Poids lourd : les distributeurs s’adaptent à un marché en tension
Dans un marché du transport au ralenti, les professionnels de la maintenance de poids lourds ont connu une année contrastée. C’est le bilan dressé par les experts conviés par la Feda lors de son CDA, organisé le 5 décembre 2024, consacré aux véhicules industriels et utilitaires. À l’occasion de la deuxième table ronde de la journée, Guillaume Faurès, directeur général d’AD Poids Lourds, confirme que l’exercice ne restera pas dans les annales du secteur.
"L’activité est sur le trait depuis janvier, même si les tendances ne sont pas identiques dans la distribution et la réparation. Pour ce qui nous concerne, c’est le véhicule utilitaire qui nous a maintenu la tête hors de l’eau", précise-t-il.
Même bilan du côté d’Alliance Automotive : selon Jérôme Brunner, directeur des réseaux PL, le groupement devrait enregistrer le même chiffre d’affaires que l’an dernier, mais en consentant des efforts plus importants. "Grâce à nos accords grands comptes, nous avons réussi à nous maintenir", ajoute-t-il.
Invité également par la Feda, Thibault Castellanos, directeur général de Norca, affirme que la croissance de son groupe a été essentiellement portée par les acquisitions. Pour mémoire, l’opérateur a notamment passé dans son giron la société lyonnaise SMA Distrib au cours de l’été. "On se diversifie aussi, notamment sur l’utilitaire", souligne le dirigeant du distributeur occitan.
Des budgets maintenance réduits
Cette diversification est d’autant plus salutaire que les acteurs de la rechange PL font face à des flottes plus exigeantes. Dans ce contexte, les budgets alloués à la maintenance des parcs roulants se réduisent. "Les transporteurs cherchent à amortir leurs coûts de structure dans un environnement contraint", observe Guillaume Faurès.
De son côté, Jérôme Bruner témoigne d’une consolidation plus forte du marché : "Les régionaux deviennent nationaux et les nationaux deviennent européens. Le marché se structure au niveau des achats avec des décisions toujours plus rationnelles et des appels d’offres plus complexes".
Face à cette évolution et compte tenu du vieillissement du parc roulant – dont l'âge moyen atteint désormais huit ans – les distributeurs se sont adaptés en faisant évoluer leur portefeuille de produits. Cette stratégie a notamment conduit à l’essor des marques de distributeurs (MDD). "Sur certaines lignes, la MDD peut représenter jusqu’à 60 % de nos ventes aujourd’hui", confirme Guillaume Faurès.
Chez Norca, le catalogue a été ainsi structuré autour de trois offres couvrant chaque cycle de vie du véhicule : la pièce constructeur, la pièce d’équipementier et la MDD. "Pour cette dernière, nous la réservons surtout aux gammes avec un différentiel de prix important", complète Thibault Castellanos.
Soutien technique : un enjeu crucial pour les professionnels
Dans cet environnement de marché plus complexe, les distributeurs de pièces de rechange doivent composer avec une autre difficulté : un support moins important de leurs partenaires équipementiers. Alors que les technologies équipant les véhicules se font plus sophistiquées, les professionnels attendent de leurs fournisseurs un soutien technique plus solide.
"De plus en plus d’acteurs verticalisent la chaîne de valeur. Des équipementiers passent par une seule porte d’entrée et se désengagent du terrain", regrette Benoît Migeon, directeur général du réseau TVI. Une analyse partagée par Jérôme Brunner qui a constaté une "réduction des équipes commerciales", favorisée par une européanisation des centres de décision et un transfert des expertises.
Convié par la Feda, Gildas du Cleuziou, directeur France de bilstein group, a relativisé ces observations, indiquant que son groupe ne "délaisse pas le terrain". "Nous croyons à l’expertise locale et nous allons d’ailleurs renforcer notre équipe grands comptes l’an prochain", annonce le dirigeant.
Même ambition dans les rangs de Jost France, où Frédéric Menestrot, directeur général, confirme sa volonté de maintenir ses équipes sur le terrain. "Nous nous devons d’accompagner nos partenaires distributeurs qui ont déployé des machines de guerre logistiques et qui référencent plusieurs dizaines de fournisseurs. L’accès à l’information technique représente donc un enjeu majeur pour la profession."
Transition énergétique : des opportunités à saisir
Le défi est d’autant plus grand que la transition énergétique impose aux professionnels multimarques de maîtriser des motorisations de plus en plus variées. "Quand on assiste à l’arrivée de l’électrique, on se pose beaucoup de questions… C’est l’enjeu qui devrait le plus nous préoccuper ces prochaines années", reconnaît Thibault Castellanos.
Face à cette perspective, Benoît Migeon estime qu’un problème de compétitivité va se poser avec les constructeurs… D’autant plus que le marché de la rechange indépendante PL a toujours été, selon Gildas du Cleuziou, en retard dans le domaine de l’accès à la data.
Malgré ces préoccupations, pas question de verser dans le pessimisme : distributeurs et équipementiers veulent rester confiants dans l’avenir du marché. "Nous avons l’opportunité d’être multimarque et multispécialiste, rappelle Guillaume Faurès. Nous pouvons nous diversifier plus facilement que nos confrères des réseaux constructeurs."
Mieux : les enseignes multimarques semblent demeurer attractives auprès de ces acteurs qui émergent avec l’électrification du parc roulant. "Ils tapent aujourd’hui à notre porte…", confie le directeur général d’AD Poids Lourds. Le réseau au triangle rouge n’est pas le seul à être sollicité : en octobre dernier, l’enseigne Alltrucks s’est illustrée en nouant un partenariat avec le constructeur chinois Sany.