Gaël Navinel, Bosch : "La marque Bosch est une valeur refuge"
Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Vous venez d’être nommé pour succéder à Thierry Leblanc au sein du groupe Bosch. Quel regard portez-vous sur le bilan de votre prédécesseur ?
Gaël Navinel : Thierry Leblanc est resté 18 ans au sein du groupe et ce qui étonne souvent mes interlocuteurs, c’est que je l’ai vu arriver chez Bosch ! En effet, j’ai démarré ma carrière dans le groupe en septembre 1999, et Thierry nous a rejoints à l’été 2005. Pour l’anecdote, je m’apprêtais à partir mais, quand je l’ai vu arriver, je me suis dit que je ferais peut-être mieux de rester…
Je ne me suis pas trompé car son bilan est très positif : Thierry a transformé l’activité aftermarket. Nous sortions à l’époque d’une distribution très fermée avec quelques distributeurs exclusifs. Il a participé à l’ouverture de cette distribution avec une approche multicanale. Il a aussi contribué au lancement de nouvelles familles de produits dont celle du freinage, pour laquelle nous sommes désormais leaders. Il a également transmis beaucoup de passion et d’enthousiasme au sein d’équipes compétentes. À titre personnel, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et avec qui je garde un contact amical.
Aujourd’hui, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux équipes : je ne remplace pas Thierry Leblanc, je lui succède…
Nous ne sommes pas dans les mêmes temporalités. Un peu comme dans un livre, nous devons écrire une nouvelle histoire qui prolonge la précédente. C’est le fondement même de mon approche. Je veux garder une cohérence avec ce qui a été fait dans le passé, en tenant compte des évolutions du marché et des innovations technologiques qui auront des conséquences sur l’aftermarket. Je pense notamment à l’électromobilité ou à la montée en puissance du software.
J2R : Votre prise de fonctions s’inscrit effectivement dans un contexte très différent de votre prédécesseur. Quels chantiers prioritaires vous mobiliseront ces prochains mois ?
G.N. : Nous n’avons pas de chantiers en tant que tels, mais nous avons néanmoins ciblé plusieurs priorités. Dans le cadre de ma prise de poste, je dois notamment rencontrer, à court terme, les différents acteurs de marché, aussi bien internes qu’externes. J’en connais un certain nombre puisque je suis présent dans la rechange automobile depuis novembre 2021. Je fais également partie du board de Bosch Europe depuis sept ans.
À moyen et long terme, j’ai pour objectif de maintenir et d’accroître l’excellence opérationnelle en termes logistiques et de "time to market". Nous devons aussi affirmer notre rôle de leader technologique pour les nouvelles offres. On parle beaucoup d’électromobilité, mais ce n’est pas le seul sujet qui nous occupe. Nous avons été pionniers sur l’éco-entretien depuis une dizaine d’années.
Il y a aussi le remote diagnostic, un service qui prend de l’importance sur le marché. L’objectif est donc de poursuivre notre dynamisme commercial avec nos gammes de pièces et d’équipements. Nous voulons aussi développer notre réseau Bosch Car Service, qui compte aujourd’hui 700 garages en France.
J2R : À deux mois du terme de cet exercice 2023, quel premier bilan tirez- vous de l’activité aftermarket du groupe en France ?
G.N. : Au terme de 2022, nous sortions d’une année record. Ce qui nous avait poussés à rester très attentifs pour cet exercice 2023. Finalement, nous avons enregistré une croissance solide, en particulier au cours du premier semestre. Depuis cet été, et plus précisément depuis août, nous ressentons une baisse d’activité qui s’est accentuée en septembre.
Octobre semble être plus dynamique mais globalement, le second semestre s’annonce moins porteur que le premier. C’est un constat que nous pouvons faire pour l’ensemble de nos canaux de distribution, à l’exception du e-commerce. Mais nous devrions réaliser une bonne année malgré ce coup de mou.
J2R : Comment expliquez-vous ce ralentissement d’activité ?
G.N. : Difficile d’avoir une réponse claire et précise sur le sujet. Lorsque j’échange avec mes homologues évoluant dans d’autres secteurs d’activité (outillage électroportatif, électroménager, etc.) au sein du groupe, ils constatent tous cette même tendance. Ce n’est donc pas un phénomène lié à notre marché, c’est beaucoup plus large. Il est certain que l’inflation doit jouer un rôle dans ce ralentissement.
Dans l’automobile, par exemple, il suffit que les automobilistes attendent un mois pour l’entretien courant de leur véhicule pour que nous perdions 8 % du chiffre d’affaires annuel.
L’inflation semble s’être installée dans le quotidien des Français depuis deux ans.
J2R : Cette conjoncture a-t-elle perturbé vos activités ?
G.N. : L’inflation a effectivement perturbé notre activité. À la manière des autres acteurs de ce marché, nous avions pour habitude de publier un tarif annuel avec quelques ajustements marginaux au cours de l’exercice.
