La pièce technique au centre des mutations de l'après-vente

Si la définition précise de la pièce technique divise encore les spécialistes, une chose est sûre : elle se distingue nettement de la pièce à forte rotation (plaquettes de frein, filtres, amortisseurs, etc.). Pour compliquer la problématique, certaines références fluctuent, intégrant ou quittant cette catégorie au fil du temps. Ce flou reflète sans doute les mutations profondes que connaît actuellement le secteur de l'entretien-réparation, autant que le positionnement stratégique de ses acteurs. Le segment de marché des pièces techniques est encore dominé à 70 % par les constructeurs. Le potentiel de croissance est donc réel pour les indépendants.
Si la pièce technique était traditionnellement réservée aux réseaux constructeurs, elle est aujourd'hui au cœur de la stratégie commerciale d'un nombre croissant de distributeurs. Injecteurs, capteurs, systèmes antipollution, organes électroniques de transmission… autant d'éléments exigeant une expertise pointue et des services à forte valeur ajoutée. Chez Alternative Autoparts, qui s'appuie dans ce domaine sur l'expérience d'IDLP – spécialiste historique des organes moteur – ces familles de produits représentent désormais la moitié des ventes. Dans les rangs d'Autodistribution, on estime qu'elles comptent pour 9 % du chiffre d'affaires. Mais elles y affichent une croissance annuelle de 10 %.
Pièces techniques : la nouvelle donne
Sur le terrain, dans les magasins ou les ateliers, le périmètre de ce segment de marché varie donc selon les acteurs. "Une pièce est technique lorsqu'elle nécessite davantage qu'une simple compétence mécanique, estime Julien Merlaud, responsable marketing chez Alternative Autoparts. Cela peut impliquer une formation spécifique pour la sécurité du véhicule ou des interventions comme la reprogrammation, notamment sur une vanne EGR." Pour Christophe Combes, directeur des opérations d'IDLP, cette catégorie de produits regroupe les injecteurs, pompes, capteurs, mais aussi les systèmes de dépollution, assistance au freinage et Adas. Mais pas une pièce de suspension et de direction (PSD), d'après lui.
"Une pièce est technique lorsqu'elle nécessite davantage qu'une simple compétence technique" Julien Merlaud, responsable marketing chez Alternative Autoparts
Alliance Automotive Group adopte une approche plus souple. Pour Luc Fournier, directeur des activités Green & Innovation d'AAG, il s'agit avant tout d'une pièce de panne. "Nous classons les pièces techniques en trois familles : les systèmes thermiques et diesel (injection et admission), les capteurs tels que les vannes EGR, et enfin les organes liés à la sécurité", détaille-t-il. Cette définition simplifiée se rapproche de celle privilégiée par le réseau Autodistribution, qui parvient à être encore plus concis. "Pour nous, la pièce technique correspond à tout élément pouvant déclencher une alerte OBD ou contribuer à la pollution", résume Florian Audigier, promoteur pièces techniques du groupement au triangle rouge. Les anciennes pompes à injection ne font plus partie de ce catalogue, mais les systèmes AdBlue y sont récemment entrés, indique-t-il.
Des gammes de plus en plus diversifiées
Autre spécificité de ce segment de marché : il ne cesse de croître avec le vieillissement du parc roulant. Raison pour laquelle MS Motorservice France peut aujourd'hui se targuer d'une stratégie dynamique de développement de produits. Le fournisseur met à la disposition des grossistes un catalogue exhaustif. Celui-ci est articulé autour de trois gammes principales : les pièces techniques (Pierburg), les pièces moteur (Kolbenschmidt) et les turbos. "Toutes les nouveautés sont adaptées aux spécificités du parc français, dans une logique « time to market ». C'est très attendu par les distributeurs, car c'est ce qui va faire d'eux des spécialistes en local", affirme Yves Maillière, directeur général de MS Motorservice France.
