Le marché de la filtration entre conservatisme et renouvellement
Ne pas s'arrêter en si bon chemin. Depuis 2021 et la reprise de l'activité post-Covid, le marché de la filtration ne cesse de surprendre. Sans qu'aucune innovation notable ne soit venue bouleverser les gammes en 2023, l'année a de nouveau été bonne pour les spécialistes de cette ligne de produits. Et 2024 n'enrayera vraisemblablement pas cette dynamique positive. "Le marché de la filtration continue de représenter l'un des segments les plus intéressants. Il fait partie des moins touchés dans cette période de ralentissement des marchés", note Giuseppe Cofano, directeur commercial France & Benelux chez UFI Filters. L'italien a poursuivi sa croissance en 2023 sur toutes ses familles de produits.
Même constat chez Mecafilter. "Nous avons encore connu de belles progressions : notre production augmente et nous vendons tout ce que nous fabriquons", affirme Riadh Abdelkefi, directeur général de Solaufil (Mecafilter). Son adjoint, Mourad Chaffai, confirme : "Nous continuons d'accélérer les intégrations en interne pour réduire notre dépendance à des équipementiers externes et améliorer notre compétitivité. Nous avons par ailleurs sorti deux nouvelles références très demandées de filtres à gazole qui ont un fort potentiel de volumes. Plus on produit chez nous, plus on est compétitif et plus nos volumes augmentent."
L'inflation s'est calmée
Sans surprise, le vieillissement du parc joue un rôle non négligeable dans le développement du marché. L'inflation, qui empêche certains automobilistes de se tourner vers des véhicules neufs, fait aussi effet. "Le marché est plutôt porteur, mais nous constatons des dynamiques différentes selon les marques que l'on peut distribuer", informe Julien Volpi, directeur commercial aftermarket France et Benelux de Mann+Hummel.
Certains consommateurs retardent le changement d'un filtre, d'autres demandent des devis plus serrés à leur garagiste et optent pour des marques budget. Chez Mann+Hummel, la marque alternative Wix continue de se développer en ce sens. "Mais c'est une offre complémentaire qui n'a pas pour but de se substituer à nos produits premium", martèle Julien Volpi. De manière générale, l'inflation s'est calmée sur les produits filtration. "Nous sommes revenus à une stabilité de prix plus raisonnable, confirme Pierre-Henri Tinet, directeur marketing IAM de Sogefi. Mais la situation reste tendue. Nous restons attentifs aux évolutions du marché."
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Côté approvisionnement, ceux qui produisent en Europe se trouvent avantagés par rapport aux importateurs de produits ou matières venant d'Asie, les tensions autour du canal de Suez persistant. C'est le cas de Mann+Hummel, qui fabrique en Allemagne pour sa marque Mann-Filter et en Autriche pour Wix. Mecafilter a été également épargné par cette problématique.
Toute notre matière vient d'Europe. Cela nous permet d'avoir du stock et de maintenir un taux de service de 95-96 %. Quand certains concurrents français ont peiné en taux de service, nous avons pu progresser, et avons même continué d'investir dans nos capacités de production.rappelle Riadh Abdelkefi.
Les filtres à huile et carburant performent toujours
Best-seller de cette famille de pièces, le filtre à huile continue de porter le marché. "Il représente encore 35 % de nos volumes, tous filtres confondus, souligne Pierre-Henri Tinet, alors que Sogefi a pris des parts de marché sur l'ensemble des filtres. Nous ne constatons aucun fléchissement des ventes, et continuons donc d'assurer la meilleure couverture de parc possible."
Un élément suffit à expliquer cette constance : le filtre à huile reste systématiquement changé lors d'une vidange. Si celle-ci est moins fréquente aujourd'hui qu'il y a quelques années, le réflexe du changement du filtre à huile garantit ses bonnes performances tant que le parc thermique restera conséquent. D'autant que son augmentation en valeur compense une légère baisse générale des volumes. En effet, la technicité du produit n'a cessé d'évoluer ces dernières années.
"Historiquement, nous étions sur des médias filtrants classiques, issus d'arbres, mais on passe de plus en plus à des médias synthétiques. Nos ingénieurs connaissent parfaitement les particules et parviennent à faire un papier synthétique très efficace qui baisse le différentiel de pression entre l'entrée d'huile et la sortie", détaille Julien Volpi.
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Chez UFI Filters, Giuseppe Cofano souligne la place grandissante des filtres à huile Eco-Cartridge, dotés de cartouches interchangeables : "Ils se sont imposés, notamment pour des raisons de durabilité. Ces cartouches filtrantes peuvent être brûlées sans laisser de résidus. Les véhicules équipés d'un filtre à huile Eco-Cartridge dominent désormais le parc automobile, faisant diminuer la part de ceux équipés de la technologie obsolète Spin-on."