Mais en 2021-2022, pour la première fois, nous avons dû revoir nos tarifs globaux à plusieurs reprises. C’est un énorme travail pour nos équipes marketing, commerciales et logistiques qui ont été longuement mobilisées par ce sujet. Il faut aussi expliquer à nos clients les raisons de ces changements de tarifs. D’autant que ces hausses n’ont pas été homogènes sur toutes nos familles de produits puisqu’elles dépendent des cours de matières premières, des process de fabrication, etc.
Aujourd’hui, l’inflation semble se calmer, même si nous ne reviendrons pas aux niveaux que nous connaissions il y a deux ans. Les prix de l’énergie restent élevés, tandis que les salaires qui ont été augmentés ne seront pas revus à la baisse…
J2R : Cette conjoncture a favorisé chez vos clients distributeurs le développement des MDD. Leur progression risque-t-elle de pénaliser les marques premium ?
G.N. : Il y a deux aspects dans la MDD. Elle peut, tout d’abord, satisfaire un besoin auquel nous ne répondons pas forcément, notamment auprès de clients n’ayant pas les moyens d’accéder aux produits d’une marque premium. La MDD n’a d’ailleurs de sens que vis-à-vis d’une marque premium. Ce sont deux offres complémentaires qui s’adressent à deux segments de clients différents.
Quand une MDD devient, en revanche, une stratégie qui peut parfois être dogmatique, c’est différent.
Ça signifie qu’on impose alors une marque privée. Ce phénomène reste toutefois difficile à analyser, puisque ses impacts sont variables selon les familles de produits. Nous ne pouvons pas avoir une approche globale sur ce sujet pour l’ensemble de notre portefeuille de produits. Néanmoins, nous sentons effectivement que ces MDD bénéficient du contexte inflationniste. Et nous voyons que d’autres acteurs les poussent pour des raisons de stratégie d’entreprise. Ce qui peut donc représenter une menace.
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Nous restons attentifs à cette évolution, même si nous avons la chance de constater que la marque Bosch est aujourd’hui une valeur refuge. Elle résiste très bien à ces tendances autour des MDD. Nous le constatons sur plusieurs canaux de distribution, en particulier chez les retailers où les MDD font partie du panorama depuis longtemps et leur part de marché, sur une période longue, n’a pas réellement augmenté. D’ailleurs, de notre côté, nous n’avons jamais vendu autant de produits Bosch.
J2R : Pour répondre aux besoins du parc vieillissant, le groupe envisage-t-il le développement d’une seconde marque dépositionnée ?
G.N. : Au sein du groupe Bosch, nous avons toujours tenu compte du vieillissement des véhicules en proposant plusieurs segments de produits dans nos gammes.
Nous n’avons pas pour projet de créer une marque B car nous en avons déjà une : HC Cargo.
Elle fait partie de notre portefeuille depuis quelques années mais ne couvre pas toutes les gammes de produits, car le besoin ne s’en est pas fait ressentir. Aujourd’hui, HC Cargo s’axe principalement sur les familles machines tournantes et pièces de climatisation. Pour des segments très spécifiques, comme l’essuyage, nous pouvons aussi proposer des produits sous la marque Bosch Eco. Ça reste toutefois très anecdotique. D’ailleurs, malgré ces offres, nous nous sommes rendu compte que nos clients finaux privilégient finalement nos produits Bosch premium. Les autres segments ne représentent qu’une part infime de nos ventes.
J2R : Comment préparez-vous la transition énergétique du parc roulant et l’essor des motorisations électriques ?
G.N. : C’est un énorme défi pour de nombreux équipementiers, et notamment pour le groupe Bosch. Les répercussions en première monte sont très importantes. On ne convertit pas à l’électrique des lignes dédiées à la production de motorisations diesel du jour au lendemain. Pour ce qui concerne le marché de la rechange, c’est aussi un défi, même si nous bénéficions d’un décalage vis-à-vis de la première monte.
Nous avons la chance d’être un groupe international, et nous pouvons donc constater les avancées de cette transition vers l’électromobilité dans les marchés scandinaves, en particulier en Norvège. Nous comptons notamment un garage Bosch Car Service à Oslo qui réalise aujourd’hui 90 % de son activité avec le véhicule électrique. C’est d’ailleurs la force du groupe : nous ne sommes pas qu’un équipementier, nous avons aussi un réseau de garages qui nous permet d’être en prise directe avec les besoins du marché.
Ce qui nous permet d’affiner nos offres en termes de produits, d’équipements d’atelier, de méthodologies de travail ou encore de formation. C’est ce qui nous a permis de lancer, par exemple, le pack EV dans toute l’Europe. Destiné à nos Bosch Car Service dans un premier temps, ce programme doit leur permettre d’être prêts à intervenir sur ces nouveaux véhicules.
Avec des batteries de 400 V et bientôt de 800 V, ce type de motorisations n’autorise pas l’à-peu-près. Cette activité nécessite des certifications et des process précis à respecter. D’ailleurs, au-delà de ce pack EV, nous avons encore beaucoup de choses dans les cartons liées à l’évolution du parc roulant…
J2R : À Equip Auto Lyon, le groupe a annoncé le lancement d’un programme pour la réparation des batteries des véhicules électrifiés. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
G.N. : C’est un projet pilote lancé en Allemagne dans un premier temps. Il s’agit d’un programme de réparation des batteries des véhicules hybrides Toyota. Ces modèles sont en circulation depuis de nombreuses années, et nous nous rendons compte que leurs batteries se rechargent moins facilement et perdent en autonomie.
