Le marché de la distribution a encore de l'avenir
En dépit des soubresauts du marché de l'après-vente automobile, la distribution reste une gamme phare de produits dans les garages. "La prestation fait toujours partie du top 5 chez le réparateur", confirme Arnaud Pénot, directeur marketing et expérience client de bilstein group France. "Le marché est stable mais porteur, encore en hausse d'environ 1 % en 2021, peut-être un peu plus."
La famille de produits a cette qualité d'être présente sur un marché d'usure et non de panne. Naturellement, alors que le parc n'en finit plus de vieillir, avec un âge moyen dépassant désormais les 11 ans, c'est une aubaine pour la rechange.
Ce n'était pas forcément prévu, mais on peut l'expliquer par la baisse du pouvoir d'achat, l'attrait grandissant des véhicules d'occasion ou encore le ralentissement de la productionpoursuit Arnaud Pénot.
Gilles Brechenmacher, directeur commercial de ContiTech France, abonde : "L'augmentation du parc VO favorise forcément le taux de change des pièces, et notamment au niveau de la distribution. Le véhicule acheté a déjà un certain nombre de kilomètres au compteur, auquel l'automobiliste va en rajouter, et très vite, il va devoir changer la courroie." Une tendance qui pénalisera peut-être la première monte, "mais les Français utilisent encore beaucoup leur véhicule, et la rechange continuera donc de pouvoir y trouver un business", selon Anaïs Le Fouler, responsable de gamme Powertrain chez NTN.
Au sein de cette large famille, deux tendances se distinguent pourtant. "Il faut distinguer le système distribution du système auxiliaire, détaille ainsi Bertrand Bouglé, directeur automotive replacement chez Gates France. Le volume des courroies de distribution baisse chaque année, car les recommandations constructeurs ont allongé les intervalles de remplacement. En revanche, le kit de courroie d'accessoire progresse et porte le marché."
Un phénomène assez récent, quand le kit distribution est, lui, bien installé sur le marché français depuis de nombreuses années. En 2021, ContiTech a lancé son kit de courroie d'accessoire avec pompe à eau. "Nous l'avons développé pour que le garagiste prenne l'habitude de tout changer, et pas seulement la courroie, justifie Gilles Brechenmacher. C'est aujourd'hui le produit dont les ventes augmentent le plus. La courroie en bain d'huile, quant à elle, démarre doucement."
L'essor de la chaîne
Une autre pièce fait de plus en plus parler d'elle : la chaîne. À l'inverse de la courroie, elle est destinée à durer tout le cycle de vie du véhicule. La rechange pourrait donc en pâtir.
La proportion chaîne/courroie évolue assez peu pour le moment. Certains constructeurs orientés courroies testent des motorisations avec chaîne, mais l'impact sur le marché de l'après-vente n'est pas conséquenttempère Bertrand Bouglé.
Arnaud Pénot, qui présume que 70 % des véhicules sortant d'usine d'ici à 2024 pourraient être équipés d'une chaîne, soutient que les garagistes ont des prestations à effectuer. Il développe : "Les constructeurs préconisent de contrôler la chaîne de distribution tous les 120 000 à 150 000 kilomètres. En commercialisant son kit de chaîne il y a six ans, bilstein group a lancé un programme de formation pour expliquer aux réparateurs que certes, la chaîne ne se casse pas, mais que tous les éléments périphériques le peuvent, qu'il faut changer l'huile, etc."
Les progressions sont donc plus importantes sur les produits les plus récents. Chez NTN, la gamme Powertrain a le vent en poupe avec des ventes en croissance de 10 % en 2021. "Une hausse plus significative que sur des gammes plus matures", commente Anaïs Le Fouler.
Un contexte bien géré
Dans son ensemble, l'activité a donc rapidement repris son rythme de croisière après le confinement du printemps 2020, et est restée soutenue par la suite. "2021 a même été supérieure à 2019 en volumes", se réjouit Bertrand Bouglé. De quoi surprendre, alors que le contexte sanitaire et géopolitique fait souffrir le secteur automobile. "Nous ne percevons pas encore à 100 % les effets des crises, assure Anaïs Le Fouler. Nous avons anticipé et fait en sorte d'avoir de la disponibilité pour nos clients."
Gilles Brechenmacher explique cette résilience sur un plan géographique : "Ce qui est vendu en Europe est produit quasi exclusivement en Europe." Les soucis d'approvisionnement ont donc moins touché la distribution que d'autres familles plus dépendantes des importations d'Asie, comme le freinage.
