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Distribution

Quand les MDD rebattent les cartes dans la rechange

Publié le 3 juillet 2023
Par Ambre Delage
10 min de lecture
Autrefois simples alternatives à bas coût aux gammes premium, les marques de distributeurs (MDD) sont devenues un enjeu stratégique dans la rechange tricolore. Mieux positionnées en termes de prix et avec des gammes toujours plus larges, elles gagnent de plus en plus de terrain et bousculent l'ordre établi.
Napa Alliance Automotive
Les ambitions de la MDD du groupe Alliance sont claires : obtenir 20 % de part de marché d'ici cinq à six ans. ©Napa

Dans la grande distribution, les marques de distributeurs, ou MDD, n'ont jamais connu un tel essor. En cause, une inflation galopante grevant les budgets. Résultat : d'après NielsenIQ, les marques de distributeurs ont représenté en valeur, fin 2022, 19,4 % des ventes totales de produits de grande consommation à l'échelle mondiale… Et la tendance devrait sans aucun doute se confirmer en 2023, l'inflation ne montrant aucun signe de faiblesse. La raison de ce succès ? Des prix inférieurs à ceux des marques dites premium, de l'ordre de 20 à 30 % minimum selon les produits.

Or, ce qui vaut pour les produits de grande consommation semble valoir aussi pour les pièces automobiles. De la même manière, en effet, la rechange n'échappe pas aux MDD. Disponibles depuis de longues années sur ce marché, souvent avec des gammes très courtes, elles étaient généralement considérées comme une alternative économique destinée aux véhicules très âgés. Elles s'affirment désormais comme des marques à part entière, venant volontiers se positionner en lieu et place de certains équipementiers historiques dans les zones de stockage des distributeurs.

Des gammes en pleine croissance

Mais au fait, qu'est-ce qu'une MDD pour un distributeur ? Selon Julien Bognandi, directeur du pôle MDD chez Autodistribution, "la MDD, c'est la marque qui est développée, conçue, approvisionnée et dirigée par le distributeur lui-même. Il en est propriétaire à 100 %. Il internalise donc tout, du sourcing au dépôt de nom. Et il en assure la commercialisation. Chez Isotech, nos parts de marché diffèrent en fonction des familles de produits. Cela peut aller de 10 % à 30 %. En moyenne, notre marque Isotech représente environ 15 % de nos ventes globales."

Si ces marques se concentraient jusqu'ici principalement sur les références à forte rotation, elles ont depuis élargi leur couverture – sous l'impulsion des groupements – et intègrent des familles de produits de plus en plus techniques.

Notre MDD n'est pas trop axée sur la pièce de grande vente, mais nous sommes en revanche très forts sur la pièce mécanique lourde, le freinage, la para-carrosserie ou sur l'équipement de garage. Nous sommes présents surtout là où le « décroché euros » est le plus important par rapport au premium. C'est ainsi que la MDD fait sens : sur sa qualité et son positionnement tarifaire. Globalement, pour un distributeur, la clé d'entrée, c'est la marque premium, et la MDD est une alternative souligne Julien Bognandi.

Une alternative aux pièces d'équipementiers qui est moins chère pour l'automobiliste et génératrice de marges pour le distributeur. En somme, tout le monde (ou presque) est gagnant. Moralité, en quelques années, les gammes de produits proposées aux couleurs de ces marques n'en finissent plus de grossir : des lubrifiants aux produits d'hygiène pour les ateliers, en passant par les pièces techniques, les pneumatiques, les équipements de garage ou les consommables de para-peinture.

Tout produit peut, a priori, être vendu sous l'égide d'une MDD, dès lors que l'écart de prix avec son équivalent en marque premium le justifie. Pour Olivier Berlioz, brand manager Napa chez Alliance Automotive Group (AAG), les MDD représentent, selon les lignes de produits, "10 à 20 % des produits de rechange vendus en France". Et les groupements ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Les objectifs sont clairs : pour chacun, la MDD est vouée à se développer.

Une place grandissante dans les stocks

Isotech Autodistribution

Créée en 2008, Isotech a su trouver sa place dans l'offre du groupement. La marque a multiplié par 10 le nombre de ses références et affiche une croissance annuelle de 10 %. ©Autodistribution

Dans les rangs d'AAG, depuis le lancement de Napa en 2019, l'offre ne cesse de se renforcer. L'ambition est très clairement affichée : obtenir 20 % de part de marché à moyen terme, d'ici cinq à six ans. Une ambition d'autant plus réalisable que la marque privée créée outre-Atlantique par GPC accélère depuis deux ans son déploiement sur le territoire européen. Napa est ainsi passée d'un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros en 2020 à 300 millions d'euros en 2022. Chez l'autre géant de la distribution tricolore, le développement de la MDD maison, Isotech, est aussi monté en puissance.

