SDV : quand le code s’invite dans l’atelier

Dans le sillage de l’électrification, le software-defined vehicle (SDV) incarne la prochaine rupture technologique de l’industrie automobile. Là où chaque fonction du véhicule reposait autrefois sur son propre calculateur, les SDV centralisent désormais la puissance de traitement autour de quelques ordinateurs haute performance, reliés en permanence au cloud.
Cette architecture permet d’ajouter ou de modifier des fonctionnalités via de simples mises à jour logicielles. "Le SDV, c’est considérer la voiture comme un objet connecté. Elle n’est plus figée en sortie d’usine : elle évolue tout au long de sa vie", résume Rodolphe Plasse, directeur du développement logiciel chez Bosch.
Selon une étude menée par Via ID, ces véhicules généreront jusqu’à 25 Go de données par heure de conduite, et 80 % des modèles neufs vendus en 2030 seront déjà conçus selon ce principe. En parallèle, la part du logiciel dans la valeur totale d’un véhicule pourrait atteindre 60 %. Un bouleversement comparable à celui qu’a connu la téléphonie portable avec le smartphone.
Des modèles économiques à réinventer
Pour les constructeurs, la mutation est déjà engagée. Le logiciel devient un levier de revenus récurrents grâce aux services connectés et aux fonctions à la demande.
"Pour la première fois, une voiture peut évoluer avec son propriétaire", souligne Derek de Bono, vice-président Software Defined Vehicle Product chez Valeo. "On peut activer après l’achat des options non choisies à la commande : un éclairage plus performant, une puissance temporaire supplémentaire, ou encore des fonctions d’assistance avancées."
Ce modèle suppose toutefois d’avoir anticipé les pré-équipements nécessaires dès la production. Les véhicules deviennent des plateformes modulaires où certaines fonctions sont verrouillées jusqu’à leur activation par licence logicielle. Une transformation qui reconfigure le modèle économique : la création de valeur ne se joue plus uniquement à la fabrication, mais tout au long du cycle de vie du véhicule.
L’après-vente face au défi de l’accès et de la donnée
Pour les acteurs indépendants de la maintenance, l’enjeu principal réside dans l’accès à ces nouvelles architectures. Les constructeurs conservent aujourd’hui la maîtrise quasi exclusive des serveurs qui hébergent les configurations logicielles et les données prédictives.
Demain, on n’aura plus 100 calculateurs à diagnostiquer, mais 2 ou 3 modules proches d’un PC, connectés au cloud du constructeur. Beaucoup d’actions ne nécessiteront plus de brancher un outil de diagnosticClément Perrin, directeur IAM France chez Hella Forvia.
Le modèle actuel, fondé sur des normes comme la J2534, atteint ses limites face aux véhicules dépourvus de prise OBD ou dépendants de passerelles de sécurité. La question de la souveraineté de la donnée devient donc centrale. "Il faudra un Data Act spécifique à l’automobile, pour fixer les règles d’accès et les moyens opérationnels pour l’ensemble de la filière", insiste Clément Perrin.
Dans les faits, les constructeurs conservent une longueur d’avance. L’étude Via ID pointe la persistance de portails techniques propriétaires, de frais d’accès arbitraires et d’une interopérabilité limitée. À peine un tiers des marques respecteraient pleinement leurs obligations d’ouverture prévues par le règlement RMI.
De nouvelles compétences à acquérir
La montée en puissance du SDV exige aussi une mutation des savoir-faire. L’électronique de puissance, la cybersécurité et la gestion logicielle vont devenir des compétences incontournables dans les ateliers.
"La mécanique demeure, mais l’informatique prend une place considérable", confirme Derek de Bono. "Les calculateurs centraux sont complexes et coûteux. Cela va faire émerger une vraie filière de réparabilité électronique, capable d’intervenir au composant."
Face à ces évolutions, les besoins en formation se multiplient : diagnostic à distance, calibration des Adas, gestion des mises à jour OTA… Le métier de technicien va progressivement glisser vers celui d’expert logiciel. Mais pour Clément Perrin, la transition n’est pas forcément synonyme de complexité accrue.
Paradoxalement, ces véhicules peuvent être plus simples à entretenir qu’un moteur thermique Euro 6 saturé de sous-systèmes de dépollution. On entre dans un management du logiciel, différent mais plus rationnel.
De son côté, Valeo mise sur la formation et les partenariats technologiques pour accompagner les garages. "Nous avons plus de 9 000 ingénieurs en logiciel dans le monde, et notre Tech Academy aide les ateliers à monter en compétence", souligne Derek de Bono
Vers un marché polarisé ?
Reste que cette révolution logicielle risque, à terme, d’accentuer la concentration du marché. "La complexité croissante des SDV risque de pousser certains réparateurs à se recentrer sur des opérations mécaniques simples, tandis que d’autres se spécialiseront sur le diagnostic avancé", anticipe Rodolphe Plasse.
L’étude de Via ID confirme cette tendance : la maîtrise de la donnée et la capacité d’accès direct aux interfaces constructeur deviendront des facteurs déterminants de compétitivité. En parallèle, la montée en puissance des acteurs technologiques – Google, Amazon ou Microsoft – dans l’écosystème automobile pourrait bouleverser les équilibres traditionnels de la filière.
Malgré ces défis, les perspectives de création de valeur restent considérables. Les services connectés pourraient représenter jusqu’à un quart du chiffre d’affaires de l’après-vente en 2030. Autrement dit, la voiture définie par logiciel n’annonce pas la fin de la réparation, mais un déplacement de la valeur vers le logiciel, la donnée et le service.
Les constructeurs ne seront pas les seuls à en tirer parti, à condition que les règles d’accès et de partage soient équitables. Comme le résume Rodolphe Plasse, "le marché ne disparaît pas, il change de visage. Le défi pour l’après-vente, c’est de rester dans le champ de vision du véhicule connecté."
