Quand la formation devient levier de fidélisation
Qui a dit que l'inflation était terminée, et que le pire était derrière nous ? Nombre d'économistes s'y sont trompés l'an dernier, jugeant que la flambée des prix ralentirait en 2023. Or, les hausses tarifaires ont déjoué toutes les prévisions et persistent depuis ce début d'année. Lors de la présentation du dernier baromètre Feda, en avril, le cabinet Xerfi Spécific a estimé que l'inflation restera élevée cette année, comprise entre "4 % et 4,5 %".
Conjuguée à une baisse du pouvoir d'achat et à un ralentissement du marché de l'emploi, cette pression inflationniste ne sera pas sans conséquences sur l'activité des garages, selon le cabinet d'études. Pour ce dernier, la conjoncture peut en effet se répercuter sur le kilométrage parcouru par les automobilistes et sur certaines dépenses arbitraires, dont l'entretien courant.
Dans ce contexte, de plus en plus de réparateurs semblent enclins à réduire les coûts de leurs achats de pièces. C'est du moins l'une des conclusions de la dernière étude menée par Vroomly, dans laquelle 27 % des ateliers annoncent avoir opté pour des fournisseurs aux prix plus attractifs… Les garages peuvent aussi diversifier leurs achats et se tourner vers des produits au positionnement tarifaire plus abordable.
Il faut rappeler que l'offre produits s'est sensiblement étoffée ces dernières années. Marques alternatives, marques de distributeurs, pièces de réemploi ou produits à l'origine plus exotique : le choix est pléthorique. Dans cet environnement de marché, il n'est pas toujours simple pour les marques d'équipementiers de tirer leur épingle du jeu. "Nous sommes conscients que le marché est de plus en plus compétitif et que de nombreux ateliers sont tentés de privilégier des produits moins chers pour faire face à l'inflation", observe Julien Laronze, directeur commercial et marketing IAM France et Afrique du Nord du groupe Niterra (marques NGK et NTK).
Se rapprocher du réparateur…
Face à cette conjoncture délicate, il devient essentiel pour les équipementiers de se recentrer sur l'actif client. Qui plus est dans un marché mature, où l'heure n'est plus vraiment à la conquête mais à la fidélisation. "Il faut remettre l'atelier au centre du partenariat et de nos préoccupations ; montrer aux garagistes que derrière une marque, en plus de la qualité irréprochable de nos produits, des personnes s'affairent à leur apporter des solutions", insiste Julien Laronze.
L'enjeu est d'autant plus important que les fabricants se sont beaucoup reposés ces dernières années sur les groupements, qui ont renforcé leurs positions tout en resserrant le lien qui les unit aux réparateurs. Si une bonne partie des équipementiers disposaient, il y a encore vingt ans, de programmes d'animation garages avec des forces de vente dédiées, la concentration des acteurs et la réduction des marges les ont parfois contraints à abandonner le terrain. Résultat : l'attachement aux marques s'est délité. En "off", plusieurs fournisseurs n'hésitent pas à confier leur souhait de reprendre la main sur une relation commerciale confisquée par la distribution.
Pour éviter de subir le jeu des référencements et des déréférencements, les marques se doivent donc de se rappeler au bon souvenir des réparateurs. Un sujet évidemment sensible, car les distributeurs restent un rouage essentiel de la chaîne de valeur de la rechange indépendante. Pas question pour les équipementiers de froisser leurs partenaires.
"Maintenir une relation directe avec les clients réparateurs, nos utilisateurs finaux, est un sujet d'importance majeure pour un équipementier tel que nous. Il faut savoir répondre aux attentes de nos partenaires et ce, à tous les niveaux de la chaîne de distribution, afin que chacun puisse trouver un intérêt à nos marques", ajoute Julien Laronze. Du côté de NTN, Laurent Dumont, directeur des ventes rechange automobile France, confirme que le distributeur joue un rôle clé dans la relation commerciale nouée entre l'équipementier et l'atelier. "Il est le lien incontournable et, couplé à la force de vente NTN, cela devient un binôme actif, proactif."
Une assistance en ligne avec les besoins des ateliers
Pour recréer du lien avec leurs clients réparateurs – en partenariat avec les distributeurs, donc – les équipementiers peuvent déjà mettre à profit leur stratégie d'accompagnement technique. Il faut dire que c'est un enjeu de premier plan pour les ateliers. Face à la complexité croissante des véhicules, la multiplication des modèles et des versions, le support technique est devenu indispensable dans les garages, y compris chez les MRA.
