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Distributeurs

Poids lourd : un marché qui ne cale pas

Publié le 20 novembre 2025
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Par Mohamed Aredjal
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7 min de lecture
Alors que le transport routier tourne au ralenti, la maintenance poids lourd tire son épingle du jeu. Portée par le vieillissement du parc et la recherche de solutions plus économiques, la filière s’adapte à marche forcée. Face aux incertitudes du secteur, c’est dans les ateliers que le transport trouve encore son souffle.
Face au vieillissement du parc roulant, le réseau AD Poids Lourds mise sur sa marque Isotech qui ne cesse de s’étoffer. Elle devrait s’enrichir d’une gamme filtration et de balais d’essuie-glace courant 2026. ©Autodistribution
Face au vieillissement du parc roulant, le réseau AD Poids Lourds mise sur sa marque Isotech qui ne cesse de s’étoffer. Elle devrait s’enrichir d’une gamme filtration et de balais d’essuie-glace courant 2026. ©Autodistribution

Le moteur du transport tourne au ralenti.  Les indicateurs du Comité national routier (CNR) traduisent un affaiblissement durable de l’activité du transport routier de marchandises (TRM) : -0,2 % au deuxième trimestre, après une baisse d’un point au trimestre précédent.

Les immatriculations de véhicules industriels se sont, quant à elles, contractées de 17 % sur les huit premiers mois de l’année, signe d’un marché prudent, marqué par un attentisme généralisé. Les coûts d’exploitation, eux, continuent d’augmenter.

Malgré le repli du prix du gazole (-7,7 % en moyenne annuelle), les dépenses de maintenance progressent de 2,7 %, l’entretien et l’AdBlue pesant toujours davantage sur les comptes d’exploitation. Les coûts de détention du matériel roulant, gonflés par la hausse des primes d’assurance, bondissent de 4 %. Dans le même temps, les salaires et charges des conducteurs augmentent de 2 %.

Dans ce climat morose, les réparateurs et distributeurs poids lourds résistent, mais non sans inquiétude. Mobilians, qui représente la branche des services de l’automobile, alerte sur un contexte réglementaire jugé "instable et imprévisible". "Parmi les raisons profondes du ralentissement de nos activités, les incertitudes réglementaires pèsent lourd", souligne l’organisation.

Les ZFE, la future norme Euro 7, l’éventuelle écotaxe poids lourd ou encore les interrogations sur la fiscalité des biocarburants nuisent à la visibilité des entreprises de la filière. À cela s’ajoutent la hausse des taxes foncières et la réduction des aides à l’alternance, autant de freins à la reprise.

Le vieillissement du parc dope l’activité dans les garages

Ce ralentissement de l’activité pour la filière transport se traduit directement dans les ateliers. Moins de renouvellement de véhicules, plus d’entretien : le vieillissement du parc représente une perspective positive pour les professionnels de l’après-vente. De nombreux transporteurs prolongent la durée de vie de leurs véhicules, renonçant à investir dans du matériel neuf.

Résultat : l’âge moyen des poids lourds a atteint 9,4 ans en 2025, selon les données du Service des données et études statistiques (SDES). "Des clients ressortent d’anciennes remorques : on voit réapparaître des marques comme SMB ou ROR. Des entreprises remettent en route du matériel ancien rénové et ont besoin de pièces pour le faire tourner", constate Benoît Migeon, directeur général du réseau TVI.

Dans les centres du groupement, ce mouvement entraîne le retour de familles de produits quasiment disparues, comme les roulements ou les joints spi. L’usure du parc ne se traduit pas seulement par une hausse des réparations mécaniques. Les besoins se diversifient et les gammes techniques montent en puissance : liaison au sol, embrayage, filtration, environnement moteur. Les capteurs NOx, filtres à particules ou composants d’air comprimé enregistrent de fortes progressions.

Face à cette évolution, le ton est à l’optimisme, en particulier chez TVI. "J’ai fait le bilan des neuf premiers mois de l’année : environ les trois quarts du réseau TVI sont à +11 %. C’est une belle progression, notre activité est soutenue", salue Benoît Migeon. "Le parc vieillit, il y a du travail en atelier, des camions à remettre en état. Les véhicules réparés sont en grande partie ceux d’entreprises en compte propre : elles conservent leur flotte plus longtemps."

Pourtant, cette dynamique tranche avec celle du négoce de pièces, où la tendance reste plus mesurée. Selon le baromètre de la Feda, le segment poids lourd n'affiche qu'une progression de 0,9 % sur les 9 premiers mois de l'année. Ce qui laisse penser qu’en dépit du vieillissement du parc roulant, les difficultés rencontrées par les sociétés de transport n’épargnent pas non plus le marché de l’après-vente.

