Le marché du rétrofit s'industrialise
Quatre ans, à l'échelle du marché automobile, c'est un temps relativement court ! Pourtant, la filière du rétrofit a connu une évolution exponentielle depuis la publication de l'arrêté du 13 mars 2020 relatif "aux conditions de transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible".
La définition plus générale du rétrofit renvoie à l'action de modifier la motorisation d'un véhicule thermique pour une nouvelle énergie plus vertueuse. Biocarburants, gaz, électrique ou hydrogène : plusieurs options sont possibles, même si c'est principalement autour de ces deux dernières énergies que le développement de la filière prend aujourd'hui tout son sens.
Un démarrage difficile
Retour en arrière, à la naissance du rétrofit. Dans le secteur, les premiers à s'intéresser à ces transformations sont les spécialistes des véhicules anciens, à l'instar de Stéphane Wimez, directeur général de R-Fit et du 2CV Méhari Club Cassis.
"Notre constat était le suivant : nous avons des véhicules au look intemporel, qui sont pour beaucoup de nos clients leur « madeleine de Proust ». Ces voitures apportent de la joie et de la bonne humeur quand on les voit circuler, mais il y a cette nouvelle réticence par rapport aux aspects polluants de la motorisation thermique et aux aspects simplicité d'utilisation. C'est pour cela qu'on a décidé de prendre ce train de l'électrification, pour que l'on continue à les voir rouler dans le futur. Il y a presque une logique de préservation de notre patrimoine. Effectivement, nous altérons les véhicules puisque nous leur enlevons leur motorisation thermique, mais cela permettra de faire rouler des 2CV, des Méhari, des 4L et des Renault 5 dans les années à venir", défend le dirigeant.
Dès 2018, Stéphane Wimez rencontre ainsi les pionniers du rétrofit, qui tentaient d'importer la pratique d'Angleterre et des États-Unis. Il devient également membre fondateur de l'association AIRe (Acteurs de l'industrie du rétrofit), aux côtés de Gérard Feldzer et d'Arnaud Pigounides. Puis arrive le printemps 2020, avec l'arrêté encadrant l'électrification des véhicules. La filière espère alors franchir un cap dans son développement. Mais la crise sanitaire va perturber ses plans…
"Le Covid a mis un coup d'arrêt à l'émergence de la filière, avec de nombreux financements promis qui n'ont jamais été versés, retrace Stéphane Wimez. Nous avions la chance d'avoir une première expérience acquise dans l'électrique avec l'électrification d'une Méhari neuve en 2017. Nous avons alors réutilisé les travaux réalisés sur la chaîne de traction électrique de la Méhari pour le rétrofit notamment de la 2CV, avec de surcroît la plupart de nos investissements réalisés sur fonds propres grâce à notre activité parallèle de restauration et pièces détachées. Ainsi, nous avons été les premiers à homologuer un kit de rétrofit pour un véhicule à 4 roues, en avril-mai 2021, pour la 2CV. […] À ce jour, nous disposons de 4 homologations : la 2CV, la 2CV fourgonnette et, en partenariat avec Renault, la 4L et la Renault 5. Pour Roland-Garros cette année, nous poursuivons avec le rétrofit de cinq Twingo."
Depuis, de nombreux acteurs ont suivi cette voie et de plus en plus de modèles s'homologuent ou sont en cours d'homologation. Selon la branche métier Mobilians Rétrofit, qui a intégré en 2022 l'association AIRe, 32 systèmes de rétrofit pour les véhicules particuliers et 2-3 roues motorisés seront disponibles à horizon 2025, ce qui permet de projeter un parc à ce même horizon de plus de 11 000 véhicules. S'agissant des utilitaires légers, 23 systèmes de rétrofit seront homologués sur la même période.
Si l'on compare ces données au marché du VUL actuel, c'est quasiment l'ensemble du parc qui sera couvert par une possibilité de rétrofit. Ainsi, les acteurs de la filière estiment qu'environ 8 000 VUL pourront être rétrofités d'ici 2025. Enfin, pour les véhicules industriels, bus et cars, les efforts de R&D et d'homologation devraient aboutir à six systèmes de rétrofit disponibles à horizon 2025, et près de 400 véhicules rétrofités.
"Si cela peut sembler peu au regard des VP/VL, 2-3 roues et VUL, il est important de prendre en compte un parc roulant plus restreint et des coûts de transformation demeurant élevés eu égard au type de véhicule", précise-t-on chez Mobilians.
Le tournant du VUL
Bien que la réglementation de 2020 encadre la transformation de tous types de véhicules, c'est bien l'utilitaire qui s'annonce comme l'avenir du rétrofit. "Avec un parc de six millions d'utilitaires en France, nous avons quatre millions de VUL éligibles au rétrofit, majoritairement des diesel bien entendu", indiquent Frédéric Strady, directeur général de Qinomic et président de Qinomic mobilities, et Jean-Jacques Serraf, directeur général de Qinomic Mobilities et coprésident du métier rétrofit de Mobilians.
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En outre, une vraie demande émane de la part des artisans et des gestionnaires de flotte, puisque la plupart ont des véhicules aménagés, comme l'explique le président de REV Mobilities, Arnaud Pigounides, qui devrait homologuer ses premiers VUL avant l'automne.
"Sur les 6 millions d'utilitaires, 2,4 millions sont aménagés et cet aménagement vaut très cher, parfois jusqu'au triple du prix d'achat quand il s'agit par exemple d'une cureuse, d'une nacelle ou d'un véhicule frigorifique. Ces véhicules 100 % diesel sont déjà fabriqués, aménagés et investis. Ils vont se retrouver à ne plus pouvoir circuler dans les cinq à douze prochaines années, du fait des ZFE, de l'obligation de verdissement des flottes ou des appels d'offres de flottes sans émissions. Il y a donc une demande très forte, autant de la part de grandes entreprises que des agglomérations."