Le remplacement des injecteurs, opération emblématique des pièces techniques, exige une expertise pointue. Ces composants complexes bénéficient aussi d’une dynamique croissante sur le marché du remanufacturé. ©Norauto
Dans ce portefeuille produits, l'équipementier promeut ainsi ses nouvelles lignes de pièces techniques (notamment ses capteurs) en constante évolution. La gamme moteur ne cesse également de s'élargir, en particulier avec les kits chaînes et couvre-culasses, au succès grandissant. Enfin, MS Motorservice France s'est forgé une solide réputation grâce à sa ligne de turbos. Celle-ci compte plus de 7 000 références en VL, PL, marine, agricole, etc.).
Même stratégie chez ZF Aftermarket, qui repose sur une diversification notable des références techniques. "Nous observons une généralisation de technologies comme les volants bimasse de notre marque Sachs sur les véhicules downsizés (notamment les moteurs 3 cylindres), ainsi que le déploiement massif d'équipements spécifiques pour les véhicules électrifiés : frein de parking électrique EPB, booster de freinage électronique EBB, et nos plaquettes Electric Blue pour motorisations électriques. Le freinage devient une pièce technique clé, au même titre que les embrayages ou les solutions de dépollution", analyse Gilbert Soufflet, responsable communication et évènements pour l'équipementier allemand.
Un marché porteur
Si sa définition reste fluctuante, une chose est sûre, la pièce technique affiche une bonne dynamique commerciale. Cela, avec des marges non négligeables à la clé. Elle peut jouer également un rôle stratégique en matière de fidélisation… "Ce sont des pièces d'appel. La disponibilité prime alors sur le prix", explique Florian Audigier.
Parmi les fournisseurs, Delphi confirme que ce segment est globalement porteur. "Les capteurs, en particulier, se distinguent grâce à un contexte favorable, indique Caroline Silly, category manager de Delphi. Les véhicules de viennent de plus en plus technologiques pour améliorer les performances environnementales (consommation de carburant, émissions, etc.) et sécuritaires (nouvelles normes Adas pour répondre à l'objectif « zéro mort » sur les routes en 2050 fixé par l'Union européenne)." Et de citer l'estimation de BIS Research. Celle-ci prévoit qu'en France, la rechange de capteurs passerait de 6,5 à 29,2 millions d'unités vendues entre 2023 et 2033 – soit une multiplication par 4,5.
Pour sa part, Latifa Boussif, responsable marketing de Magneti Marelli France, observe une progression soutenue du marché des injecteurs. "Surtout en diesel, avec une forte demande en injecteurs common rail. Marelli a d'ailleurs lancé en février dernier une nouvelle gamme d'injecteurs GPL pour des performances élevées et une durée de vie prolongée", complète la responsable. Elle ajoute que les références électriques bénéficient d'une bonne dynamique "avec une forte demande, notamment sur les alternateurs, démarreurs et batteries".
"Marelli a lancé en février une nouvelle gamme d'injecteurs GPL" Latifa Boussif, responsable marketing de Magneti Marelli France
Le coût élevé de ces pièces de rechange favorise par ailleurs une hausse de la demande pour le reconditionné et les pièces de réemploi. Une tendance qui avantage naturellement les spécialistes du remanufacturing. Par exemple, le groupe IDLP s'appuie sur l'une de ses filiales pour rénover différentes lignes de produits (injecteurs, turbos, etc.). Ceux-ci sont distribués sous sa marque Techn-Parts. Si la logistique des pièces techniques est généralement maîtrisée, certaines références sont complexes à gérer.
"L'embrayage est particulièrement problématique, avec une marge faible et une gestion logistique délicate", rapporte Christophe Combes. De même, Julien Merlaud précise qu'à l'exception de la sonde lambda, non reprise une fois ouverte, la majorité des pièces techniques suivent un flux standard. Leur gestion commerciale, en revanche, reste exigeante : peu de promotions, pas d'animations spécifiques. "Ce sont des produits chers, mais sans marge très importante quand elles ne sont pas à très forte valeur ajoutée. Mais nous pouvons nous distinguer grâce à cette famille de produits", affirme Nicolas Touchant, directeur commercial et support d'Autodistribution.
