Contrôle technique : 30 ans, l'âge de tous les défis
"Le parc automobile est beaucoup plus propre depuis son instauration. On ne voit plus de véhicules troués ou attaqués par la rouille sur les routes, et le parent qui emmène son enfant à l'école sait désormais que les véhicules qu'il croise sont sûrs." Hervé Bozon, fondateur de ProTechnologies, ne tarit pas d'éloges sur l'utilité du contrôle technique, qui fête ses 30 ans cette année. Trois décennies d'évolutions qui n'ont pas pour autant conduit l'activité à sa destination finale. Le contrôle technique est en perpétuelle mutation. La dernière en date ? Avant fin avril 2022, chaque centre devra être équipé d'un prolongateur d'échappement pour mesurer l'opacité des fumées des moteurs diesel. Concernant les points de vérification, un contrôle du eCall, système d'appel d'urgence automatique, sera notamment ajouté en 2023.
Se préparer à l'électrification
À partir de l'an prochain également, en mai, les données réelles de consommation des véhicules passant dans les centres seront remontées à l'administration pour être comparées aux données des constructeurs. Un moyen notamment de mieux comprendre comment les véhicules électrifiés sont utilisés. Utile, car si ces motorisations progressent dans le parc automobile, elles ne représentaient que 0,3 % du nombre de véhicules contrôlés en 2021 (1 % pour les hybrides).
Pour autant, "les centres sont prêts et les contrôleurs formés", affirme Bernard Bourrier, PDG d'Autovision. Depuis 2014, des ajouts concernant ces nouvelles motorisations ont été apportés aux formations initiales et continues.
Mais ce n'est pas encore un sujet majeur. En revanche, si demain on a du tout-électrique dans les centres, il faudra revoir plusieurs éléments. L'usure du véhicule est totalement différente, et nous ne la connaissons pas encore suffisamment. Nous ne savons pas, par exemple, éteindre un feu de véhicule électriquepoursuit le dirigeant.
Les centres de contrôle technique devront pourtant s'adapter à ces nouvelles technologies. Et elles sont nombreuses. “La majorité des évolutions futures, liées à la réglementation européenne, toucheront aux Adas, aux données embarquées et aux niveaux de pollution”, résume Karine Bonnet, directrice générale de Dekra Automotive. La préoccupation sur la pollution prend de l'ampleur au fil des ans. "Nous travaillons non seulement pour la sécurité routière, mais aussi pour l'environnement", rappelle Hervé Bozon. En 2019, le contrôle pollution diesel a évolué, avec un nouveau matériel et une prise en compte des valeurs limites issues de la réception des véhicules. Mais un sujet continue de faire parler : le contrôle des oxydes d'azote (NOx), abandonné après une phase expérimentale. Aujourd'hui, aucun texte ne prévoit sa mise en place.
"La Suisse et les Pays-Bas ont commencé à effectuer des tests sur la base du contrôle de particules en nombres. C'est la piste que l'on doit suivre à terme. C'est un sujet important, qui reviendra sur la table, estime Laurent Palmier, PDG de Sécuritest. Mais il doit être réaliste en temps d'opération de contrôle : il ne faut pas doubler le prix du contrôle technique pour lui. " Bernard Bourrier relève une autre limite : "On ne peut pas traiter simultanément les NOx et les émissions de CO2 sur un moteur thermique. Pour réduire l'un, il faut augmenter l'autre. Les États-Unis ont fait le choix de se concentrer sur les NOx, l'Europe sur le CO2."
Deux-roues : un éternel débat
Sur ce sujet, la France est alignée avec l'Europe. Ce n'est pas le cas pour la situation des deux-roues, et plus largement des véhicules de catégorie L (regroupant aussi les trois-roues, quadricycles de type quads et véhicules sans permis). Alors que la directive européenne prévoyait initialement une mise en place du contrôle technique pour eux le 1er janvier 2022, la France a obtenu de le repousser au 1er janvier 2023, même si certains de ses voisins (Italie, Allemagne, etc.) l'ont déjà instauré. Le décret avait pourtant été publié le 11 août 2021 au Journal officiel, mais il était suspendu dès le lendemain par le président Emmanuel Macron.
