Le débosselage fait son trou
Tout est parti des Etats-Unis. De Saint-Louis (Missouri) précisément. C’est là, dans la cité qui a vu grandir Joséphine Baker, qu’est né le débosselage en 1983 avec la création de la société Dent Wizard US et de sa technique du DSP, le débosselage sans peinture. Importée en France à la fin des années 90, l’activité est restée en sommeil pendant longtemps, jusqu’à ce que les assurances, voilà quatre ans, finissent par la reconnaître comme une spécialité à part entière de la réparation automobile. Ce faisant, le marché s’est considérablement ouvert pour devenir, aujourd’hui, l’un des plus porteurs et l’un des plus séduisants pour les professionnels du secteur. Aussi paradoxal soit-il, ce développement ne s’est pas accompagné d’une augmentation des formations spécialisées. Sur un marché en pleine croissance, tous les prétendants n’ont d’autre choix que de se tourner vers Brunie Institut pour se spécialiser. Une structure installée près de Bourges, à Saint-Martin-d’Artigny, créée de toutes pièces par Jean-Jacques Brunie, non pas par opportunité, mais par nécessité : “En lançant Exel Cars, ma société de prestations de service de débosselage, à la fin des années 90, il n’existait aucune formation de ce type en France. J’ai donc décidé de créer Brunie Institut dans l’unique but, à la base, de former mes propres employés.” Face à la demande grandissante et aux nouvelles opportunités que proposait le marché, Jean-Jacques Brunie a fait le pari d’ouvrir son institut à tous les prétendants. Un choix salvateur, tant celui-ci ne désemplit plus. Sur une année, le centre accueille en moyenne 200 élèves, tout autant séduits par la qualité de la formation dispensée, que par sa flexibilité. Pour coller au plus près aux besoins de chacun, Brunie Institut propose quatre formules différentes pour un coût variant de 980 à 5 800 euros TTC. Du module initiatique, sur quatre jours, jusqu’au stage de perfectionnement, pendant un mois non-stop, en passant par la formule de perfectionnement (une semaine) ou celle réalisée en partenariat avec le GNFA (trois jours par mois pendant trois mois), la formation se veut à la portée de tous.
Un métier d’indépendants
Une volonté qui se corrèle avec les faits. Si la plupart des candidats possèdent comme dénominateur commun d’être déjà des professionnels de la réparation, les motivations et les profils diffèrent. Laurent, nettoyeur automobile en Bretagne, évoque ainsi “une opportunité de se diversifier” pour expliquer son choix. “J’ai pris connaissance de cette formation grâce au bouche-à-oreille. Après réflexion, je me suis lancé en me disant que c’était un bon complément d’activité avant, pourquoi pas, de m’y consacrer à 100 % par la suite.” Dans le même genre, certains élèves se retrouvent là sur proposition d’un patron soucieux de bénéficier d’un expert en la matière dans leur structure. Originaire de Suisse, pays où il n’existe aucun centre de ce type, Yvan fait partie de ceux-là : “Cette formation m’a été conseillée par mon employeur. Il sait que la demande ne cesse d’augmenter et que le potentiel chez nous est important, alors il avait besoin de quelqu’un capable de gérer ce type d’intervention. J’ai très vite accepté car, personnellement, c’est aussi un bon moyen de compléter ma formation.” Un exemple qui n’a rien d’étonnant, tant les garages prennent peu à peu conscience de l’avantage qu’ils peuvent dégager de cette spécialité. Partenaire du Groupement national pour la formation automobile (GNFA), Brunie Institut multiplie les missions de montée en compétence en se déplaçant dans les entreprises pour réaliser des initiations, des remises à niveau ou des perfectionnements. “Les patrons ne se laissent plus berner. C’est plus rentable pour eux de faire former quelqu’un que de sous-traiter et de perdre du temps en faisant appel à un prestataire extérieur”, explique Jean-Jacques Brunie.
Mais sa société reçoit également de plus en plus de professionnels soucieux de monter leur propre affaire. Tout droit débarqué de son île de la Réunion natale, Yannick réfléchissait depuis longtemps à devenir indépendant. Tout en restant les pieds sur terre, ce dernier avoue que les perspectives du débosselage l’ont motivé à parcourir ces milliers de kilomètres pour rejoindre Bourges : “Je suis actuellement salarié dans un garage Peugeot, mais je compte me mettre à mon compte. Je sais que, chez moi, le débosselage est peu connu et qu’il y a des opportunités. Je suis conscient de l’exigence que demande ce métier et il me paraît impensable de ne pas être formé avant de me lancer.” Sans croire à la poule aux œufs d’or, nombreux sont les élèves à s’imaginer un avenir dans le costume du patron. “Et c’est normal, étaye Jean-Jacques Brunie. Le débosselage est avant tout un métier d’indépendants. Nous-mêmes, avons modifié notre politique. Il y a encore deux ans, nous étions 35 dans la société contre moins de 10 aujourd’hui. Nous préférons sous-traiter et avoir sous la main une force de frappe extérieure.”
