Le marché de la batterie poursuit sa mue
"Hors normes" : plusieurs équipementiers et distributeurs utilisent cette expression pour qualifier leur activité batteries en 2021. Une année atypique qui avait été suivie d'un exercice dans l'ensemble satisfaisant. "Le premier semestre 2022 a été compliqué, mais la seconde partie d'année a connu une belle relance avec une réaccélération en septembre, et même une forte demande difficile à absorber en fin d'année, retrace Maxime Debroize, responsable commercial de Steco Power. Cela n'a pas suffi à rattraper le retard, mais nous avons atteint un point d'équilibre en raison de l'inflation, qui a fait augmenter le prix moyen des produits." Une activité légèrement à la baisse en volumes, mais stable ou légèrement en hausse en valeur, donc.
L'envolée des coûts
Des perturbations qu'il faut d'abord imputer à la tendance cyclique du marché de la batterie – "deux bonnes années, puis trois moins bonnes", entend-on souvent – mais également aux événements récents. "Depuis la pandémie de Covid, de nombreux phénomènes nous ont obligés à nous remettre en question, rappelle Michel Meyer, responsable commercial France de Banner. Nous avons connu des problèmes de transport, avec un manque de camions, de chauffeurs, des coûts de carburant qui ont explosé… Cela a aussi été le cas pour la matière, que ce soit la solution acide dans les batteries, le plastique ou encore le plomb." Le transport, la matière… mais aussi l'énergie.
Le gaz, utilisé notamment pour thermoformer, et l'indispensable électricité ont vu leurs coûts exploser en 2022 sur l'ensemble du continent européen. Et, contrairement à ce qui a pu être mis en place en France pour les particuliers, les professionnels n'ont pas bénéficié des mêmes boucliers tarifaires. "Pour l'énergie utilisée dans la fabrication de batteries plomb-acide, les augmentations de coûts sont à trois chiffres en Europe, constate Étienne Gyongyosi, chef de produits batteries chez Bosch. Et puisque les contrats d'engagement sont parfois signés sur plusieurs années pour ces industries, les coûts de production ne vont pas baisser instantanément dès que les prix de l'énergie vont diminuer."
"Il ne faut pas négliger l'inflation naturelle du fait des technologies, ajoute Cédric Jorant, directeur général de Clarios France. Les composants des batteries start & stop font monter le coût de la batterie." Pour tous les acteurs, la hausse des tarifs a été inévitable pour compenser cette inflation impossible à absorber. Tous la situent entre 10 et 15 %, plus ou moins étalée dans le temps, et expliquent qu'il n'était pas possible de répercuter plus les augmentations subies. "La batterie est un produit sensible, souligne Pierre Le Touze, chef de produits batteries chez Proxitech. Nous révisons nos prix tous les trimestres en fonction du coût du plomb et du coût énergétique. Mais l'an dernier, nous avons dû lâcher entre 2 et 3 % de marge brute." Pour compenser ces pertes, Proxitech innove et a lancé, au cours de l'été 2023, une application mobile permettant de trouver, parmi les marques proposées par le distributeur, la batterie qui convient à son véhicule en scannant simplement sa plaque d'immatriculation.
Objectif stabilité
Première conséquence de cette conjoncture : 2023 n'est pas annoncé comme un exercice particulièrement prolifique. D'autant que l'hiver n'a pas été très froid, et juillet-août un peu moins chauds que les années précédentes. De fait, les batteries ont moins souffert, et les plus fragiles pourraient atteindre 2024. Même chez Proxitech – qui a battu des records en 2022 grâce à des partenariats renforcés, des conquêtes clients et un travail important sur ses stocks – on prévoit déjà que "2023 ne sera pas un grand cru".
Pierre Le Touze ajoute : "L'objectif sera d'atteindre le niveau de 2022. Même une régression de 1 % serait satisfaisante." Deuxième conséquence : l'essor des MDD. "La demande a changé : les clients veulent des prix plus intéressants, ils sont à la recherche de bonnes affaires. Avant, on remettait le plus souvent la batterie qu'on avait au moment d'en changer. Si c'était du premium, on remettait du premium. Désormais, le client arrive avec un portefeuille établi", analyse Maxime Debroize. Les écarts de prix constatés entre les MDD et le premium avoisinent généralement les 20 %.
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La question tarifaire devenue un enjeu majeur pour le consommateur, cela n'est pas négligeable sur un produit aussi coûteux que peut l'être la batterie. Et les équipementiers doivent s'adapter. "On a de plus en plus de demandes, et la majeure partie de nos partenaires font en sorte d'avoir des gammes plus complètes pour répondre à l'ensemble des applications marché, tant avec leurs gammes MDD que premium, note Vincent Hego, directeur général d'Ecobat Battery France. Pendant de nombreuses années, les gammes MDD étaient assez courtes, mais certaines répondent aujourd'hui à 95-98 % des demandes du marché." Face à cette mode forcée de la MDD, les marques premium doivent continuer de séduire.