"Nous observons deux phénomènes. D'une part, l'évolution technique des véhicules. Équipés depuis une dizaine d'années de systèmes de dépollution complexes (SCR, AdBlue, vannes EGR, capteurs, actuateurs, etc.), ils arrivent massivement chez les réparateurs indépendants. D'autre part, la montée des motorisations électriques. Ce n'est pas forcément une réalité chez tous les réparateurs indépendants, mais ces technologies suscitent beaucoup d'interrogations", analyse Jacques de Leissegues, président de DAF Conseil.
Face à ces enjeux, les fournisseurs ont l'ambition d'apporter leur expertise et leurs connaissances. "La technique est un des axes autour de la valorisation du produit chez l'équipementier", souligne Arnaud Pénot, directeur marketing de bilstein group France.
Un message adoubé par Daniel Rochefort, directeur aftermarket France et Benelux de Delphi Technologies : "Notre rôle en tant qu'équipementier est d'accompagner les groupements pour venir en complément de leurs propres dispositifs de formation. Nous apportons notre expertise d'équipementier, particulièrement sur certaines thématiques techniques nécessitant une expertise spécifique comme l'injection et le remanufacturing." L'objectif est clair : rendre l'information accessible plus facilement, sur les canaux les plus adaptés aux exigences des utilisateurs.
L'assistance se spécialise
Dans ce domaine, la hotline reste souvent le premier support privilégié par les ateliers dans leur quotidien. Dans un environnement de marché concurrentiel, où les exigences techniques requises sont toujours plus élevées, ce service est devenu indispensable pour diagnostiquer ou identifier une panne en un minimum de temps, et améliorer sa productivité. Mais évidemment, ce support implique des moyens humains importants et une réactivité optimale.
Pour répondre à ces exigences, ZF vient de mettre en place un outil de "ticketing" pour compléter sa hotline. Accessible via son portail technique, ce module permet de mieux traiter la demande du réparateur, afin de sélectionner la ressource la plus adaptée à sa demande.
"C'est un outil plus intéressant que la hotline, puisque nous ne ratons aucune sollicitation et sommes en mesure de les traiter au fil de l'eau, explique Gilbert Soufflet, responsable communication et événements de ZF Aftermarket France. Ce système offre aussi une meilleure traçabilité, ainsi que des remontées d'informations plus précises sur les problématiques rencontrées par les réparateurs."
Pour affiner l'assistance fournie à leurs clients réparateurs, certains acteurs du marché vont encore plus loin en dédiant un support à une problématique récurrente dans les garages. À l'instar de DAF Conseil qui a lancé, il y a trois ans, une hotline spécifique aux Adas et une seconde, plus récente, au Pass-Thru.
Les complexités croissantes liées au diagnostic électronique ont d'ailleurs conduit de plus en plus de fournisseurs à développer un nouvel outil d'assistance à distance, le "remote diagnostic". Le principe est simple : il suffit au réparateur de brancher sa VCI au véhicule et, éventuellement, à son outil de diagnostic. Il pourra ensuite se connecter à une plateforme sécurisée le mettant en lien avec un expert qui, à distance, réalisera les opérations demandées pour son compte.
De nombreux fabricants d'outils de diagnostic proposent aujourd'hui cette prestation : Hella (macsRemote Services), Autel (Remote Expert) ou Actia (PRP-Diag). "J'ai la ferme conviction que ça va prendre une place importante dans les années à venir. Ce sont des solutions qui permettront, demain, d'accompagner les ateliers sur beaucoup d'interventions techniques", confie Jacques de Leissegues.
L'essor des tutos vidéo
Mais la hotline ne suffit pas. Pour simplifier l'accès à leurs contenus techniques, les équipementiers misent de plus en plus sur l'outil numérique, qui favorise aussi les interactions directes avec les réparateurs. "Les canaux digitaux sont une source essentielle d'information et de communication […]. Les réparateurs ont besoin de se former et s'informer quotidiennement et d'avoir accès facilement aux contenus qu'ils recherchent, n'importe où et n'importe quand", constate Daniel Rochefort.
Résultat : depuis quelques années, de nombreux portails ont vu le jour, couplant souvent le catalogue d'un fournisseur à de nombreuses informations sur ses produits. "Dans le monde de l'automobile, le savoir-faire est la clé, c'est pourquoi nous avons créé TekniWiki, une plateforme digitale gratuite et sans inscription qui met à disposition toute la connaissance et l'expertise technique de Niterra", indique Julien Laronze.
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Même stratégie mise en œuvre par Delphi Technologies avec son portail Masters of Motion, présenté lors du salon Equip Auto, en octobre dernier. Cette plateforme regroupe de nombreux outils et supports techniques, et propose des échanges en ligne et hors ligne avec des experts de la marque de BorgWarner.