Quand la technicité monte d'un cran
Face à la technicité croissante du parc, le support client devient en effet stratégique. Il représente un véritable levier de différenciation. En accompagnant – voire en assistant directement – ses clients réparateurs pour réduire le temps d'immobilisation des véhicules, le réseau Autodistribution renforce leur fidélité sur d'autres familles de pièces. Le groupe souligne que cette expertise repose largement sur la qualité des relations humaines. "Nous ne comptons pas d'équipe terrain dédiée à la pièce technique, mais nous travaillons à ce que tous nos vendeurs le deviennent", explique Florian Audigier.
"Nous pouvons nous distinguer grâce à notre offre de produits liés à l'embrayage" Nicolas Touchant, directeur commercial et support d'Autodistribution
"Lorsque nous vendons une pièce technique, nous ne fournissons pas uniquement une notice de montage, mais aussi des procédures spécifiques", ajoute Nicolas Touchant. "Par exemple, remplacer une boîte de vitesses exige que l'ordinateur de bord soit complètement au repos, tandis que certains injecteurs et vannes EGR nécessitent un apprentissage routier précis, en suivant une check-list imposant une vitesse précise sur une certaine distance."
Dans ce contexte, les groupements consacrent de gros efforts au support client. Chez Alternative Autoparts, la hotline technique traite chaque jour 50 à 70 appels de niveau 1 (pour identification). Elle monte jusqu'au niveau 3 (diagnostic à distance) dans certains cas. L'équipe dédiée comprend deux techniciens fixes et un support volant. En outre, une plateforme extranet permet de localiser les relais et leurs spécialités. Puis, elle met en relation clients et spécialistes.
Former les techniciens et identifier les pièces
Chez Alliance Automotive, l'accompagnement technique constitue également une priorité. "Nous avons huit techniciens hotline et quatre personnes chargées de la recherche de pièces. Nous parvenons à résoudre 98 % des demandes. Cela évite aux garagistes d'aller chez le concessionnaire pour monopoliser la valise de diagnostic pendant trois heures", rapporte Luc Fournier. Surtout, ce service permet aux ateliers de répondre au plus vite aux besoins des automobilistes. Pour régler les cas les plus difficiles, AAG leur propose aussi des rendez-vous en ligne pour des interventions à distance.
Les plaquettes de frein TRW Electric Blue, destinées aux VE, rejoignent les pièces techniques. Si leur montage semble simple, l’intervention implique des procédures spécifiques pour sécuriser le véhicule et interagir avec l’électronique embarquée. ©ZF/TRW
Dans ce contexte, la formation des équipes internes et des réparateurs demeure primordiale. "C'est dans notre ADN", insiste Julien Merlaud. Alternative Autoparts organise régulièrement des sessions techniques, avec le soutien de DAF Conseil. Alliance Automotive dispose de son propre centre certifié Qualiopi, actif depuis deux ans. Tandis qu'Autodistribution investit également massivement dans ce domaine.
Identifier les références techniques représente aussi un défi majeur. Il s'agit d'ailleurs de l'une des principales activités des hotlines. Entre les nomenclatures parfois différentes d'une marque à l'autre et les variations de références en première monte, on peut facilement se tromper. On peut alors monter une pièce qui n'est pas reconnue par le calculateur. Raison pour laquelle le projet Goliath chez AAG vise à harmoniser les familles de pièces techniques à l'échelle européenne.
Fidèle à sa philosophie, MS Motorservice France ne se limite pas non plus à la commercialisation de son catalogue. Grâce à une connaissance approfondie du métier de distributeur, l'équipementier aide ses clients à optimiser leur stock. Cela, en présentant une sélection des références à proposer en H+4 ou J+1. "Nous avons une véritable expertise de ce que doit stocker un distributeur", affirme Yves Maillière.
L'électrique redistribue les cartes
Avec l'électrification croissante du parc, certaines pièces courantes deviennent techniques. "Des plaquettes de frein pour véhicules électriques nécessitent parfois une connexion permanente au calculateur", relève Christophe Combes. "De même, la climatisation des véhicules hybrides et électriques devient technique, notamment à cause des contraintes de refroidissement des batteries", complète Julien Merlaud.
La pièce technique va donc continuer à structurer durablement le marché de l'après-vente automobile. "C'est un indicateur de maturité de notre secteur", conclut Florian Audigier. Elle restera un levier essentiel de différenciation, à condition d'assurer service, disponibilité et compétences techniques. Une véritable course de fond.