Avec encore près d'un quart des ventes sur le marché, le filtre à carburant reste une autre valeur sûre du marché. Plus technique que le filtre à huile, sa valeur est plus élevée. "Il diminue un peu en volumes, mais est de plus en plus cher, donc le chiffre d'affaires lié ne baisse pas, rapporte Riadh Abdelkefi. Quand on aura autant de véhicules électriques que diesel sur le parc, là on verra une différence. En revanche, on constate un équilibrage entre les filtres à gazole et à essence."
Une tendance confirmée par Camille Debomy, cheffe de produit filtration chez Bosch : "Les filtres à essence ont davantage progressé, traduisant les mutations du parc automobile. Selon le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, le parc roulant diesel en France a diminué de 13 %, tandis que le parc essence a progressé de 14 % entre 2018 et 2023."
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En février 2024, seuls 7 % des véhicules neufs vendus étaient des modèles diesel, et près de 34 % des essence. Néanmoins, le filtre à essence se change beaucoup moins fréquemment que le filtre à gazole. Mais les acteurs tablent encore sur des progressions pour les filtres à carburant pendant les trois à cinq prochaines années. "Le parc continue de vieillir, et le marché de l'occasion est bien reparti", justifie Pierre-Henri Tinet.
Les technologies continuent donc de se développer. Mann+Hummel propose dans sa gamme un filtre à carburant à trois couches de filtration. "Ces trois couches permettent d'enlever l'intégralité de l'eau qu'il y a dans le carburant pour une protection optimale du système d'injection. Car celui-ci peut vite être défectueux selon le carburant. Les couches multiples aident à avoir un carburant le plus fin possible", détaille Julien Volpi.
Le filtre à air aussi !
Entre le filtre à huile et son homologue à carburant dans le mix produits, le filtre à air continue de progresser au fil des ans. Les références sont généralement de plus en plus chères, car plus sophistiquées et dotées de nouveaux médias filtrants. En 2018, UFI Filters avait ainsi lancé sa gamme Multitube, se voulant révolutionnaire en la matière avec un système breveté constitué d'une structure tubulaire. "Elle remplace le filtre à panneaux standard et assure de meilleures performances de filtration et une puissance accrue du moteur, le tout en prenant peu de place", résume Giuseppe Cofano.
Malgré des technologies plus poussées, le filtre à air sensibilise généralement moins les automobilistes que ses homologues. "Pour moi, c'est le filtre le plus important, c'est le poumon de la voiture, martèle pourtant Riadh Abdelkefi. C'est lui qui fait tout. Il module la consommation de carburant et donne la puissance à la voiture. Il est, de plus, simple à changer, mais ne l'est pas assez souvent."
Contrairement au filtre à huile, par exemple, le filtre à air n'est pas à changer selon des préconisations de kilométrage, mais plutôt selon le cadre où vit l'automobiliste. "À Paris, il faudrait changer son filtre à air deux fois par an. Moins en campagne", résume le directeur général de Solaufil France. Surtout, d'un point de vue économique et écologique, remplacer régulièrement son filtre à air permet de réduire sa consommation de 2 à 4 %.
Pierre-Henri Tinet abonde sur la nécessité de changer périodiquement ce filtre à air : "Quand un moteur n'a pas le bon niveau d'admission d'air, car son filtre est colmaté, cela entraîne une surconsommation et une moins bonne performance mécanique. Nous, équipementiers, devons encore faire de la pédagogie sur ce sujet. Le distributeur a 30 familles de produits à commercialiser, sans parler de l'outillage, de la carrosserie, des services de financement, de ses sujets de livraison… Nous, nous n'avons que la filtration, c'est donc à nous d'en parler."
Le potentiel de l'habitacle
La pédagogie n'est plus vraiment nécessaire pour le filtre d'habitacle. Tous les équipementiers et distributeurs le répètent chaque année : la crise Covid a entraîné une prise de conscience des consommateurs sur leur santé de manière générale, bénéficiant au marché de cette pièce spécifique. “L'air que respire le conducteur est plus pollué que l'air extérieur, rappelle Camille Debomy. L'habitacle est un espace clos dans lequel peuvent se concentrer des polluants toxiques comme les particules fines, allergènes, bactéries et virus. Cette concentration augmente quand on roule en ville ou qu'on est coincé dans les embouteillages."