"Le sujet a été mal géré, soupire Bernard Bourrier. Sans l'échéance présidentielle, ce serait sans doute déjà passé. " Officiellement, le décret de l'été dernier n'a toujours pas été abrogé et, dans les faits, rien n'indique à 100 % que la mesure ne passera pas au 1er janvier 2023. "Il y a extrêmement peu de chances que cela se produise, tempère Karine Bonnet. La France doit prouver à l'Europe qu'elle peut réduire l'accidentologie et la mortalité sur les routes par d'autres moyens, comme la prévention, l'éducation ou les radars pour détec-ter les nuisances sonores, par exemple. Et il faut maintenant un retour d'expérience, car ces actions sont récentes. Il y aura des expertises, des contre-expertises…"
Tous s'accordent sur le fait que la catégorie L n'échappera pas, à terme, au contrôle technique. "C'est du bon sens, clame Hervé Bozon. Il faut penser à la circulation : de nombreuses motos font beaucoup de bruit, ce n'est pas normal. Et pourquoi échapperaient-elles aux contrôles des émissions polluantes ? On ne peut pas laisser polluer juste une partie du parc. " Le jour où ce changement se produira, les centres devront s'adapter. "Sur le plan informatique, nous serons prêts, continue le fondateur de ProTechnologies. Mais il faudra aussi délivrer les agréments, et obtenir les équipements sera peut-être compliqué. Sans parler de la désignation de tous les éléments à contrôler ou non. " Déjà contrôlés dans d'autres pays, caravanes, remorques et tracteurs pourraient aussi voir leur tour arriver dans l'Hexagone. De même pour les nouveaux engins de déplacement personnel comme les trottinettes et les vélos électriques.
En revanche, remettre en cause la périodicité du contrôle technique des VL n'est pas d'actualité. D'autres sujets apparaissent plus prioritaires, comme la communication envers les automobilistes, et notamment les plus jeunes. En effet, le dernier baromètre AutoSécurité et Sécuritest via BVA, réalisé en novembre 2021 auprès de plus de 500 automobilistes, montre que 62 % des 18-24 ont déjà réalisé un contrôle technique en retard (contre seulement 19 % des plus de 65 ans). "Ce n'était pas ma priorité" est la raison la plus souvent invoquée.
C'est un point qui nous inquiète. Nous devons convaincre ces jeunes de la nécessité du contrôle technique. C'est aussi aux parents et grands-parents, qui offrent la première voiture, de faire leur travail jusqu'au bout et de le leur répétercommente Laurent Palmier.
Embouteillage en vue
Mais avant de se pencher sur ces nombreux sujets, la branche se heurte à un défi plus urgent. Du 17 mars au 10 mai 2020, la France était à l'arrêt. La grande majorité des centres ont d'abord fermé. Intégrés à la fameuse liste des "commerces essentiels", ils ont fini par pouvoir redémarrer leur activité fin avril mais, les automobilistes ne pouvant toujours pas se déplacer, l'affluence n'a pas repris de sitôt. Résultat : un "trou" de plus d'un mois et demi. Deux ans après, de nouvelles semaines de calme se profilent.
"C'est un risque, reconnaît Karine Bonnet. Nous en profitons pour effectuer un tour de France, car nos affiliés ont du temps et c'est l'occasion d'échanger", explique Laurent Palmier. Certains contrôleurs tirent parti de cette période pour procéder à leur maintien de qualification. Bernard Bourrier, pour sa part, se montre plus mesuré : "Le trou de véhicules devant réaliser leur contrôle périodique peut être compensé par trois phénomènes : les retardataires des derniers mois, l'arrivée en centre des voitures neuves achetées en 2018, et les véhicules d'occasion". Car le contrôle technique de ces derniers devant être fait dans les six mois précédant la vente, la périodicité s'en trouve en effet modifiée.
Mais si ces quasi deux mois de trou peuvent en partie être comblés, le fort rattrapage connu après le 11 mai 2020 pourrait se reproduire. "Il y avait eu un phénomène d'engorgement : les automobilistes pensaient n'avoir que très peu de temps pour se mettre à jour", se souvient Laurent Palmier. Pour mémoire, le gouvernement avait dans un premier temps annoncé une date limite au 23 juin 2020 pour ceux dont le contrôle technique n'avait pas pu être effectué pendant le confinement. Le PDG de Sécuritest poursuit : "Nous contrôlons 500 000 véhicules par mois. Là, c'était le même nombre pour seulement deux semaines en mai 2020, et nous avons passé le million en juin et en juillet. C'était irrationnel. "
La date limite du contrôle a finalement été reportée au 5 octobre 2020 (23 août pour les contre-visites), mais le mal était fait. Il est alors logique de penser que, les automobilistes n'ayant pas pour habitude de réaliser leur contrôle technique en avance, le même phénomène d'engorgement risque de se répéter en mai et juin prochains. Des solutions se font jour pour l'éviter. "De nombreux centres envoient des courriers pour inciter les automobilistes à venir un peu avant la date limite des deux ans, et donc avant la mi-mai, indique Hervé Bozon. D'autres annoncent même des remises pour ceux qui viennent en avance."