En ce sens, le rétrofit se présente comme une solution au bien-fondé à la fois écologique et économique. En effet, selon l'Ademe (étude publiée en 2021), le rétrofit des véhicules permet de diminuer fortement les émissions de gaz à effet de serre sur toute la durée de vie du véhicule. Pour les utilitaires ou camionnettes par exemple, la réduction atteint 61 % par rapport à un diesel équivalent, un atout pour les grandes flottes et l'établissement de leur bilan carbone. Côté coûts, là encore, le gain peut s'avérer important.
"Quand on sait qu'un Renault Master coûte environ 55 000 euros à l'achat, et que le rétrofit d'un utilitaire se situe entre 26 000 et 35 000 euros pour obtenir un véhicule avec environ 200 km d'autonomie, cela peut paraître cher, mais il existe désormais des aides à la fois nationales et régionales, un sur-bonus pour les ZFE. Certaines se cumulent et peuvent faire baisser le coût du rétrofit de près de 10 000 euros", ajoute Arnaud Pigounides.
Pour des véhicules dont l'aménagement a triplé le coût d'achat, le rétrofit semble donc être la solution d'avenir. Sans compter que les coûts d'entretien et de maintenance d'un véhicule électrique sont considérablement réduits. Ce que les constructeurs, initialement peu intéressés par le rétrofit, ont bien compris.
C'est pourquoi de nombreux projets de rétrofit ont vu le jour dans leurs rangs ces derniers mois. À l'instar de Stellantis qui s'est rapproché de Qinomic pour le rétrofit d'un Citroën Jumpy, qui devrait être commercialisé d'ici la fin de l'année. Idem pour Tolv, qui a démarré par l'homologation d'un Renault Trafic rétrofité en 2022 – la première pour un VUL en France – avant d'être approché par le constructeur au losange.
"Ils ont été séduits par cette première expérience de développement et d'homologation du Renault Trafic, et ils se sont dit qu'en apportant la force de frappe du groupe Renault d'un point de vue de la production, des usines, de l'industrialisation, de la force d'achat, mais aussi leur expertise sur le produit et la réglementation, nous pouvions faire du rétrofit industriel une réalité et passer rapidement à l'échelle. C'est dans ce cadre-là que nous avons signé un partenariat en juin 2022. En septembre 2022, nous avons démarré le développement de notre solution pour le Renault Master, qui est en phase d'homologation et va entrer en production au mois d'avril", confie le cofondateur de Tolv, Wadie Maaninou.
Nombreuses opportunités pour les poids lourds
Si, à l'instant T, le marché du rétrofit s'industrialise principalement grâce à l'électrique et au VUL, de nombreuses opportunités verront le jour dans les prochaines années. Parmi elles, l'hydrogène se dessine aussi comme une solution porteuse. Plusieurs acteurs travaillent ce sujet, notamment GCK Mobility, qui s'intéresse plus particulièrement au segment des véhicules lourds.
"L'intégration d'une pile à combustible, avec des réservoirs à hydrogène, va permettre d'offrir à nos clients une autonomie quasiment proche de la solution thermique d'origine. Nous avons réalisé le rétrofit sur l'autocar, qui contient trois réservoirs en offre de base et permet d'offrir une autonomie proche de 300 km. Celle-ci pourra être étendue à 400 km voire 500 km avec cinq réservoirs. Aujourd'hui, nous avons une offre complète sur l'autocar interurbain type Crossway de marque Iveco, et nous pouvons dès à présent annoncer son homologation", lance Philippe Jacques, directeur général de GCK Mobility.
GCK Mobility vient d'ailleurs de se voir attribuer un marché de rétrofit d'autocars (pouvant aller jusqu'à 100 véhicules) avec pile à combustible hydrogène pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. La première commande ferme concerne 16 autocars, pour un montant de 8,5 millions d'euros. L'entreprise travaille également sur des applications de véhicules industriels pour 2025.
Le secteur est donc en ordre de marche. D'autant que trois arrêtés publiés à l'automne 2023 ont ouvert le cadre réglementaire, autorisant les transformations GNV, GPL, hybride et hydrogène thermique. Ces textes ont aussi permis aux véhicules spéciaux tels que les dépanneuses, camping-cars et grues mobiles d'être éligibles aux opérations de conversion. Cette simplification de la réglementation a surtout envoyé des signaux positifs à la profession.
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Alors que manque-t-il aux rétrofiteurs pour se développer ? De la formation, sans nul doute, pour accompagner la filière et son après-vente, mais aussi des aides financières encore plus massives pour encourager l'adoption par les particuliers. Sur ce sujet, les spécialistes du rétrofit ont été déçus par le décret publié en février, relatif aux aides à la location et à l’acquisition des véhicules peu polluants. Ce texte fait état d’une baisse de 1 000 euros sur la prime au rétrofit VP et d’une diminution de la prime pour les VUL. En revanche, il ouvre la prime aux véhicules transformés en hybrides rechargeables (alors qu’à ce jour, aucun modèle n’est homologué).
Mobilians a réagi en appelant les décideurs publics à "corriger le tir et réaffirmer un soutien plein et entier au rétrofit – VUL comme véhicules particuliers – afin de ne pas enrayer une dynamique industrielle positive naissante sur le territoire et de nouveaux emplois en France".