A lire aussi : Isotech, symbole du succès des MDD dans la pièce automobile

"Notre stratégie est de ne pas limiter le développement de notre MDD et des produits proposés aux véhicules âgés de 10 ans et plus. Nous avons même vocation à être pluridisciplinaires : mécanique, carrosserie, PL, outillage, équipement, et sur des fonctions de plus en plus techniques. Évidemment, nous ne ferons sans doute pas certains produits tels que les turbos, pour lesquels une offre en remanufacturé existe déjà et qui, par conséquent, disposent déjà d'un dépositionnement prix naturel. Cela étant, la gamme a crû de manière significative ces dix dernières années", explique Julien Bognandi.  Fort de cette stratégie, Autodistribution espère proposer, à fin juin, une alternative MDD sur près de 10 000 références, contre 7 000 à fin 2022.

Chez Doyen Auto également, l'extension de la marque privée Requal ne se limite pas aux pièces de grandes ventes (PGV). Son catalogue intègre de plus en plus de gammes de pièces techniques afin de répondre à une demande grandissante.

"Nous nous positionnons sans cesse sur de nouveaux produits comme la vanne EGR ou sur d'autres pièces techniques comme les capteurs, les pompes à carburant, les bobines, etc. En d'autres termes, là où il y a un réel besoin et où les pièces sont d'ordinaire trop chères par rapport à la valeur résiduelle du véhicule. Par exemple, un filtre à particules de C3 coûte environ 900 euros en pièce d'origine. En Requal, nous sommes à 299 €. Et nous pensons également au portefeuille du réparateur puisque nous allons débuter le lancement, en mai, d'une gamme d'équipements d'atelier (crics, ponts, équilibreuses, vidangeurs, etc.). Nous serons positionnés 25 à 30 % moins cher que les mêmes équipements de grandes marques", confie Bernard De Smet, directeur de l'offre produits de Doyen Auto.

Les ambitions sont toutes aussi fortes du côté du groupe Stellantis avec sa marque Eurorepar, qui a pris une véritable ampleur. Son catalogue compte aujourd'hui une soixantaine de familles de produits et ne cesse de s'étendre.

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"Nous ne nous interdisons rien sur les MDD, car nous savons qu'il n'y a pas de limite à leur développement. La gamme compte déjà plus de 17 000 références en un peu plus de vingt ans d'existence, ce qui l'inscrit dans la durée. Eurorepar nous permet même aujourd'hui de réaliser de belles performances sur les huiles et les pneus [la marque a fêté son deux millionième pneu vendu à Equip Auto l'an dernier, ndlr]. Or, beaucoup de MDD se sont essayées à ces deux marchés et s'y sont cassé les dents. […] Pour nous, la MDD est donc un vrai levier en termes d'activité commerciale. À horizon 2030 d'ailleurs, nous envisageons une augmentation de plus de 50 % du chiffre d'affaires pour la gamme IAM au sens large et, en l'occurrence, la MDD est un vrai pilier de notre stratégie de conquête", affirme Christophe Gloux, responsable de l'animation de Distrigo France.

Environnement favorable

À la faveur de ces nouvelles ambitions, les MDD ne veulent plus simplement jouer les seconds rôles et revendiquent une place à part entière sur le marché de la rechange. En effet, selon Julien Lefort, directeur général adjoint d'Alternative Autoparts : "Aujourd'hui, en moyenne, nous pouvons estimer que les MDD pèsent pour 20 % dans la distribution, car tous les groupements ont leur marque. Et c'est un mal nécessaire, car l'inflation et le vieillissement du parc roulant poussent les automobilistes à faire réparer des véhicules qu'on ne réparait pas il y a trois ans. Mais pour que cela soit possible, il faut que nous disposions, a minima, d'une double offre : une offre premium et une offre MDD."

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Évidemment, le poids des marques privées dans la distribution varie d'un produit à l'autre. Mais leur progression est globalement très soutenue depuis quelques années. "Là où les marques premium affichent environ 5 % d'augmentation de leurs ventes, avec les MDD, nous sommes davantage sur du 20-25 %", analyse Bernard De Smet. En effet, si la conjoncture – parc vieillissant, pénurie de VN au profit des VO – fait les beaux jours de la rechange, ce sont sans doute les marques privées qui tirent le meilleur parti de cette situation. Les fortes augmentations des tarifs de certaines familles de pièces ont également favorisé leur essor.

