Flavie Vonderscher (HOP) : "Lutter contre le risque de la fast-fashion automobile"
Quelles sont les conséquences de l'obsolescence accélérée dans le secteur automobile que vous dénoncez dans votre récente enquête ?
Flavie Vonderscher : L'obsolescence accélérée a un impact direct sur les consommateurs et leurs finances. Les véhicules sont coûteux et, en cas de défaillance, certaines pièces peuvent être très chères à remplacer, car elles ne sont pas réparables. Ce qui entraîne bien souvent la mise au rebut de ces voitures. L'impact environnemental est également important, notamment avec les véhicules électriques, qui perdent leur objectif initial de réduction des émissions de gaz à effet de serre en raison de la difficulté à réparer les batteries. Cela concerne aussi les véhicules thermiques, où l'électronique introduit le risque d'obsolescence logicielle.
Ces deux aspects, financiers et environnementaux, sont particulièrement préoccupants. Ce qui complique encore la situation, c'est le manque de transparence sur les pratiques des fabricants. Lorsqu'on achète un véhicule, il est difficile de savoir si, par exemple, la batterie est conçue pour être réparable. Cette opacité alimente les doutes des consommateurs. Même si notre rôle, en tant qu'association de défense des consommateurs et de l'environnement, est de les informer, nous manquons de moyens pour identifier précisément quels véhicules ou équipements sont concernés.
J2R : Est-ce que tous les véhicules électriques sont sujets à l'obsolescence accélérée ?
F. V. : Actuellement, le problème ne concerne pas tous les véhicules électriques, mais une certaine catégorie, notamment ceux dont les batteries ne sont pas réparables. Pour réduire les coûts de production et proposer des modèles premium à des prix relativement abordables, à moins de 40 000 euros, certains constructeurs conçoivent des batteries peu durables. Au lieu d'être assemblés de manière à pouvoir être remis en état, les composants sont collés, ce qui empêche la réparation des modules individuels en cas de dysfonctionnement. Ce qui pose un problème majeur, car une batterie représente environ 40 % du prix d'un véhicule électrique. Si elle tombe en panne, le consommateur pourrait avoir à payer une somme équivalente pour son remplacement. De plus, la batterie est l'élément le plus polluant d'un VE, et son remplacement par une neuve augmenterait donc son impact environnemental.
J2R : Les nouvelles technologies favorisent-elles l'obsolescence dans le secteur automobile ?
F. V. : Il ne faut pas blâmer systématiquement les nouvelles technologies, mais plutôt certains fabricants. HOP ne remet pas en question l'utilité de ces innovations. Cependant, elles n'améliorent pas la durabilité des véhicules. La durée de vie moyenne d'une voiture est actuellement de 19 ans mais, avec ces nouvelles pratiques, rien n'indique que les véhicules modernes atteindront cette longévité.
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Par exemple, la "sérialisation", qui consiste à lier un composant au numéro de série du véhicule, pourrait compliquer la réparation et le remplacement des pièces. Si cette tendance se généralise dans l'automobile, cela risque de freiner la seconde vie des véhicules.
J2R : Les constructeurs limitent-ils l'accès aux pièces de rechange pour encourager l'achat de véhicules neufs ?
F. V. : Il est difficile d'affirmer que les constructeurs le font systématiquement. Mais nous craignons que les consommateurs ne puissent plus facilement accéder à ces pièces, ni trouver un garage de proximité pour effectuer leurs réparations. Cette inquiétude, que nous avons soulevée dans nos travaux, s'explique aussi par l'absence d'une obligation légale, que ce soit en France ou en Europe, imposant la disponibilité des pièces détachées pour les véhicules. Ce n'est pas le cas, par exemple, dans le secteur du multimédia, où des règles existent pour garantir la mise à disposition des composants sur une certaine durée. Si rien n'est fait à l'échelle européenne, le risque existe de se diriger vers une fast-fashion de l'automobile, avec des voitures peu réparables qu'il faudrait remplacer après seulement dix ans. Ce serait un échec total par rapport à l'objectif initial des véhicules électriques, qui est de réduire les émissions de CO2.
J2R : Comment HOP agit-elle pour contrer ce problème ?
F. V. : En tant qu'association de défense des consommateurs, HOP produit et diffuse du savoir. Notre rapport sur l'obsolescence accélérée dans l'automobile permet de sensibiliser sur ce sujet crucial non seulement les consommateurs, mais aussi les décideurs politiques, notamment les députés européens. L'objectif est de souligner l'importance de la lutte contre l'obsolescence accélérée, tant pour les consommateurs que pour l'environnement. Nous menons donc des actions de plaidoyer au niveau européen. La Commission européenne a fait une proposition de règlement pour encadrer la circularité et la fin de vie des véhicules, et le Parlement devra se prononcer à cet égard.
Nous militons pour l'interdiction des batteries non réparables sur le marché européen. Nous souhaitons aussi que les fabricants soient obligés de fournir des pièces détachées et d'assurer la maintenance logicielle des véhicules pendant au moins vingt ans. Bien que l'impact soit plus significatif au niveau européen, nous encourageons également l'État français à se mobiliser sur cette question, afin qu'il joue un rôle pionnier dans la promotion de la durabilité des véhicules.
J2R : Comment sensibilisez-vous les consommateurs et réparateurs à ces pratiques ?
F. V. : Nous avons réalisé notre rapport en toute indépendance, en interviewant des témoins très divers, des réparateurs, des acteurs de la distribution automobile comme la Feda, des fabricants et des équipementiers. La question des réparateurs s'est posée parce qu'il y a un vrai besoin de formation dans ce domaine. Les garages doivent suivre cette évolution. Les voitures électriques nécessitent des compétences très spécifiques, différentes de celles requises pour les modèles thermiques, et c'est un défi supplémentaire.
Du côté des consommateurs, nous avons lancé une pétition car ce sujet suscite une réelle préoccupation citoyenne. C'est un enjeu majeur puisque près de 90 % des ménages en France possèdent un véhicule. C'est donc une question d'intérêt public. Concernant les constructeurs, il est difficile de dire s'ils ont déjà entrepris des démarches inverses à l'obsolescence accélérée. Certains d'entre eux, qui émergent sur le marché, peuvent favoriser cette obsolescence pour proposer des prix plus attractifs.
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D'autres, avec des pratiques de durabilité bien établies, pourraient être tentés de les suivre pour rester compétitifs. C'est un risque majeur de contagion sur le marché européen, y compris pour les constructeurs historiques, qui se retrouvent tiraillés entre leur savoir-faire en matière de réparabilité et la pression de la concurrence. C'est pour cette raison qu'il est urgent d'agir, avant que ces pratiques se généralisent. Légiférer est essentiel pour prévenir la propagation de l'obsolescence accélérée dans le secteur automobile.
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Bio express
Titulaire de deux masters (l'un en droit, l'autre en politiques publiques à AgroParisTech), Flavie Vonderscher a entamé sa carrière professionnelle au sein d'une collectivité territoriale. Elle a rejoint l'association HOP en tant que responsable du plaidoyer de l'association, il y a un an et demi.