’attelle toujours à sortir du pneumatique, une spécialité devenue un carcan, dans une période de crise économique. Directeur produit entretien et réparation de l’enseigne, Christophe Vollant estime d’ailleurs que cette offre est un “formidable levier, car c’est un gage de crédibilité aux yeux de nos nouveaux comme de nos anciens clients. Cela démontre que nous sommes capables de réaliser un service d’entretien complet, identique à celui des constructeurs.” Un service qui aura tout de même nécessité la mise en place d’un processus de formation interne et le renouvellement des outils.
Service identique… et moins cher
“L’arrivée de la garantie constructeur préservée était pour notre enseigne une opportunité de monter en puissance, explique Philippe D’Hartoy, directeur marketing et achats de Midas. Nous avons procédé à une formation complète de nos équipes aux nouvelles procédures, ainsi qu’aux nouveaux outils de diagnostic.” Afin de sacraliser la démarche, Point S est même allé jusqu’à certifier ses centres. “Aujourd’hui, 237 de nos points de vente sont labellisés. C’est un processus réalisé en interne, qui prend un certain temps. Nous espérons atteindre les 350 centres dès cette année”, détaille Thierry Marmouget. Pour soutenir au maximum leurs employés, les enseignes proposent également une aide (par hotline ou par Internet) en cas de doute ou de litige. Une manière de s’exonérer du moindre problème, toutes expliquant, à tort ou à raison, ne jamais avoir eu la moindre remontée de client mécontent. Profitant d’un savoir-faire calé sur les standards des constructeurs et bénéficiant de toutes les informations sur leurs véhicules (comme le veut la réglementation), les fast-fitters ont très vite rencontré un certain succès auprès des automobilistes les plus au fait de la loi. Un succès difficile à quantifier, mais facile à expliquer. Plus que de leur rendre leur liberté, la garantie constructeur préservée constitue surtout une très bonne chose pour le porte-monnaie des automobilistes. Une étude de l’UFC Que Choisir, parue en septembre 2012, montre que les réparations et les révisions coûtent en moyenne 22 % plus cher dans le réseau constructeur que dans un centre-auto. Cela ne suffit pas forcément à détourner les clients de leur concessionnaire – par la force de leur contrat d’entretien et du flou persistant –, mais constitue un argument de poids pour les réseaux d’entretien. Midas l’a bien compris. L’enseigne, implantée en France depuis 1976, en a d’ailleurs fait l’un de ses thèmes de campagnes publicitaires favori. Derrière le slogan “La révision, pourquoi payer plus cher si Midas peur le faire ?”, celle-ci se positionne clairement en “défenseur des automobilistes et de leur budget”, comme le résume Philippe D’Hartoy.
Une clientèle élargie
En proposant un service identique mais nettement moins cher que celui des marques, les fast-fitters ont vu, au fil du temps, la typologie de leurs clients évoluer. Pendant longtemps dévolus aux véhicules en fin de garantie et aux plus anciens, la “nouvelle distribution” a été témoin d’un rajeunissement de son parc. Midas constate ainsi que, désormais, 12 à 15 % des véhicules entretenus ont moins de 2 ans, alors que Speedy traite à présent 20 % de véhicules de moins de 4 ans. Des résultats bien plus importants qu’il n’y paraît. Parallèlement, une clientèle plus haut de gamme, adepte des marques Premium (que les concessionnaires savent particulièrement chouchouter), n’hésite plus à venir dans ces centres. Certains d’entre eux “viennent avec une voiture de 6 ou 12 mois pour une prestation pneumatique”, relève Christophe Vollant, de First Stop. De là, l’enseigne se sert de l’argument GCP pour “convertir ces nouveaux clients pneumatiques en clients fidèles qui viendront demain pour de l’entretien”. Une logique partagée par Speedy, qui entend même aller plus loin pour conquérir de nouveaux clients. Ainsi que l’explique Julien Dubois, l’enseigne souhaite “s’adresser à tous les types de véhicules, ceux sous garantie, mais aussi les autres”, une manière de ne pas perdre ce qui a pendant longtemps constitué son fonds de commerce, tout en ayant “la volonté de capter des véhicules plus jeunes, tels que ceux des flottes, au-delà du pneumatique”. Au final, il en ressort une chose. Si l’introduction de la garantie constructeur dans les enseignes d’entretien ne s’est pas réalisée du jour au lendemain, ni sans rencontrer le moindre accroc, celle-ci est aujourd’hui gage d’un certain nivellement entre les différents acteurs. Après leur avoir permis de se diversifier, de se renouveler ou encore de se renforcer, cet argument de vente est désormais synonyme de crédibilité. Nonobstant le conflit latent entre les deux sphères, qui s’amenuise toutefois, l’automobiliste apparaît aujourd’hui comme le grand gagnant, autant en termes de prix et de choix que de prestation. Ne reste désormais plus qu’à le lui faire savoir.