Pour mesurer ce phénomène, IDLP a réalisé le premier baromètre anti-inflation sur les pièces automobiles. L'idée : comparer les prix publics de l'ensemble de ses références proposées par son top 30 de fournisseurs présents en première monte, entre novembre 2021 et novembre 2022. Résultat : l'inflation moyenne est de 12 %.

"Certains produits sont plus touchés que d'autres, les disques de frein par exemple, mais il n'y a pas de règles. Et à produits équivalents, les différences peuvent être importantes selon les fournisseurs. Certains étant au-dessous de cette moyenne, et d'autres très largement au-dessus. Et au vu de la situation géopolitique et de la crise énergétique, cette inflation devrait être du même acabit en 2023. Or pour moi, il y a deux remèdes principaux à cela : la MDD et la Piec", réagit Fabrice Godefroy, directeur général d'IDLP.

Des prix plus bas que le premium, quoiqu'il en coûte !

Mais l'inflation n'épargne personne : la hausse du coût des matières premières et des transports se répercute aussi sur les marques privées. "Si en 2023, nous avons une inflation équivalente à celle de l'année dernière, les marques de distributeurs pourraient bien atteindre les niveaux de prix du premium d'il y a cinq ans", ajoute Fabrice Godefroy.

Si l'inflation a bien eu une incidence sur le prix des MDD, leur positionnement tarifaire vis-à-vis des marques premium reste suffisamment important pour représenter une alternative attractive.

"L'inflation a fait augmenter de la même manière la MDD et la marque premium. Donc le différentiel est le même que ce qu'il était précédemment. Les augmentations ont été plus lentes sur les MDD, car les négociations avec les fournisseurs se font sur des volumes beaucoup plus importants. En outre, à prix égal, nous allons avoir tendance à choisir des fournisseurs européens, au sens large du terme, pour gagner en rapidité et limiter les frais de transport. Du coup, des pays qui étaient moins compétitifs le redeviennent du fait des coûts du transport", expose Olivier Berlioz.

L'atout du volume

Eurorepar Pneu

Lancée en 2017, la gamme de pneus Eurorepar est une des réussites de la marque du groupe Stellantis. ©Eurorepar

Le son de cloche est exactement le même chez tous les distributeurs détenteurs de MDD : des augmentations oui, mais limitées et suivant le même rythme que les pièces d'équipementiers… C'est le cas, par exemple, chez Requal, dont les tarifs ont suivi des augmentations proportionnées aux prix des pièces premium. "Chez nous, l'inflation sur les pièces se situe donc entre 7 et 8 % selon le type de produits et la matière utilisée pour leur fabrication", observe Bernard De Smet. Chez Eurorepar, on se félicite d'avoir pour l'heure réussi à stabiliser les grilles tarifaires.

"Notre levier d'action est clairement la fusion avec FCA et le groupe Stellantis. Cela permet d'homogénéiser les coûts, et notre puissance de frappe nous permet de mieux négocier avec nos fournisseurs, et ainsi de maintenir les prix", dévoile Christophe Gloux.

C'est effectivement l'un des atouts des groupements et constructeurs, qui peuvent jouer sur cet effet volume pour réduire les conséquences de l'inflation sur leurs tarifs. "Si le levier du volume reste un incontournable, il est de plus en plus difficile à actionner dans les phases d'inflation en négociations. Nous essayons de trouver des terrains d'entente avec nos fournisseurs. Par exemple, nous avons su faire des efforts de positionnement comme eux ont dû le faire, et puis nous travaillons avec certains depuis longtemps. Quand certains ont eu des soucis et ont dû augmenter leurs prix, nous avons su partager les coûts. En retour, quand la déflation se présente, ils acceptent de faire les efforts inverses très rapidement. Du coup, nous avons pu limiter nos augmentations en 2022 et les décaler au maximum, mais les demandes initiales étaient de l'ordre de 10 à 15 % selon les produits", détaille Julien Bognandi.

Et si la MDD changeait les règles du jeu ?

Suscitant de plus en plus d'intérêt sur le terrain, les MDD ont de quoi intriguer, voire inquiéter les équipementiers. Ces derniers jouent, en effet, un double jeu. D'un côté, ils doivent céder du terrain à ces marques privées dans les rayonnages des distributeurs. Et de l'autre, ils fabriquent les produits de ces marques privées, s'octroyant indirectement une part du gâteau.

Les grands équipementiers font souvent aussi des MDD et, à l'inverse, certains grands équipementiers ne font pas de MDD mais ne fabriquent pas non plus leurs propres produits. Aujourd'hui, je suis sûr que tous les équipementiers proposent de la MDD. D'ailleurs, un équipementier souhaitant se développer sur un marché sur lequel il n'est pas présent à tout intérêt à aller vers la MDDassure Olivier Berlioz.

