Vincent Ferron, groupe Ferron : "2024 a été une année de rupture"

Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Quel bilan dressez-vous de votre premier exercice sous les couleurs de l'enseigne Pièces Auto ?
Vincent Ferron : 2024 a marqué un tournant dans l'histoire du groupe. C'était une année de rupture avec notre passé immédiat, mais aussi de reconstruction. Après avoir quitté notre précédent groupement, nous avons fait le choix stratégique d'intégrer Pièces Auto. Cela a nécessité un engagement total de nos équipes, car nous ne nous sommes pas contentés de changer d'enseigne : nous avons repensé l'intégralité de notre organisation.
Nous avons aussi changé notre catalogue électronique, qui est un outil central pour nos équipes et nos clients. Nous avons rhabillé tous les garages de notre réseau avec une nouvelle identité, en créant notre propre enseigne. C'était aussi une année très symbolique pour nous, puisqu'elle marquait les 50 ans de la création de l'entreprise familiale, fondée par notre père.
Malgré ces bouleversements, nous avons enregistré une croissance de notre chiffre d'affaires comprise entre + 3,5 et + 4 % sur l'ensemble du périmètre du groupe. Dans un contexte où beaucoup d'acteurs peinent à maintenir leur niveau d'activité, c'est une performance que nous jugeons satisfaisante et qui témoigne de la solidité de notre modèle.
J2R : Le lancement des concepts d'ateliers AutoRepar et AutoRepar Expert s'inscrit dans cette dynamique. Qu'en est-il de leur déploiement sur le terrain ?
V. F. : Ces nouveaux concepts ont été accueillis très positivement. Nous avons transformé presque tous les ateliers de notre réseau : sur une quarantaine de garages, un seul n'a pas changé d'enseigne. Tous les anciens Precisium ou Garage & Co ont accepté de rejoindre AutoRepar ou AutoRepar Expert. Quelques sites sont également passés vers l'enseigne Bosch Car Service. Ce basculement ne s'est pas fait sans accompagnement : nous avons pris soin de dialoguer avec chacun des partenaires concernés pour leur présenter la nouvelle stratégie, les outils associés, les avantages compétitifs…
Par ailleurs, nous ne nous sommes pas limités à une simple transformation interne. Nous avons également conquis de nouveaux garages, séduits par la cohérence et l'ambition de notre nouvelle offre. Cela nous conforte dans l'idée que nos concepts sont à la fois modernes, accessibles, et surtout adaptés aux réalités du terrain.
J2R : Le catalogue électronique Lysibox est au cœur de ces concepts. Quelles sont ses fonctionnalités clés et ses perspectives de développement ?
V. F. : Lysibox est bien plus qu'un simple catalogue, c'est un outil de pilotage d'activité pour les garages. Il permet de consulter les références disponibles, d'éditer des devis, d'accéder à des données techniques, de commander des pièces… Nous l'avons développé avec un objectif clair : offrir aux professionnels un environnement de travail intuitif, rapide et fiable.
Même si l'outil n'est pas encore complètement finalisé, nous disposons d'une base extrêmement solide. Notre priorité est désormais de réduire la redondance des références et d'affiner les critères de recherche. L'idée est d'améliorer la pertinence des résultats : lorsque l'utilisateur cherche une pièce, il ne doit voir s'afficher qu'un seul modèle adapté, au lieu de trois ou quatre. Cette fonctionnalité va nettement améliorer l'efficacité des recherches.
Nous travaillons également à intégrer de nouveaux types de produits. Dans le courant du second semestre 2025, nous ajouterons des gammes annexes comme les masses d'équilibrage, les attelages, les accessoires type porte-vélos, etc. Ce sont des produits que l'on retrouve rarement dans les autres catalogues électroniques du marché. C'est un axe de différenciation fort pour nous.
J2R : Combien d'ateliers utilisent aujourd'hui Lysibox ?
V. F. : Lysibox est utilisé à la fois par nos garages sous enseigne et par nos clients hors réseau. Pour les ateliers AutoRepar, l'outil est inclus dans le concept. Pour les clients "standards", y compris ceux qui sont affiliés à d'autres enseignes concurrentes, nous proposons une version de base gratuite. S'ils souhaitent accéder aux fonctionnalités avancées comme les devis, les catalogues enrichis, ou les modules techniques, ils peuvent souscrire à des options payantes, entre 49 et 69 euros par mois selon les services.
Aujourd'hui, toutes catégories confondues, nous avons environ 600 utilisateurs actifs de Lysi-box. Ce chiffre est en constante progression. Il témoigne de l'intérêt réel des professionnels pour cet outil que nous voulons à la fois complet et accessible.
J2R : Début 2025, vous avez annoncé une prise de participation dans SNPA Distribution. Quelle est votre stratégie dans le secteur peinture et carrosserie ?
V. F. : La peinture et la carrosserie constituent un univers très complémentaire à notre activité principale. Avec SNPA Distribution, nous avons identifié une opportunité d'étendre notre offre dans ce domaine. Concrètement, nous allons d'abord développer cette activité sur notre site de Pluvigner, dans le Morbihan, où nous proposions déjà de la peinture industrielle. Désormais, nous allons y intégrer une offre dédiée à l'automobile.
Ce déploiement s'inscrit dans notre logique de diversification maîtrisée. Si d'autres opportunités d'implantation ou de rapprochement se présentent dans d'autres départements, nous les étudierons sérieusement. Notre ambition est d'apporter une réponse complète aux besoins des carrossiers, avec une offre structurée et des services adaptés.
J2R : Quels sont vos axes de développement prioritaires pour les mois à venir ?