Faire face à la pénurie de contrôleurs
Si alerter les retardataires fait partie du travail des contrôleurs, il s'agit ici d'éviter une trop forte tension sur les centres. "Ce travail de sensibilisation se fait surtout à des fins sécuritaires, d'autant plus avant les vacances d'été", remarque Karine Bonnet. En effet, un embouteillage dans les centres avant les grands départs estivaux pourrait décourager certains usagers de la route, entraînant une hausse des risques d'accident. "Les automobilistes sont incités à prendre le bus et le vélo. Ils n'ont pas vendu leur voiture pour autant mais ils l'utilisent moins et, souvent, ils ne font plus aucun entretien entre deux contrôles techniques, constate Laurent Palmier. De fait, ceux qui ne le font pas avant de partir en vacances prendront la route sans avoir refait la pression des pneus, vérifié l'état des freins, etc."
Les préconisations sont de revenir au calendrier habituel : un véhicule ayant passé son contrôle technique en avril 2018, et ayant dû être repoussé à juin en 2020, devrait le repasser en avril cette année. Un impératif, car les centres ne pourront pas supporter un nouvel embouteillage, comme le pense le PDG de Sécuritest : "Les délais d'attente vont s'allonger, car les effectifs sont insuffisants. Nous ne pouvons pas prendre d'intérimaires du fait de la législation, et il faut entre six mois et un an pour recruter."
En effet, le nombre de contrôleurs est déjà insuffisant pour un contexte "normal". "Nous sommes un métier sous tension, et pas seulement depuis la crise sanitaire", résume Bernard Bourrier. Les principaux acteurs du marché s'accordent sur le fait qu'il manque 1 000 contrôleurs à travers le pays. "Ce nombre risque d'augmenter du fait de la pyramide des âges", redoute Karine Bonnet. Le contrôle technique fête ses 30 ans, et tous ceux qui se sont installés dans les centres en 1992 n'étaient pas au début de leur carrière. Certains ont déjà pris leur retraite, et beaucoup s'en rapprochent. Surtout, l'accès au métier s'est complexifié en 2018. Désormais, seul un bac professionnel spécifique accompagné d'une formation de 315 heures (245 heures de théorie et 70 heures de pratique) permet l'entrée dans la branche.
Auparavant, un CAP et cinq ans d'expérience dans la mécanique, complétés de 175 heures de formation, suffisaient à la reconversion en contrôleur technique. La porte d'entrée s'est donc réduite. "Beaucoup de centres ouvrent mais manquent de contrôleurs, regrette ainsi Hervé Bozon. La barre est trop haute. Il faut la baisser, car il y a des postes à pourvoir. On peut être passionné de contrôle technique et d'automobile sans avoir un bac pro. Beaucoup n'en ont pas et aimeraient accéder au métier. " Laurent Palmier dénonce cette nouvelle difficulté pour exercer un métier à l'accès déjà entravé. "La profession ne peut déjà pas avoir recours à l'apprentissage. Il y a aussi toutes les formations qui se rajoutent, pour l'électrique par exemple. Pour pouvoir travailler, c'est devenu une usine à gaz annuelle."
La solution idoine face à la pénurie de contrôleurs n'a pas encore été trouvée, mais tous espèrent le rétablissement de la passerelle d'expérience pour un salarié qui a travaillé des années dans le secteur. "Nous ne remettons pas en cause le bac professionnel, mais nous prônons l'élargissement de l'accès au métier à des personnes qui ont d'autres diplômes, ou pas, avec un test d'entrée pour mesurer leur niveau avant de les intégrer dans une formation initiale", martèle Karine Bonnet.
Pour attirer les jeunes vers la profession, Dekra Automotive va les rencontrer dans les lycées depuis 2017 et le lancement du Dekra Summer Campus. "Nous nous occupons d'eux à la sortie du bac pro, nous payons leur formation initiale et participons à leur permis B, et ils ont un CDI assuré à la sortie", détaille la directrice générale de Dekra. Un travail à effectuer pour rendre le métier plus attractif. "C'est une activité très ancrée dans les territoires : un jeune qui veut rester dans sa région peut le faire, insiste Laurent Palmier. Il peut aussi facilement et rapidement devenir son propre patron." D'un centre affilié à un réseau ou non, au choix.
Les non-affiliés bombent le torse
Si faire partie d'un réseau reste la norme, la part d'indépendants, ou plutôt de "non-affiliés", a fortement progressé. De 2 % du nombre total de centres en 1996, ils en représentaient près de 16,5 % à la fin 2021, soit 1 074 sur les 6 496 centres du territoire. Une part qui pourrait encore croître. "Les réseaux sont coincés par leur taille et leur maillage important", analyse Laurent Palmier. En effet, un contrôleur voulant s'installer ne pourra intégrer tel réseau si celui-ci possède déjà un centre dans la zone de chalandise.
Mais est-ce la seule raison qui pousse plusieurs professionnels à s'éloigner des réseaux ? Si ces derniers ont un "effet de masse" qui permet "d'avoir accès à des prix négociés et d'être très accompagnés au niveau de la réglementation", comme le soutient Karine Bonnet, les groupements proposent aussi un accompagnement aux non-affiliés. Et certains y trouvent une plus grande liberté, comme l'illustre notre reportage en pages suivantes…