Cor Baltus (Figiefa) : "Des décisions déterminantes pour l'avenir de l'aftermarket indépendant"
Vous avez été nommé à la présidence de la Figiefa en juin dernier. Quelles seront vos missions prioritaires à ce poste ?
Cor Baltus : Tout d'abord, il faut comprendre que notre industrie entre dans une phase décisive. Beaucoup de décisions seront prochainement prises à Bruxelles et elles seront déterminantes pour l'avenir de l'aftermarket indépendant. Je pense notamment à l'accès aux données des voitures connectées, à la cybersécurité ou encore au règlement d'exemption par catégorie pour le secteur. Pour en revenir à votre question, l'une de nos priorités est de faire en sorte que les adhérents de la Figiefa reflètent la composition actuelle de notre marché. Ce que je veux dire par là, c'est que les membres historiques de la Figiefa étaient jusqu'ici les fédérations nationales, à l'instar de la Feda pour la France. Il y a cinq ans, les groupements internationaux – à l'image d'Autodistribution International, Temot, ADR, etc. – ont rallié nos rangs. Aujourd'hui, nous voyons émerger de grands groupes internationaux très dynamiques. Ces acteurs prennent une place de plus en plus importante, affichant des chiffres d'affaires compris entre 1 et 2 milliards d'euros, voire plus. Ils sont représentés par les fédérations nationales et la plupart d'entre eux sont également membres de groupements internationaux, mais je pense qu'il est important que la base des membres de la Figiefa reflète davantage cette structure de marché. C'est notre principale priorité.
Où en êtes-vous dans votre combat pour l'accès aux données du véhicule ?
Nous avons progressé de manière assez positive sur ce sujet. Il y a encore quelques années, les constructeurs automobiles affirmaient qu'aucune législation n'était nécessaire dans ce domaine. Avec le véhicule étendu, il est effectivement possible de collecter ces données qui sont mises à la disposition des opérateurs indépendants. Mais ces derniers, ainsi que de nombreux acteurs du marché (flottes, compagnies d'assurance, etc.), ne sont pas satisfaits de cette situation et se posent encore beaucoup de questions, en particulier sur le coût et les délais d'accès à ces données, ou encore sur l'égalité de traitement avec les concessionnaires. C'est pour cette raison que nous revendiquons une législation adaptée, et Bruxelles l'a enfin compris. Au départ, la Commission européenne n'était pas vraiment disposée à légiférer, mais elle est finalement arrivée à la conclusion que ce sujet devait être réglementé. Courant 2020, elle a commandé une étude pour mettre au point un premier projet de législation. À cette fin, un organisme appelé TRL (Transport Research Laboratory), qui est une société de conseil basée au Royaume-Uni, a consulté l'ensemble des parties prenantes (constructeurs, opérateurs indépendants, assurances, etc.) avant de livrer ses premières conclusions à la Commission européenne. Il reste encore plusieurs étapes à franchir, mais il est évident qu'une réglementation sera mise en place pour s'assurer de l'équité des règles du jeu pour l'accès aux données. Je suis donc assez optimiste.
Un mot sur la cybersécurité : craignez-vous que les constructeurs profitent de cette menace pour restreindre les droits des réparateurs indépendants ?
Oui, c'est une possibilité. Je pense que le risque est encore plus grand qu'avec l'accès aux données automobiles. Nous devons donc nous en préoccuper. En effet, la stratégie des constructeurs en matière de propriété des données pourrait rendre impossible l'utilisation de pièces provenant de fournisseurs indépendants, qui pourraient être rejetées pour des raisons de "sécurité". Mais c'est un sujet un peu particulier puisqu'il concerne l'ONU, ce qui le rend, dans une certaine mesure, nouveau pour nous. Aujourd'hui, nous sommes représentés à la Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEEONU), organe compétent sur les questions de mobilité, et nous entendons y faire valoir nos droits.
Le principal risque autour de la cybersécurité pèse, selon moi, sur les fournisseurs. Aujourd'hui, les acteurs du marché de la rechange peuvent choisir parmi une dizaine, voire une vingtaine de fournisseurs différents pour chaque gamme de produits. À l'avenir, en raison de la complexité de la technologie, je pense que seul un nombre limité de fournisseurs seront en mesure de proposer une offre complète de produits – en particulier ceux reliés à la sécurité du véhicule, pour lesquels le nombre de fournisseurs risque de se réduire.
La France vient enfin d'ouvrir partiellement l'accès au marché de la pièce de carrosserie aux acteurs de la réparation indépendante. Porterez-vous ce combat au niveau européen pour harmoniser cette réglementation entre les États membres ?
C'est un peu surprenant de constater que de nombreux domaines sont désormais harmonisés ou bénéficient d'une législation européenne, tout en laissant encore la possibilité aux États membres de jouir de certaines exceptions… Oui, nous profiterons de cette avancée obtenue par la Feda en France pour demander une harmonisation de cette ouverture du marché de la pièce de carrosserie en Europe. Les pays bénéficiant d'une industrie automobile forte ont toujours été tentés de préserver les intérêts de leur filière. C'est donc un sujet sensible, surtout en France et en Allemagne. Cette victoire importante de la Feda représente par conséquent une véritable opportunité pour la Figiefa d'obtenir enfin un cadre réglementaire commun pour les différents marchés européens.
L'industrie automobile fait face à des innovations technologiques majeures ces prochaines années (connectivité, électrification, etc.). Êtes-vous confiant sur la pérennité de la réparation indépendante ?
Oui, nous avons plusieurs raisons de nous montrer confiants. Sur le sujet de l'électrification, par exemple. Si on observe la Norvège et les Pays-Bas, deux marchés où l'électrification du parc automobile est plus avancée que dans le reste de l'Europe, nous constatons un grand intérêt de la part des opérateurs indépendants, qui veulent habiliter leurs ateliers et obtenir des formations pertinentes pour leurs équipes. La filière de la rechange indépendante met donc tout en œuvre pour être prête à entretenir ces véhicules. On entend souvent que le marché de l'après-vente risque de chuter d'environ 50 % avec l'électrique. Mais ces chiffres ne correspondent pas à ce que nous observons aujourd'hui aux Pays-Bas : le chiffre d'affaires généré par l'entretien du parc électrique n'est que de 20 % inférieur au parc thermique.
Au-delà de cet aspect, je ne pense pas que le véhicule électrique sera la seule solution aux défis environnementaux actuels. L'achat de ces voitures représentera encore dans les prochaines années un coût trop important pour de nombreux automobilistes. Je crois davantage aux motorisations hybrides, qui permettront de résoudre en partie le problème de la qualité de l'air dans les grandes agglomérations. En outre, pour l'aftermarket indépendant, ces véhicules représentent une solution beaucoup plus intéressante.
Quelles sont les autres actions en cours menées par la Figiefa ?
Notre éventail d'actions est assez large. Nous avons évoqué les sujets des droits de la propriété industrielle, de l'accès aux données et de la cybersécurité, qui sont tous déterminants pour la Figie-fa. Mais il y a d'autres dossiers qui sont tous aussi importants pour nous. Je pense, par exemple, à l'accès à information technique pour l'entretien et la réparation des véhicules électriques. Certains constructeurs automobiles semblent croire que le cadre réglementaire européen ne s'applique pas à ces modèles… Nous avons donc un combat à mener sur ce sujet. Nous veillerons également à la mise en œuvre du règlement sur l'homologation des véhicules qui prévoit le maintien du port OBD, qui avait été menacé par les actions de certains constructeurs.