Le succès aussi… dans les outils
Un succès et des avis qui en feraient presque oublier la complexité du métier de débosseleur. Cette difficulté, Brunie Institut l’enseigne avec de la théorie, un peu, et de la pratique, beaucoup, dans la mesure où tout se joue dans la répétition des gammes et le travail de la vue pour arriver à un résultat parfait. Car c’est bien toute l’ambiguïté du travail de débosseleur : évaluée en pourcentage, la réparation demeure aisée dans 80 % des cas. Un chiffre jugé satisfaisant pour un carrossier et qui explique que beaucoup se limitent à la formule d’initiation. Les 20 % restants, eux, s’avèrent invisibles ou presque, à l’œil d’un non-professionnel. “Tout se joue au micron”, note Jean-Jacques Brunie. Une difficulté qui peut très vite devenir “entêtante, selon Yannick, le Réunionnais. Il faut vraiment aimer ce que l’on fait car, pour résoudre le moindre détail, il faut être costaud dans sa tête”.
En parallèle de la formation et du savoir-faire à acquérir, une grande partie de l’échec ou de la réussite d’une intervention est à mettre au crédit de l’outillage. Des tiges à bout rond ou plat, de multiples formes et tailles, conçues par Jean-Jacques Brunie lui-même. A l’instar de la formation, ce dernier a fait le constat, en lançant Exel Cars, qu’il n’existait pas d’outils spécialisés. “On a donc créé ExelTools qui, là encore, n’avait pas vocation à dépasser notre propre cadre”, détaille le chef d’entreprise. Le succès aidant, ExelTools a fini par être commercialisé. Produite 100 % “Made in France”, cette gamme d’outillages qui compte plusieurs dizaines de références, mais aussi des lampes conçues spécialement pour détecter les ultimes imperfections de la carrosserie, est distribuée partout dans le monde. Europe, Etats-Unis ou encore Australie profitent désormais des créations de Jean-Jacques Brunie, qui estime qu’il est possible de s’équiper complètement pour environ 5 000 euros, un budget jugé “raisonnable”, à l’heure de monter sa propre affaire.
Un futur centre en Allemagne ?
Un investissement limité, qui explique en grande partie le succès d’ExelTools. Alors qu’aujourd’hui, l’outillage représente un chiffre d’affaires comparable à ceux du débosselage et de la formation, Jean-Jacques Brunie ne cache pas ses ambitions sur un marché aussi porteur que rentable et souhaite y consacrer, à l’avenir, une grande partie de ses efforts. Reste que l’identité formatrice de sa société est à présent bien trop établie pour être laissée de côté. Sauf que son développement ne dépend désormais plus entièrement de Brunie Institut. Plus tout jeune sans être vraiment mature, le débosselage vit aujourd’hui pleinement son adolescence. Et les nombreuses interrogations inhérentes à cette période. La première d’entre elles concerne l’entrée, ou non, de cette spécialité dans les écoles. Si Brunie Institut remplit pleinement son rôle, le développement de l’activité devra passer par les écoles. Jean-Jacques Brunie détaille la situation : “Pour nous, la prochaine étape consistera à former des professeurs qui eux-mêmes diffuseront ce savoir dans les CFA via des modules initiatiques.” Si la pratique du débosselage demande un minimum de savoir-faire technique et ne peut donc réellement prétendre à un cursus dédié dans des écoles, l’idée est davantage, par leur biais, de susciter des vocations. De surcroît, dans un secteur essentiellement pratiqué par des trentenaires et des quarantenaires. “Clairement, on a un problème de génération. Il faut aller plus loin que les gens que l’on forme actuellement, soit en se disant que ces derniers se tourneront peut-être plus tard vers le monde de l’enseignement et diffuseront ce qu’on leur a appris, soit en touchant les plus jeunes.” L’autre grande question que se pose le secteur concerne directement son fonds de commerce. Comment évolueront à l’avenir les carrosseries ? Le plastique est-il amené à se généraliser, mettant, de fait, fin au métier de débosseleur ? “L’avenir de notre profession dépend aussi des constructeurs et des partis pris technologiques qu’ils vont prendre, note Jean-Jacques Brunie. Le potentiel du débosselage est énorme, mais repose fortement sur les matériaux utilisés.” Malgré ces quelques incertitudes, tous les voyants sont aujourd’hui au vert et devraient permettre à Brunie Institut de grandir encore un peu plus. Si l’ouverture d’un nouveau centre en France n’est pas envisagée, ailleurs, en revanche, l’idée prend tout son sens. Sensible à l’activité de débosseleur, l’Allemagne pourrait très bien accueillir dans le futur un centre de formation. “Nous avons déjà une clientèle sur ce marché et on sent bien que l’intérêt pour notre formation grandit, donc c’est effectivement envisageable”, confirme Jean-Jacques Brunie. Si la grêle et le mauvais temps demeurent ses meilleurs alliés, force est de constater que le débosselage vit actuellement une période plutôt ensoleillée.