V. F. : Deux chantiers majeurs vont mobiliser nos équipes en 2025. Le premier concerne le développement du réseau de franchises Pièces & Pneus, adossé à notre site e-commerce PiècesEtPneus. com. C'est un modèle qui repose sur la complémentarité entre le digital et le physique, et nous souhaitons l'intensifier. Avant l'été, cinq nouvelles boutiques vont ouvrir leurs portes. L'objectif est de densifier notre maillage territorial.
Le second axe porte sur le développement de notre activité recyclage. C'est un marché porteur, tant d'un point de vue économique qu'écologique. Là aussi, nous sommes à l'écoute d'opportunités de croissance externe : acquisitions, partenariats, prises de participation… Tout est envisageable dès lors que cela s'inscrit dans notre stratégie de long terme.
J2R : Comment PiècesEtPneus.com se positionne-t-il face aux géants du secteur ?
V. F. : Nous ne cherchons pas à rivaliser frontalement avec les leaders du marché sur leur propre terrain. En revanche, nous entendons proposer une alternative crédible, ancrée dans la réalité des territoires. Nous nous alignons sur les standards de prix, mais nous misons sur une valeur ajoutée différente : le service, la proximité, le conseil.
Le modèle web-to-store que nous avons adopté nous permet de créer un lien fort entre la plateforme en ligne et le réseau de boutiques physiques. Les clients peuvent commander en ligne, retirer leur commande en magasin, obtenir des conseils, effectuer un retour facilement… C'est un vrai facteur de fidélisation, qui nous distingue de plateformes 100 % digitales.
J2R : Quel est aujourd'hui le poids de votre activité recyclage ? La pièce de réemploi est-elle vraiment entrée dans les usages des garages ?
V. F. : Absolument. La demande de pièces de réemploi gagne en popularité. Les ateliers y recourent de plus en plus, encouragés par les compagnies d'assurance et les donneurs d'ordres. En carrosserie notamment, l'usage de pièces d'occasion est largement plébiscité pour certains types de réparations.
Le vieillissement du parc roulant y contribue également. Les clients sont plus enclins à opter pour des solutions économiques et durables lorsque leur véhicule a 8 ou 9 ans. Pour les pièces à forte valeur comme les composants électroniques, la pièce de réemploi représente une réelle alternative, à la fois rentable et fiable.
J2R : Le poids lourd représente-t-il un levier de croissance pour le groupe ?
V. F. : Pas à court terme. C'est un segment de marché très spécifique, avec des contraintes logistiques et techniques lourdes. Aujourd'hui, il représente entre 5 et 10 % de notre chiffre d'affaires, mais nous n'avons pas vocation à en faire un pilier de notre développement. D'une part, nous manquons de ressources humaines pour structurer cette activité. D'autre part, cela impliquerait des investissements conséquents, notamment en infrastructures. Ce n'est pas notre priorité actuelle.
J2R : Votre développement reste très ancré dans le Grand Ouest. Avez-vous des ambitions au-delà ?
V. F. : Pour notre activité de distribution traditionnelle, nous restons focalisés sur le Grand Ouest, qui est notre territoire historique. Nous y avons des équipes solides, une logistique bien rodée, une relation de proximité avec les clients. En revanche, pour notre activité e-commerce, nous avons des ambitions clairement nationales. C'est pourquoi, à moyen terme, nous envisageons d'ouvrir une deuxième plateforme logistique pour soutenir cette expansion. L'idée serait d'optimiser les livraisons dans notre réseau de boutiques à l'échelle nationale.
J2R : Top Car, votre marque de distributeur (MDD), représente aujourd'hui 20 % de vos ventes. Comment évolue-t-elle ?
V. F. : Top Car occupe une place centrale dans notre stratégie produits. Contrairement à d'autres marques de distributeur qui visent des gammes très étendues, nous avons fait le choix de la pertinence et de la performance. Nous appliquons une logique de 20/80 : proposer peu de références, mais des produits qui tournent beaucoup. Cela permet de mieux gérer les stocks, d'avoir un taux de service élevé, et de répondre efficacement à la demande.
Nous avons aujourd'hui une centaine de familles de produits sous la marque Top Car. Pour ces lignes, l'objectif n'est donc pas d'atteindre une offre importante de références, mais de développer des gammes cohérentes, ciblées, et compétitives.
J2R : Le recrutement reste une problématique récurrente dans l'après-vente. Qu'en est-il chez vous ?
V. F. : Comme beaucoup d'acteurs du secteur, nous sommes confrontés à une vraie pénurie de main-d'œuvre. Cela touche tous les métiers : mécanique, carrosserie, logistique, mais aussi les fonctions support comme la comptabilité ou le SAV. Actuellement, nous avons 42 postes ouverts au sein du groupe. C'est loin d'être négligeable.
Nous investissons dans la formation, notamment via l'apprentissage, pour préparer les générations futures. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi revaloriser l'image des métiers techniques, rendre les parcours plus attractifs, et proposer des perspectives d'évolution.
J2R : Quelle place occupe aujourd'hui votre filiale Carlyss, dédiée au véhicule d'occasion ?
V. F. : Carlyss continue son activité, mais dans un contexte compliqué. Le marché du VO est sous tension : les prix sont élevés, les marges réduites, et la demande en baisse. Beaucoup de clients préfèrent aujourd'hui prolonger la vie de leur véhicule plutôt que d'en acheter un autre. Dans ce cadre, l'activité VO n'est pas un axe stratégique prioritaire pour nous, même si elle garde une place dans notre écosystème.
J2R : Comment envisagez-vous la pérennité du groupe ?
V. F. : Notre priorité est de préserver l'identité familiale du groupe. Pour cela, nous avons structuré notre gouvernance avec un comité de direction solide, dans lequel mon neveu Sébastien joue un rôle actif. Cette organisation nous permet d'assurer une continuité dans la gestion tout en préparant la transmission.