En revanche, la famille distribution a bien été affectée par des problèmes d'inflation. Les prix des matières premières ont commencé à augmenter avec la crise sanitaire, et la guerre en Ukraine a accéléré le mouvement. "Notre quotidien aujourd'hui est d'y faire face, constate Bertrand Bouglé. L'accès aux matières premières est difficile, en premier lieu sur le noir de carbone. La majorité des produits métalliques sont également concernés." Le prix de l'acier atteint en effet des sommets, ayant presque triplé depuis deux ans. Évidemment prépondérant pour cette famille de produits, le caoutchouc n'y échappe pas, tout comme les transports, ou même les simples palettes et cartons. Sans parler de l'énergie.
ContiTech produit beaucoup en Allemagne, pays fortement dépendant du gaz russe, ce qui accroît la problématiqueadmet Gilles Brechenmacher.
La fabrication d'une courroie nécessitant une vulcanisation, avec un four pour chauffer le caoutchouc, la consommation pour les équipementiers est élevée. "En tant qu'industriels, nous sommes touchés en première ligne, déplore Bertrand Bouglé. Les coûts de fabrication sont impactés."
Les hausses de tarifs sont donc inévitables. "Nous appliquons des hausses standards, en fonction des coûts de matière et d'énergie, qui impactent différemment nos gammes de produits, précise Anaïs Le Fouler. Deux hausses ont déjà été passées. La prochaine aura lieu en juin." Ces augmentations pourraient-elles freiner la consommation dans les ateliers ? Pas sûr, puisque ces produits sont composés de pièces d'usure, qu'il faut impérativement changer lorsque l'échéance prévue par le fabricant est atteinte.
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"Si le marché accepte ces augmentations de prix, les valeurs vont augmenter, analyse Arnaud Pénot. On va donc potentiellement se retrouver avec des chiffres stables en volumes, mais en hausse en valeur." Une stabilité de marché que Gilles Brechenmacher estime garantie pour "les 4-5 prochaines années", même si les paramètres externes peuvent inquiéter : "Nous vivons une période incertaine, et ce qui est valable aujourd'hui ne le sera peut-être pas demain."
Arnaud Pénot considère aussi que la situation "pourrait durer", mais relativise les difficultés :
Ce n'est pas un problème d'équipementiers mais de toute la filière, qui touche aussi les distributeurs, les centrales d'achat… Et surtout, c'est un enjeu européen, pas franco-français. Nous vivons une redistribution de la chaîne de valeurs qui passe par les prix. Le marché de la distribution va survivre et vivre, car il a historiquement été bien travaillé.
Anticiper l'électrification du parc
Et le marché devra continuer à être bien travaillé pour s'adapter aux nouvelles motorisations. "Le changement majeur avec le tout-électrique par rapport au moteur thermique est l'absence de courroie de distribution, rappelle Bertrand Bouglé. Le kit distribution va donc disparaître."
En revanche, pas question pour les équipementiers d'y voir la mort de cette famille de produits. "C'est une opportunité, ajoute le directeur automotive replacement de Gates France. Pour les transferts de fluides, il y a des systèmes complexes de tuyaux et de pompes électriques, parfois trois différentes dans un même véhicule."
Des produits à la valeur unitaire bien supérieure à ceux que l'on retrouve sur les véhicules thermiques. "Les composants qui durent plus longtemps sont forcément plus chers, car ils sont de qualité premium, souligne Anaïs Le Fouler. NTN a un tel positionnement, nous sommes donc sereins de ce point de vue." Les équipementiers ont les moyens de compenser l'absence de la courroie de distribution des véhicules électriques. Mais en attendant, les fournisseurs entendent accompagner le marché dans cette transition en aidant distributeurs et réparateurs à entretenir le parc roulant actuel.
"La fin de la vente des véhicules thermiques est annoncée pour 2035, mais il y en aura encore sur le parc roulant pendant bien plus longtemps, prévoit Gilles Brechenmacher. La rechange aura alors toujours besoin de courroies de distribution, même si les volumes diminuent. Il ne faut pas non plus oublier les carburants alternatifs, comme le bioéthanol, et les hybrides."
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Chez NTN aussi, cette transition est à l'œuvre, et l'équipementier prépare l'évolution de son catalogue. "Si l'essence et le diesel ont encore quelques années devant eux, les changements qui s'opèrent se préparent dès maintenant pour être le plus flexible possible avec les clients, et anticiper au mieux, prévient Anaïs Le Fouler. Les gammes vont évoluer et de nouveaux produits vont faire leur apparition. Autant d'opportunités de se démarquer de la concurrence." Le secteur n'a pas fini de devoir relever des défis.