Début 2024, Bosch a remplacé sa gamme de filtres d'habitacle Filter+ par sa dernière génération Filter+pro, qui agit contre les virus, bactéries et allergènes, empêche la formation de moisissure et filtre efficacement les particules fines. Une centaine de références sont disponibles.
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Si sa croissance n'est plus exponentielle, le filtre d'habitacle reste celui dont les volumes augmentent le plus. "Les consommateurs commencent à avoir le réflexe de le changer, et nos partenaires celui de le proposer, constate Julien Volpi. Son remplacement est intégré à la révision constructeur, et peut être une prestation réalisée avec le changement de gaz de la climatisation." Le filtre d'habitacle a encore une grande marge de progression. "Il représente 15 % de nos ventes de filtres, contre 35 % pour le filtre à huile, alors qu'il faudrait le changer aussi souvent : tous les ans ou 15 000 km. C'est un gros écart qu'il reste à combler, mais c'est intéressant : nous sommes assis sur un potentiel énorme", estime Pierre-Henri Tinet.
Un potentiel en volumes mais aussi en valeur, car les technologies, là encore, évoluent. "Chaque fabricant a au moins trois gammes, entre le charbon actif, l'anti-pollen et l'anti-allergène, liste Riad Abdelkefi. Le filtre se sophistique de plus en plus. Parfois, les filtres d'habitacle se vendent même par jeux de 2 ou 3 pour agrandir la surface de filtration."
Différentes gammes, différents niveaux de prix, et toujours la volonté d'aller chercher plus loin. "Mann+Hummel travaille actuellement avec les constructeurs sur des systèmes de filtres d'habitacle complets et intelligents avec les constructeurs. Ils combineront l'anti-allergène, le charbon actif et la filtration Hepa [high-efficiency particulate air, ndlr]. L'automobiliste pourra connecter son téléphone au véhicule pour connaître le niveau de pollution dans l'habitacle", présente Julien Volpi.
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Un gage d'avenir
Surtout, le filtre d'habitacle incarne un vrai gage d'avenir car, comme le rappelle Camille Debomy, "que le moteur soit électrique, hybride ou thermique, un véhicule aura toujours besoin d'un filtre d'habitacle". En revanche, il ne permettra pas à lui seul de combler la probable chute des volumes à venir avec l'électrification massive du parc. "La baisse du marché semble inéluctable, fatalise Julien Vopli. La part de VE dans le parc roulant pourrait monter à 10 % en 2030. Mais le mouvement n'est pas encore massif, ce qui nous laisse du temps." Du temps pour se diversifier.
Le filtre de transmission, par exemple, gagne du terrain. Fin 2023, Sogefi a ainsi étendu sa gamme Purflux avec 36 références destinées aux boîtes de vitesses automatiques, avec pour objectif d'atteindre les 86 références à fin 2024. "Un véhicule neuf sur deux est équipé d'une transmission automatique, rappelle Pierre-Henri Tinet chez Sogefi. Ces filtres subsisteront malgré l'électrification du parc et il y aura de l'entretien dessus, tous les 50 000 kilomètres selon nos préconisations."
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Pour les filtres de transmission, on parle encore d'un marché de niche, mais c'est bien en allant chercher de nouveaux filtres que la croissance pourra continuer de s'opérer. "Nous sommes toujours poussés à nous diversifier, valide Riadh Abdelkefi. Nous proposons du filtre hydraulique, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Nous sortons des références pour motos, augmentons notre gamme poids lourd, car ce secteur utilisera le diesel plus longtemps que les véhicules légers. Nous utiliserons aussi toujours notre technologie pour des filtres industriels pour chariots élévateurs, compresseurs, etc."
Sans sortir des voitures, Julien Volpi prévoit déjà les filtres à retrouver sur le marché de la rechange : "Nous avons une quinzaine de solutions de filtration pour les mobilités électriques déjà sorties ou en développement. Le filtre déionisateur enlève la charge ionique du liquide qui refroidit les batteries des VE. On a aussi des filtres à air pour batteries, pour éviter les microbes et moisissures qui peuvent s'y introduire. Certains fabricants peuvent aussi installer des systèmes de filtration à l'avant du véhicule, agissant comme une solution qui nettoie l'air extérieur en circulant."
Tout cela suffira-t-il à pallier une baisse future du marché ? "Je n'ai pas de boule de cristal, ironise Pierre-Henri Tinet. Mais travailler avec nos partenaires constructeurs nous permet de garder une longueur d'avance, de savoir ce qui est sur les routes aujourd'hui et ce qui va circuler demain." Pour, comme toujours, être prêt à s'adapter.