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Formation

"Avant de faire des réparateurs du futur, faisons de bons réparateurs d'aujourd'hui"

Publié le 10 décembre 2025
Par Mohamed Aredjal
4 min de lecture
Lors du CDA de la Feda du 4 décembre, une table ronde consacrée à l'avenir de la mécanique a mis en lumière un constat alarmant : le niveau technique des réparateurs n'a pas suivi l'évolution rapide des véhicules. Jacques de Leissegues, président de DAF Conseil, tire la sonnette d'alarme et appelle distributeurs et têtes de réseau à prendre leurs responsabilités.
Parmi les intervenants de la table ronde du CDA de la Feda, Jacques de Leissegues (DAF Conseil) a appelé la filière à renforcer la formation technique dans les ateliers. ©Feda
Parmi les intervenants de la table ronde du CDA de la Feda, Jacques de Leissegues (DAF Conseil) a appelé la filière à renforcer la formation technique dans les ateliers. ©Feda

Le J2R en avait fait l’écho en septembre dernier : à la veille du salon Equip Auto, DAF Conseil lance une enquête instantanée, baptisée Skills, auprès des réparateurs présents sur le salon. L'objectif : tester leurs connaissances techniques via un quiz. Et les résultats sont sans appel. Note moyenne : 7,2 sur 20, soit seulement 36 % de bonnes réponses. Seuls 8 % des participants ont dépassé les 60 % de réussite.

Invité à la table ronde intitulée "Mécanique VL et PL, Carrosserie quel futur sous le capot ?", lors du dernier CDA de la Feda, Jacques de Leissegues, président de DAF Conseil, estime que ce constat n'est pas une surprise mais la confirmation d'une tendance observée depuis plusieurs années.

"On parle beaucoup du réparateur du futur. Moi, je veux attirer l’attention des professionnels sur un point : avant de faire des réparateurs du futur, il faut déjà faire de bons réparateurs d’aujourd’hui. C’est essentiel, et je crois que trop de gens ne l’ont pas encore complètement appréhendé. [...] Si l'on compare le niveau technique des réparateurs il y a dix ans, par rapport aux véhicules qu'ils avaient dans leurs ateliers, et le niveau technique des techniciens d'aujourd'hui, par rapport aux véhicules qu'ils voient entrer, ce niveau a en réalité baissé", explique-t-il.

Le paradoxe est là : les techniciens n'ont pas perdu en compétence, leur niveau est même resté stable, voire a légèrement progressé. Mais l'évolution technique des véhicules s'est, elle, considérablement accélérée. Résultat : un décalage croissant entre les connaissances des professionnels et la complexité des interventions qu'ils doivent réaliser au quotidien.

Quand les formations réglementaires prennent le pas sur la technique

L'analyse du mix des formations dispensées par DAF Conseil révèle un autre basculement majeur. Avant la crise sanitaire, 60 à 70 % des sessions portaient sur la réparabilité des véhicules : diagnostic, technologies thermiques, tout ce qui touche concrètement à la réparation. Les 30 % restants concernaient les formations dites réglementaires, obligatoires mais non techniques, comme l'habilitation électrique et l'aptitude en climatisation.

Dix ans plus tard, le ratio s'est inversé. En 2025, 60 à 70 % des formations concernent le réglementaire, essentiellement l'habilitation électrique. Ne subsistent plus que 30 % de formations réellement centrées sur les technologies nécessaires pour intervenir sur les véhicules.

"Nous avons parfois des réseaux ou des distributeurs qui nous disent : « Mes réparateurs ont été formés cette année. » On regarde les statistiques : oui, ils ont fait de l’attestation clim’ et l'habilitation électrique. C'est bien... Mais quand on fait de la clim’ et de l'habilitation électrique, on n'apprend pas à réparer un véhicule", martèle Jacques de Leissegues.

Un parc automobile en pleine mutation technologique

Le président de DAF Conseil regrette notamment que les réparateurs ne se penchent pas davantage sur la maintenance électronique ou sur la maîtrise des systèmes de dépollution Euro 6. Or ce sont précisément ces technologies qui entrent massivement dans les ateliers. Les chiffres du parc roulant viennent confirmer l'urgence de la situation. Les MRA reçoivent aujourd’hui des véhicules âgés, en moyenne, de 10 ans, souvent équipés de technologies de dépollution complexes : systèmes SCR, EGR, filtres à particules...

"Il y a dix ans, ils avaient encore des véhicules qui n'étaient pas trop complexes. Bien sûr, il y avait déjà de l'électronique, mais comparé à ce que c'est aujourd'hui, c'était beaucoup plus simple. En 2015, globalement, ils maîtrisaient le sujet. En 2025, ils ne le maîtrisent plus", constate Jacques de Leissegues.

Autre point notable : la projection du parc à horizon 2035. Selon les données publiées par C-Ways, le parc de plus de 8 ans sera encore à près de 90 % thermique en 2035. Autrement dit, les réparateurs qui ne se forment pas aujourd'hui sur ces technologies seront complètement dépassés d'ici quatre à six ans. "Ceux qui ne se forment pas aujourd'hui sur le thermique seront complètement déconnectés d'ici quatre, cinq ou six ans", prévient le président de DAF Conseil.

Le rôle clé de la distribution

Face à ce constat, Jacques de Leissegues a interpellé les distributeurs présents au CDA. "On voit, sur une même zone de chalandise ou dans un même réseau, des distributeurs qui organisent 30 jours de formation par an pour leurs clients réparateurs, quand d'autres en font zéro", dénonce-t-il.

Gérard Perrot, responsable technique du groupe Autodistribution, partage entièrement ce diagnostic. "Notre rôle à tous, c'est de faire comprendre à nos organisations et à nos clients qu'il est impératif de se former pour assurer cette montée en compétences. Et je rejoins encore Jacques : les formations « obligatoires » ne suffisent pas", insiste-t-il. Pour le responsable technique, la complexité actuelle des véhicules impose une convergence de compétences que les réparateurs doivent absolument acquérir pour rester dans la course.

Nilufar Ahmadi, responsable de projets au service ingénierie des certifications de l'ANFA, rappelle que l'appareil de formation fonctionne et forme beaucoup. L'association a d'ailleurs revu l'ensemble des certifications de branche ces deux dernières années, en intégrant les dernières technologies du parc thermique, les spécificités des véhicules hybrides et la spécialisation sur l'électrique.

Mais elle pointe un décalage entre ce qui est enseigné et ce que les jeunes rencontrent parfois en entreprise : "On voit alors des jeunes prévus pour traiter des diagnostics complexes se retrouver à faire essentiellement des vidanges et de l'entretien périodique".

Le message est clair : former les réparateurs d'aujourd'hui aux technologies d'aujourd'hui est une condition sine qua non pour préparer l'atelier de demain. Sans cette base solide, impossible d'aborder sereinement les mutations à venir, qu'elles concernent la maintenance électronique, la certification Sermi ou l'intégration de l'intelligence artificielle dans les process de diagnostic.

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