Mais la sous-traitance de ces marques propres, négociée jusqu'à l'os, ne génère évidemment pas la même rentabilité que les gammes commercialisées par ces mêmes fournisseurs. Logique. De fait, les équipementiers ne prennent-ils pas le risque de se faire cannibaliser ? Et la MDD de “tuer le père” ? La menace est réelle, mais le jeu en vaut parfois la chandelle pour se faire une place dans les centrales de référencement.

"Aujourd'hui, certains équipementiers se remettent en question et acceptent de s'ouvrir aux MDD. À l'inverse, d'autres refusent catégoriquement de s'y mettre. C'est un choix de leur part. Mais nous, nous essayons de massifier nos achats et de travailler sur les deux segments. Donc, certaines marques disparaissent ou sont limitées dans les stocks des distributeurs, qui préfèrent ouvertement aller vers du Requal. Il y a un équilibrage qui se fait. Il est vrai, cependant, que c'est un risque pour un équipementier, car il ne marge pas de la même manière, mais faire de la MDD lui permet de faire fonctionner ses lignes de production. Et bien sûr, s'ils acceptent la MDD Requal, ils vont avoir aussi une chance de rester dans nos stocks en premium…", développe Bernard De Smet.

Et cette politique-là, les distributeurs sont nombreux à l'appliquer, plus ou moins ouvertement. D'ailleurs, Christophe Gloux admet que “les MDD sont sûrement une épine dans le pied des équipementiers. Pourquoi ? Parce qu'il y a toujours en effet un risque de cannibalisation. Mais nous avons beaucoup de canaux de distribution, il y a de la place pour l'ensemble de nos gammes et nous faisons vivre l'équipementier et la MDD ensemble. Mais c'est aussi à l'équipementier de garder sa place dans le jeu. Et puis la pièce automobile ne sort pas du cadre de la MDD de la grande distribution, et on ne va pas inventer des fabricants… Donc l'équipementier y trouve son compte."

Reste à espérer que les marques propres ne prennent pas totalement le pas sur les premium. Rappelons qu'aux États-Unis, Napa représente, pour les PGV, jusqu'à 80 % de ses volumes… Pour l'heure, Alliance Automotive se défend de vouloir copier le modèle américain. "Nous n'aurons jamais le même poids qu'aux États-Unis. Ne serait-ce que parce que la France est culturellement très attachée au premium, et qu'il est rassurant aussi d'avoir des grandes marques sur lesquelles s'appuyer. La MDD sur le marché français est plus une alternative", estime Olivier Berlioz.

Vers des marques privées low cost ?

Alors que tous les acteurs s'accordent à dire que les prix ne retrouveront jamais leurs niveaux d'avant-Covid, il n'est toutefois pas impossible que les marques privées segmentent leur marché. Sur le modèle de la grande distribution, elles pourraient, en effet, proposer plusieurs niveaux de prix. À l'instar de l'enseigne Leclerc avec sa marque Repère (cœur de gamme) et Eco+ (low cost)… Interrogés sur cette perspective, les principaux réseaux restent dubitatifs. Doyen Auto s'est notamment cassé les dents sur le low cost il y a quelques années avec sa marque RED.

A lire aussi : Jean-Michel Booh-Begue : "Eurorepar est stratégique pour Stellantis"

Faute d'avoir trouvé son public, elle a fini par disparaître des stocks. De fait, Bernard De Smet n'est pas convaincu par cette éventualité : "Il ne faut pas oublier que nous proposons des pièces de sécurité, et que l'on ne peut pas aller en dessous d'un certain niveau de qualité. Et puis, si nous devions de nouveau faire une marque low cost, cela ferait des milliers de références par ligne de produits. En termes de capacité de stockage, cela me paraît compliqué."

Même scepticisme du côté de Stellantis, où Christophe Gloux considère que cette approche n'est pas à l'ordre du jour. "Faire du low cost, cela implique un autre modèle de distribution que le nôtre. Or, nous orientons plutôt notre stratégie vers le produit « durable ». C'est un vrai sujet, car le low cost implique une idéologie spécifique que Stellantis n'a pas choisie. Après, bien sûr, sur le marché global, nous ne savons pas si une MDD low cost aurait sa place. La pièce de rechange est un marché qui évolue très vite… Sur le pneu, par exemple, on voit des acteurs qui n'existaient pas il y a quelques années. Donc nous veillerons à répondre à la demande mais sans pour autant, en ce qui nous concerne, faire du low cost."

 

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