Sur ces véhicules assez âgés, le remplacement des batteries reste assez onéreux pour les consommateurs finaux. D’un point de vue environnemental, l’opération est aussi difficilement acceptable. En revanche, il est techniquement possible de remplacer les modules défaillants et de récupérer une majeure partie des capacités de la batterie.
C’est pourquoi nous avons lancé ce kit de réparation qui permet de diagnostiquer l’état de la batterie et de remplacer uniquement les modules dysfonctionnels, en gardant l’électronique de puissance, les ventilateurs, etc. Et ce avec un haut de niveau de qualité, dans le respect des préconisations du constructeur. Ce service sera accessible en France dès 2024 car il répond à une véritable attente du marché. Ces véhicules sont, en effet, de plus en plus présents dans les ateliers et en seconde main.
J2R : Une récente étude conduite par le groupe Bosch a révélé que 25 % des réparateurs considèrent que le véhicule électrique n’est pas une priorité pour le futur de leur établissement. Est-ce préoccupant, selon vous ?
G.N. : Ce chiffre peut paraître préoccupant. Il y a peu, j’échangeais d’ailleurs avec un garagiste qui croyait encore que l’électrique n’était qu’une bulle sans avenir… Pourtant, les immatriculations de ces véhicules hybrides et électriques représentent désormais plus de 20 % du marché du neuf.
La tendance vers l’électromobilité est très forte, mais certains professionnels semblent encore réfractaires à ce changement. Il faut leur rappeler que de nouvelles opportunités vont émerger avec l’électrique. De nouvelles pièces seront changées sur ces véhicules, et des services innovants vont également voir le jour.
Mais ces opportunités ne tomberont pas du ciel : il faut se former, investir, etc.
Au-delà de ce constat, je reste prudent avec ce chiffre, car parmi ces 25 % de réparateurs figurent peut-être des professionnels en fin de carrière ou des ateliers situés dans des zones avec un faible parc de VE. Je préfère voir le verre à demi plein : finalement, l’étude révèle que 75 % d’entre eux s’investissent déjà dans ces nouvelles motorisations. Lors de la dernière convention Bosch Car Service, nous avons rencontré de nombreux chefs d’entreprise qui croient à l’électrique et s’impliquent pleinement dans cette activité. C’est aussi notre rôle de faire cet effort de pédagogie auprès des réparateurs.
J2R : Bosch promeut l’échange standard depuis plusieurs années avec son programme eXchange. La pièce de réemploi pourrait-elle vous intéresser également ?
G.N. : Nous n’avons pas de projet dans ce domaine, car la pièce de réemploi est principalement issue des centres VHU agréés. En revanche, nous avons effectivement été précurseurs sur l’échange standard depuis de nombreuses décennies. Cela représente désormais plus de 16 000 références chez Bosch sur plusieurs gammes telles que les alternateurs-démarreurs, l’injection, les étriers de frein, etc. Ce service répond aussi à un réel besoin du marché.
Sur la famille alternateurs-démarreurs, par exemple, l’échange standard représente 90 % de nos ventes !
Ce sont des produits reconditionnés notamment dans notre usine en Ukraine, ce qui a aussi une importance symbolique en ce moment… Et tous les ans, l’échange standard nous permet d’économiser 3 000 tonnes de métaux et l’équivalent carbone de 600 000 arbres. Outre l’échange standard, nous allons encore plus loin en fournissant les pièces et composants nécessaires à la réparation de différents organes tels que les injecteurs ou les calculateurs.
Le groupe Bosch s’est aussi il lustré en avril dernier en créant, avec le recycleur Rhenus Automotive, la première usine de déconstruction de batteries lithium-ion. Ce site est unique puisque le groupe a conçu un système automatique qui permet de décharger complètement un module en quelques minutes.
J2R : La justice européenne vient de rendre une décision qui semble remettre en cause les "secure gateways" des constructeurs. En tant que spécialiste de la maintenance et du diagnostic électronique, quelle est votre position vis-à-vis de cette décision de justice ?
G.N. : C’est un sujet évidemment complexe puisque, d’un côté, nous comprenons le besoin légitime des constructeurs de sécuriser l’informatique de leurs véhicules. Ce besoin est encore plus important avec les systèmes "over the air" : avec les mises à jour à distance, les risques de piratage sont encore plus élevés.
Mais d’un autre côté, ce niveau de sécurité exigé par les constructeurs ne doit pas remettre en cause l’accès aux données du véhicule et le libre choix du réparateur. Nous n’avons pas de commentaire particulier à apporter sur cette décision. Il y a une loi, et la Cour de justice européenne a clarifié les choses sur cette différence de points de vue entre les acteurs concernés.