"Le marché progresse, mais ce ne sont pas des croissances à deux chiffres. De notre côté, on enregistre une hausse de 3 à 4 %. Après, c’est bien de faire du chiffre, encore faut-il que les clients nous payent. Et on s’aperçoit que c’est de plus en plus difficile pour eux en ce moment", témoigne Guillaume Faurès, directeur de l’activité poids lourd d’Autodistribution.

Chez Alliance Automotive Group, Cyril Blazere, directeur commercial France poids lourds, dresse un constat similaire, rappelant que la réparation est pénalisée par la pénurie de techniciens : "Le marché reste effectivement compliqué. [...] De notre côté, nous distinguons deux volets d’activité : la vente de pièces, qui progresse, et les ateliers, où nous rencontrons des difficultés de recrutement."

Les MDD et les gammes alternatives gagnent du terrain

Dans un marché où les tensions économiques se font plus fortes, les grands acteurs de l’après-vente poids lourd redéfinissent leur offre. La première tendance marquante reste la montée en puissance des marques de distributeur (MDD) et des gammes alternatives. C’est le cas chez Alliance Automotive, où les produits Napa séduisent de plus en plus de clients.

La marque représente désormais entre 13 et 15 % du chiffre d’affaires poids lourd du groupement. "La progression de Napa s’explique par plusieurs facteurs complémentaires. Tout d’abord, le vieillissement du parc poids lourd joue un rôle déterminant. Les transporteurs qui exploitent des camions de plus de 5 ans recherchent des solutions d’entretien plus économiques", affirme Cyril Blazere.

Autodistribution suit le même chemin avec sa marque Isotech. Cette dernière a enregistré une progression de 40 % en 2024 du fait de l’élargissement de l’offre, qui compte désormais 1200 références PL, contre 300 il y a trois ans. Elle devrait s’enrichir d’une gamme filtration et de balais d'essuie-glace courant 2026.

"Des clients qui, il y a encore quatre ans, ne juraient que par l’OEM et la pièce d’origine, cherchent désormais à réduire leurs coûts. Ils sont plus enclins à discuter", note Guillaume Faurès. "Sur certaines familles comme le freinage, la gamme Isotech a connu des croissances à deux chiffres. Sur les coussins, elle représente déjà 60 % de notre mix."

Du côté de TVI, si on ne dément pas le succès de ces marques alternatives, le réseau a adopté une approche différente : pas de MDD maison, mais un élargissement maîtrisé de l’offre économique via ses équipementiers.

"Nous allons chercher chez nos équipementiers leurs gammes économiques pour nous développer, comme nous le faisons avec Wabco via Provia, et le marché répond bien", explique Benoît Migeon.

L’économie circulaire trouve sa place dans les ateliers

Autre signe que le transport est en quête de solutions alternatives pour la maintenance des flottes : l’économie circulaire s’impose de plus en plus comme une évidence pour les constructeurs, les distributeurs et les réseaux multimarques.

Pourtant, la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 a étendu la responsabilité élargie du producteur (REP) aux deux-roues, trois-roues et quadricycles à moteur, oubliant les poids lourds. Une lacune que les acteurs du marché tentent de combler par leurs propres initiatives.

Aujourd’hui, plus des trois quarts des poids lourds arrivés en fin de vie quittent le territoire pour être réutilisés, principalement vers l’Europe de l’Est et l’Afrique, où ils poursuivent une seconde vie. Hors véhicules accidentés, moins de 25 % du gisement potentiel est traité en France, essentiellement par des centres spécialisés dans les poids lourds hors d’usage et des récupérateurs de métaux.

Un manque de structuration évident, mais aussi une opportunité pour les industriels et les réseaux souhaitant développer des offres de pièces remanufacturées ou de réemploi.

C’est notamment le pari de Renault Trucks, pionnier en la matière. Le constructeur a ouvert en 2022 à Vénissieux (69) sa première usine consacrée au démantèlement et à la revalorisation des camions en fin de vie. Baptisée Used Parts Factory, cette installation de 3000 m² accueille des véhicules âgés ou fortement kilométrés, dont certaines pièces conservent un fort potentiel de réutilisation.

AAG France compte environ 320 points de service, répartis entre 120 G-Truck, une centaine de MP-Truck et une centaine de Top Truck. ©Alliance Automotive

AAG France compte environ 320 points de service, répartis entre 120 G-Truck, une centaine de MP-Truck et une centaine de Top Truck. ©Alliance Automotive

Les moteurs, boîtes de vitesses, cabines ou parechocs sont démontés, nettoyés, étiquetés et réintégrés dans le circuit de la rechange sous le label Used Parts by Renault Trucks. Ces pièces bénéficient d’une garantie constructeur et sont revendues entre 50 et 60 % moins cher que les neuves.

