L’Anea pourfend les idées reçues autour de l’IA
L’expertise d’un sinistre automobile pourra-t-elle être déléguée à une machine dans un avenir plus ou moins proche ? Telle était la problématique développée par l’Anea lors de son dernier symposium, au cours duquel elle a officialisé sa transformation en FFEA. "Il est important de décloisonner tous les acteurs de la réparation-collision, de se mettre tous autour de la table, pour comprendre les enjeux finaux de l’intelligence artificielle (IA) pour nos clients assureurs et usagers, pour leur délivrer le meilleur service", explique François Mondello, président de l’Anea.
Le développement de la photo-expertise et des portiques de scan de carrosseries semblent annoncer la fin des experts automobiles. Parallèlement, les assurances missionnant ces mêmes experts pourraient être tentés d’en faire l’économie en s’appuyant sur la puissance des algorithmes.
Autant d’hypothèses très en vogue mais dont la réalité de la sinistralité automobile reste encore très éloignée selon l'Anea. "L’objectif de ce symposium était notamment d’écarter les fantasmes autour de l’intelligence artificielle, de réaliser un état des lieux de cette technologie et de ce qu’elle peut nous apporter. Car, nous ne sommes pas opposés à l’IA", précise François Mondello. Une tâche fixée à l'observatoire du Map, filiale de l'Anea.
Technologies concrètes et fantasmées
Les échanges lors de ce symposium ont été précédés d’une intervention de Renault Vedel, coordonnateur national pour l’IA. Le stratège en chef de la R&D française en la matière à d’abord exposé ses enjeux stratégiques mondiaux (en recherche, économie, industrie…). "Sa diffusion comme outil peut transformer des modèles économiques", prévient-il. Dans cette course technologique, la France est positionnée derrière les USA, la Chine, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais, elle précède notamment l’Espagne, l’Inde, le Brésil et la Russie… Et ce, grâce à certaines start-ups spécialisées dans le transport et ses infrastructures. "Face à ces enjeux autour de l'IA, il est fondamental de poursuivre le décloisonnement entre pouvoirs publics et entreprises pour dialoguer", souligne Xavier Horent, délégué général du CNPA. L'incubateur de cette dernière organisation (le Moove Lab) accueille précisément plusieurs pépites travaillant sur ce type de technologie.
Les experts auto étaient nombreux à assister à l'introduction de Renault Vedel, coordonnateur national pour l’IA. ©NG/J2R.
"Il existe deux points de vue sur l’IA : les technologies concrètes décrites par le rapport Villani et celles fantasmées dans Wikipédia", poursuit Stéphane Canu, enseignant et chargé de mission à l’enseignement supérieur. Ce dernier a présenté un exposé plus pratique sur "l’IA qui fonctionne et celle qui ne marche pas", en prenant exemple sur des technologies automobiles bien connues. A ce jeu, l’Autopilot de Tesla bat le système de conduite autonome de Waymo (à Phoenix, USA). Pourquoi ? Grâce au traitement de données plus nombreuses (fournies par les clients du fabricant) et à une meilleure gestion de l’éducation ("deep learning") de l’IA. Mais à la fin, le vainqueur reste encore très loin d’égaler l’intelligence humaine et d’accéder à la capacité de conduite autonome du véhicule.
Limites légales intangibles
Côté réparation-collision, le constat est peu ou prou identique. "A l’occasion de la crise Covid aux USA, les Américains sont passés de 15 à 75 % d’expertises non-humaines", annonce Stéphane Penet, directeur général adjoint de la Fédération française de l’assurance. "Mais la culture et la réglementation n'y sont pas les mêmes que chez nous. En France, nous établissons un lien très fort entre la réparation et la sécurité, à laquelle est donnée une très grande importance". A quelques exceptions près, le chiffrage via l’IA en est encore au stade expérimental. Par exemple, il permet de réduire (à quelques secondes) certaines opérations (longues de cinq à 20 minutes) grâce au traitement de l’image. Mais, toujours pas de révolution à l’horizon.
D’après Stéphane Penet, "l’IA permet de chiffrer plus rapidement et plus justement". Ce second point fait grimacer certains experts. Mais c’est finalement la représentante de la Prévention routière qui rappellera la limite intangible de la loi. "Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ne peut ni se substituer à l’œil humain pour le suivi du dossier et le chiffrage, ni à l’expert, dont la responsabilité est toujours engagée", martèle Marie Gautier-Melleray.
Une marge d’erreur plus ou moins importante, pourrait pousser l’IA à imposer une méthodologie ou un chiffrage inadapté prévient François Mondello. "Le débat contradictoire expert-réparateur repose notamment sur la singularité du dossier et l’équipement de l’atelier. Par exemple, nous modifions presque toujours les évaluations des logiciels de chiffrage", rappelle-t-il. Pour remplacer entièrement le travail de l’expert, l’IA devra savoir distinguer dommages récents et plus anciens sur le véhicule. Elle doit aussi estimer la valeur du véhicule, en suivant des critères compliqués, comme l’usure, etc.
Aide à la décision
Pour atteindre ce niveau, l’IA devra absorber et correctement exploiter d’énormes quantités de données d’expertise en "deep learning". Un point particulièrement sensible, pour les experts qui ne sont pas prêts à livrer sans contrepartie leurs informations à des systèmes "éduqués" pour les remplacer. A contrario, ils se montre plus intéressés par d’éventuels nouveaux outils développés grâce à l’IA. Ceux-ci leur permettraient d’apporter de nouveaux services.
"En 2016, on promettait les premiers véhicules autonomes pour 2021. Aujourd’hui, cette perspective est repoussée à une date indéterminée", rappelle Stéphane Canu. L’enseignant ajoute : "Aujourd’hui, je ne crois pas une seule seconde que l’IA remplace les experts automobiles, mais elle va les aider dans leurs décisions".
Cela, d’autant plus que la mission de l’expert comprend son monopole sur la procédure VGE – qu’il lance et à laquelle il met fin – alors que l’IA spécialisée reste encore attachée au chiffrage, sans intégrer la sécurité des personnes. Pour les spécialistes présents, très peu de métiers disparaîtront à cause de l’IA, mais beaucoup vont changer. La cobotique (coopération homme-machine) devrait davantage se répandre. Mais les experts entendent bien rester attentifs à ce qui se passe dans les autres marchés internationaux, en particulier les plus avancés sur ce sujet.