Sur ces portails, les réparateurs retrouvent de plus en plus de contenus vidéo, un format qui s'est imposé ces derniers mois comme un support privilégié. "Il y a une appétence pour ce type de contenus, c'est un média qui a sa place aujourd'hui", confirme le président de DAF Conseil, qui offre depuis trois ans ses Techni'Boost : des vidéos techniques gratuites destinées au plus grand nombre.
Dans ce domaine, NTN se montre aussi très actif avec sa chaîne YouTube dédiée à l'aftermarket. Lancée en 2021, elle réunit de nombreux tutoriels et contenus techniques en plusieurs langues. Pour créer ses derniers contenus sur ce média, l'équipementier s'est associé à la chaîne Ma Clé de 12, animée par une équipe de passionnés de mécanique réalisant de nombreux tutoriels. Cette dernière a réalisé, à la demande de NTN, neuf vidéos qui sont diffusées sur sa chaîne depuis le 1er avril 2023.
Formation : le présentiel toujours privilégié
Mieux que l'assistance technique, les fournisseurs misent surtout sur la formation, enjeu de premier plan, pour susciter l'adhésion des réparateurs. Atout pour les marques : elles peuvent légitimement intervenir auprès des MRA avec un service qui vient compléter celui fourni par le distributeur, tout en sortant du champ d'une animation commerciale traditionnelle. "L'évolution rapide du marché automobile fait que la formation devient incontournable pour rester au niveau des exigences techniques du secteur", poursuit Laurent Dumont.
Mais si l'enjeu est de taille, pas toujours simple pour des ateliers aux ressources limitées de libérer leur(s) productif(s). D'autres ne semblent pas avoir pris conscience des enjeux liés à l'évolution de leur métier. "C'est assez paradoxal car les besoins sont énormes, mais il reste une part importante de réparateurs qui ne se forment pas. Ils se contentent de l'entretien basique et ça s'arrête là", déplore Jacques de Leissegues. "Les réparateurs n'ont pas le temps, c'est souvent le motif invoqué", complète Arnaud Pénot.
Les programmes d'apprentissage se sont donc adaptés aux contraintes des ateliers en proposant de plus en plus de formations à distance. E-learning, classes virtuelles, webinaires… l'offre est aujourd'hui très large et permet aux techniciens de suivre le cursus de leur choix, avec une formule plus flexible.
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"Grâce à un simulateur de panne ultraréaliste et ludique ainsi que des vidéos réalisées par nos experts, nos clients peuvent se former n'importe où et n'importe quand, et rester à la pointe des dernières évolutions du marché", soutient Daniel Rochefort. Sur ce sujet, bilstein veut aussi aller plus loin en s'appuyant sur les moyens mis à la disposition du groupe.
"Grâce à ces nouvelles technologies, dont l'adoption a été accélérée par la crise du Covid, nous allons développer une nouvelle plateforme de formation qui devrait être lancée en 2024. C'est un véritable enjeu avec les véhicules de demain", confie Arnaud Pénot.
Susciter l'attachement par l'accompagnement
Si la formation distancielle présente de nombreux atouts, l'échange présentiel reste toutefois plébiscité dans le secteur. En particulier sur des thématiques très techniques qui nécessitent souvent une interaction plus poussée. "Les réparateurs sont demandeurs de présentiel. Ils apprécient le côté « face to face » et très terrain de nos formations chez eux", constate Laurent Dumont.
Des propos corroborés par une récente étude menée par Delphi Technologies auprès de 4 000 garages, selon laquelle le format de formation préféré des réparateurs est offline pour 41 % des répondants, contre 37 % pour le e-learning et 19 % pour les webinaires. "Le présentiel comporte de nombreux atouts : pouvoir voir et toucher au cours de sessions pratiques orchestrées par des experts, et renforcer la confiance et l'engagement envers la marque sur le long terme", approuve Daniel Rochefort.
C'est forts de ce constat que les équipementiers NTN, SNR et Elring, avec le fournisseur d'outillages Clas, ont créé en 2020 le Club technique automobile (CTA). Objectif : former les garages aux dernières évolutions de pièces et d'outillages. Chez les distributeurs, dans les CFA ou lors de salons, les experts du CTA réalisent ainsi de nombreuses formations itinérantes portant sur des thématiques variées : roulement de roue, transmission, distribution moteur, véhicule électrique, etc. Et ce, dans un esprit convivial. "Le CTA est un levier pour approcher le réparateur et apporter des réponses concrètes à ses problèmes du quotidien", insiste Laurent Dumont.
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Outre l'apport de compétences, la formule séduit car elle permet aux équipementiers de consolider le lien noué avec leurs clients utilisateurs. Or un ressort important de l'attachement à une marque est justement la création de valeur. "Les réparateurs restent très attachés aux marques leur apportant de la formation et un support technique", confirme Gilbert Soufflet. Former pour mieux fidéliser, l'adage reste donc plus que jamais d'actualité.