Précisons que ce site complète le centre de la marque à Limoges, dédié au remanufacturing (moteurs, filtres à particules, systèmes d’échappement). Grâce à ces deux sites, environ 20 % des pièces Renault Trucks vendues en après-vente sont aujourd’hui issues de l’économie circulaire, avec un objectif de 30 % à l’horizon 2030.

Mais ce mouvement touche également la distribution indépendante. Chez Alliance Automotive Group, la réflexion est engagée autour du développement d’une offre Back2Car spécifique au poids lourd.

"Aujourd’hui, Back2Car s’adresse à 99,9 % au monde du VL, mais les équipes étudient la faisabilité d’une offre dédiée au poids lourd. Nous en sommes encore au stade de la réflexion, mais il est probable qu’à court terme, nous développions une gamme Back2Car PL", confie Cyril Blazere.

Main-d’œuvre : la panne structurelle

Si l’économie circulaire se fait donc une place grandissante, le principal défi de la filière reste aujourd’hui humain. Les réseaux comme les indépendants souffrent d’un déficit chronique de techniciens, d’autant plus criant que la demande reste forte. "Une quinzaine de postes de mécaniciens poids lourd restent ouverts. Quand on sait ce que représente en chiffre d’affaires un poste de mécanicien, et la marge qui y est associée, c’est un vrai frein", regrette Cyril Blazere.

Le constat est identique chez TVI, où le manque de bras en atelier pèse lourd sur l’organisation. "Le point le plus sensible concerne les managers, qui assurent la transition et portent la charge. Quand il manque des bras, soit ils mettent la main à la pâte, soit ils encaissent les critiques ; ils sont en première ligne et souvent les plus démoralisés", constate Benoît Migeon.

Face à cette problématique structurelle, Autodistribution s’efforce de structurer des réponses durables. "Certaines régions demeurent très compliquées : il n’est pas rare d’attendre jusqu’à six mois avant de trouver un technicien. Pour y faire face, nous avons diversifié nos canaux de recrutement et modernisé notre communication, notamment sur les réseaux sociaux. Nous poursuivons également notre partenariat avec l’Isaac de l’Étoile, qui accueille actuellement sa quatrième promotion : huit jeunes y suivent une formation de 14 mois en alternance entre l’école et nos ateliers", explique Guillaume Faurès.

La sensibilisation des équipes, désormais considérées comme "premiers recruteurs", participe aussi à ce travail d’attractivité. Mais la pénurie ne se limite pas aux techniciens : elle touche aussi les magasins, maillon essentiel de la chaîne. "Un magasinier gère les appels clients, l’approvisionnement de l’atelier, la logistique, la réception et la garantie. Ces postes manquent cruellement. Le problème, c’est la filière : il n’existe quasiment pas de voie dédiée", déplore le patron de TVI.

Entre transition technologique et adaptation des compétences

La transition énergétique ajoute un nouveau niveau de complexité dans les ateliers poids lourds. Si les motorisations GNV, électriques ou hydrogène peinent encore à s’imposer dans les flottes, leur montée en puissance est inéluctable.

Elle transformera profondément les savoir-faire en maintenance, et la structure même des ateliers. Les chiffres du CNR en témoignent : les coûts de maintenance des véhicules GNV ont progressé de 2,8 % sur un an, notamment en raison de la technicité croissante des interventions et de la rareté des compétences qualifiées.

Dans les ateliers, l’entretien des systèmes antipollution – filtres à particules, capteurs NOx, circuits AdBlue – est déjà devenu une spécialité à part entière. Les véhicules électriques de nouvelle génération accentuent cette tendance : diagnostic haute tension, gestion thermique des batteries, surveillance des systèmes de charge, etc. Autant de domaines qui exigent des techniciens formés, certifiés et parfaitement outillés.

Les réseaux du constructeur, tout comme ceux des indépendants, doivent désormais intégrer des protocoles stricts de sécurité et d’habilitation électrique. À terme, la maintenance d’un véhicule industriel électrifié ne ressemblera plus guère à celle d’un moteur diesel classique.

Les réseaux indépendants, eux, se préparent à leur rythme. Pour ces ateliers traditionnellement centrés sur la réparation mécanique, l’enjeu est considérable : il s’agit d’accompagner la mutation technologique des camions tout en préservant la rentabilité des opérations quotidiennes. C’est une certitude, le métier de réparateur poids lourd entre dans une ère nouvelle, où la compétence devient la première énergie.

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