TRIBUNE - La bataille des motorisations à hydrogène
L'Union européenne a imposé aux constructeurs de diviser par 36 les émissions de NOx entre la norme Euro 0 et Euro 6. La norme Euro 7 obligera une nouvelle fois à diviser ces émissions par 2, ce qui incite les constructeurs et fournisseurs à rivaliser d'ingéniosité, notamment grâce à des motorisations plus vertueuses en termes environnementaux.
Parmi elles, la motorisation purement électrique nécessite, pour la batterie, l'utilisation de métaux précieux (lithium, cobalt, etc.), ce qui génère une pollution à l'extraction des minerais, à la fabrication et au recyclage.
La pile à combustible (PAC) exige, elle aussi, des matériaux rares, mais les nouvelles technologies à venir garantissent un usage moindre de ces ressources. Des études sur de nouvelles formes de PAC sont en cours avec, entre autres, une technologie de PEM (proton exchange membrane) tubulaire qui augmenterait le rendement tout en diminuant poids et encombrement. Autre piste : le moteur à combustion interne. Un temps abandonné pour l'utilisation de l'hydrogène, il revient en force avec Toyota, qui expérimente une version hydrogène de sa Yaris GR.
Adaptation sur moteur diesel ou essence ?
Historiquement, le moteur à combustion interne est la première solution qui avait été envisagée pour l'hydrogène, notamment par BMW, sans grand succès. Lors de ses essais sur une Série 7, le constructeur avait observé une forte baisse de la puissance de 400 chevaux en version essence, réduits à 260 lors de l'utilisation de l'hydrogène.
À ce jour, c'est la seule expérimentation de bicarburation concernant l'hydrogène et l'essence. Des essais sont en cours sur un système d'injection d'hydrogène dans un moteur diesel. Les ratios sont importants, car l'utilisation d'un carburant mixte avec 90 % d'hydrogène et 10 % de diesel diminuerait les émissions de CO2 de plus de 85 %… Cette adaptation reste en cours de développement.
Spécificités mécaniques pour l'adaptation
Le fonctionnement du moteur à combustion interne hydrogène est comparable aux motorisations essence actuelles. La principale différence réside dans l'obligation d'augmenter la masse d'air entrante dans le véhicule, afin de ne pas générer de polluants. Les modifications sont importantes avec le changement de tout l'équipage mobile (pistons et bielles) et des culasses pour supporter les contraintes liées à l'utilisation de l'hydrogène en tant que carburant.
On le trouve aussi dans des applications diesel, plus principalement dans le transport industriel (bateaux, poids lourds, avions…). Dans ce cas précis, un mélange de diesel et d'hydrogène sera utilisé. Les résultats sont des plus encourageants, avec des émissions de CO réduites de 85 %. Là encore, des éléments mobiles ont été modifiés. Le moteur à combustion interne à l'hydrogène peut donc fonctionner aussi bien en auto-inflammation qu'en allumage commandé.
Quelles contraintes ?
La principale contrainte réside dans la vitesse et la température de combustion du mélange air/hydrogène. Concernant la vitesse de combustion de l'hydrogène, le front de flamme se déplace plus rapidement que dans le cas d'un moteur à énergie fossile. Cette combustion dégage une chaleur bien moindre, ce qui posera un problème sur la suralimentation. En effet, un turbo a besoin d'une quantité d'énergie non négligeable pour entraîner la turbine.
L'énergie perdue pendant la phase d'échappement est moindre et, ne dégageant pas assez de poussée, elle n'est pas suffisante pour entraîner la turbine. Côté admission, il est nécessaire de gaver le cylindre en air afin de garantir un bon dosage air/carburant et, si la turbine n'a pas assez d'énergie pour comprimer les gaz à l'admission, l'usage d'un turbocompresseur n'a plus d'intérêt. Porsche a opté pour un turbo électrique qui permet de souffler l'air d'admission à la pression voulue.
Concernant les culasses, on portera une attention particulière aux alliages, car l'hydrogène est le premier élément du tableau périodique, ce qui en fait un gaz particulièrement léger et avec un volume très faible, lui permettant de s'insérer dans les moindres interstices d'un alliage. Cela oblige les constructeurs à repenser la chambre de combustion afin de la rendre étanche aux diverses sollicitations, que ce soit pour l'alimentation en gaz ou sa combustion. En effet, la finesse de la particule d'hydrogène a tendance à provoquer des faiblesses sur les alliages habituellement utilisés, et notamment l'aluminium.
Des nouveautés pour le moteur thermique à hydrogène
Pourtant, Toyota (entre autres) réactive cette voie. Leader de l'hybridation depuis la sortie de la première génération de Prius, le constructeur est aussi le premier à avoir sorti une deuxième génération de son véhicule hydrogène : la Mirai. Fort de ce succès, il s'est lancé dans le perfectionnement de ses moteurs thermiques permettant l'utilisation d'hydrogène.
D'autres constructeurs de moteurs ont continué les recherches avec, entre autres, le retour du moteur Wankel. Pour rappel, ce moteur avait fait l'objet d'un abandon du fait de températures d'échappement élevées. Or, dans le cas d'une carburation à l'hydrogène, la température d'échappement est plus basse, ce qui pourrait favoriser le retour de ce type de moteur. Une amélioration de ce moteur Wankel est en cours de développement chez Mazda, qui avait déjà tenté une association mécanique-carburant en 2003, avec son concept RX-8 Hydrogen RE, sans rencontrer un franc succès (30 exemplaires produits).
Notons aussi les travaux d'Aquarius Engines, entreprise israélienne qui a dévoilé en 2014 une première version de son moteur linéaire à piston libre avec un double allumage. Il a pour atout de bénéficier d'une conception simple avec peu de pièces et surtout, un seul élément mobile garantissant un minimum de perte. Aquarius Engines annonce passer de 15 % de perte par frottement sur un moteur thermique à seulement 2 % avec cette technologie. Son coût de fabrication bas et sa facilité d'entretien par rapport à un moteur classique lui offrent de belles perspectives.
Moteur à combustion interne ou pile à combustible ?
Le débat fait rage aujourd'hui, même si la plupart des constructeurs s'orientent vers une PAC, car cette technologie a déjà été éprouvée, notamment par Toyota avec la Mirai. Cette technologie a pour particularité d'avoir un rendement assez faible, même si elle est en constante augmentation au fil des améliorations de la conception des piles à combustible. L'utilisation de matériaux rares dans la conception des piles ne plaide pas en sa faveur même si, une fois de plus, les technologies évoluent afin de maîtriser et de diminuer l'emploi de ces métaux précieux.
Contrairement à la pile à combustible, le moteur à combustion interne est une technologie maîtrisée depuis près de 170 ans et ne nécessite pas ou peu d'utilisation de métaux précieux, ce qui lui confère un avantage. Mais les retours sur les moteurs thermiques fonctionnant à l'hydrogène étant rares et peu documentés, il est fort probable que la pile à combustible truste ce marché en plein développement…
Cela étant, les constructeurs n'ont pas dit leur dernier mot et n'entendent pas mettre au rebut un moteur thermique auquel ils ont consacré de considérables investissements tout au long au siècle dernier.