À travers elles, les équipementiers jouent la carte de la réassurance. "La batterie est un petit cube avec de l'énergie qui peut vite créer des problèmes de démarrage s'il n'est pas en bonne santé : je ne peux pas déposer mes enfants à l'école ou aller travailler. La batterie premium garde donc une part sérieuse de marché car les clients sont toujours orientés sécurité." Bosch utilise un autre élément de persuasion : l'extension de garantie offerte. Le programme Easyway donne une année supplémentaire en plus des deux ou trois ans de garantie contractuelle, selon la batterie. À cette année supplémentaire sont associés différents services comme l'assistance dépannage et le test de la batterie.
Le start & stop continuera de porter le marché
Mais l'élément qui joue le plus en faveur du premium vient du VN : le start & stop y est de plus en plus présent. Pour la rechange, cela concerne actuellement un tiers des batteries selon Cédric Jorant, et la moitié d'ici à deux ans. "Le taux de batteries start & stop est plus élevé pour les marques premium que pour les MDD, donc le premium garde l'avantage. Les marques budget ne proposent généralement pas de produits start & stop. De fait, elles voient leur part du gâteau diminuer." Si le nombre de références chez les équipementiers n'explose pas, le mix entre les batteries 12V standards et les start & stop change à la faveur de ses dernières.
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"Nous vendons de plus en plus de batteries techniques sans forcément pousser les ventes, remarque Michel Meyer. Les demandes se font plus naturellement, et les réparateurs demandent de moins en moins de formations : c'est entré dans les usages." Pour le start & stop, deux technologies se distinguent : l'AGM et l'EFB. Très présente sur les véhicules urbains type Twingo, Polo ou encore Peugeot 208, l'EFB est celle dont la progression est dernièrement la plus rapide. D'autant qu'elle est la moins onéreuse des deux. "L'EFB fait son grand retour en première monte, mais les grossistes préfèrent souvent stocker de l'AGM pour éviter les doublons et parce qu'elle tient plus longtemps. Elle ne revient que rarement en garantie", informe Pierre Le Touze.
Dans l'ensemble, l'AGM garde en effet de l'avance, notamment parce qu'elle est plus performante, pouvant par exemple récupérer de l'énergie au freinage. Cédric Jorant craint même une tension dans les prochaines années. Il s'en explique : "La demande cumulera les véhicules thermiques des 5-7 dernières années arrivant à la rechange, mais aussi des marchés que l'on n'imaginait pas demandeurs de start & stop, comme les États-Unis ou la Chine. Et il y aura les véhicules hybrides et électriques…"
Entre avenir assuré et défis à relever
En effet, les batteries AGM seront présentes sur la majorité des VE pendant encore longtemps. Leur rôle est avant tout sécuritaire : en cas de défaillance de la batterie de traction, elle doit permettre d'arrêter le véhicule sans danger, et elle alimente les calculateurs, ABS ou plus simplement les vitres latérales et le verrouillage/ déverrouillage du véhicule. "Les profondeurs de gammes seront moins importantes mais toujours existantes, prévoit Vincent Hego. Il est en revanche primordial aujourd'hui pour les réseaux de distribution de bien se préparer à la transition." Notamment parce que, du fait de l'électrification, ces batteries vont souvent rentrer dans des programmes de maintenance et pourraient échapper au marché de la rechange.
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"Les réparateurs qui proposent des tests de batterie pour permettre aux conducteurs d'anticiper des pannes prendront plus de parts de marché sur le start & stop, comme c'est déjà le cas sur les véhicules non électriques", estime Cédric Jorant. Chez Banner, Michel Meyer exprime une inquiétude : "On nous annonce une baisse marquée de l'ampérage moyen avec l'arrivée des VE. La tendance actuelle à la rechange, c'est du 70-80 ampères, quand la première monte est sur du 12 à 50 ampères. Cela va abaisser le prix de vente, et donc le revenu des équipementiers batterie." Pour répondre à cette difficulté, Banner s'est diversifié avec une seconde usine pour renforcer ses gains en batteries hors démarrage. Cela permettra de compenser ces pertes.
La diversification par la batterie de traction est-elle possible ? Cela semble difficilement imaginable. Les constructeurs fabriquant les leurs, elles devraient rester dans leur giron un moment. "Peut-être que nous aurons accès à certaines batteries au lithium dans dix ans, mais ce marché reste confidentiel sur la rechange, note Maxime Debroize. Les constructeurs se sont aussi gardé la niche des 48 volts hybrides. S'il y a des opportunités, nous les étudierons." Clarios prévoit l'arrivée future de nouvelles batteries pour prendre, à terme, la place des auxiliaires 12V dans les VE. "Ce seront des mini-batteries au lithium, qui iront de 3 à 48 volts, pour assurer la maintenance de tous les éléments électriques embarqués. Nous avons l'ambition de devenir leaders sur ce segment", affirme Cédric Jorant.
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Reste la question du recyclage des batteries au lithium. Si des entités comme Ecobat Solutions l'assurent, la pratique n'est pas encore répandue. "Quand vous retournez votre batterie au plomb pour la recycler, on vous donne de l'argent. C'est une filière positive. À l'inverse, quand vous retournez votre batterie lithium, ça vous coûte beaucoup d'argent", résume Vincent Hego. Avant de conclure : "Nous investissons sur le sujet, avec deux usines en Europe et bientôt une troisième, car les enjeux sont importants. Nous voulons pouvoir proposer des solutions de recyclage à nos clients." Continuer de rendre plus vertueuse et responsable la production dans l'automobile est l'affaire de tous.