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Assurances

Carrosserie : les défis majeurs qui attendent les réparateurs selon Jessica Descoubes (Esthétic Auto)

Publié le 7 mars 2025
Par Nicolas Girault
4 min de lecture
Lors de la présentation de son bilan annuel, l’association SRA, spécialiste de la réparation-collision, a donné la parole à Jessica Descoubes, gérante d’Esthétic Auto. La dirigeante a ainsi apporté un éclairage terrain sur les enjeux actuels des ateliers de carrosserie et leurs perspectives pour 2025.
Jessica Descoubes, dirigeante d'Esthetic Auto
Jessica Descoubes, dirigeante d'Esthetic Auto, fait partie des carrossiers gestionnaires orientés vers les innovations. ©J2R/NG

Lors de la présentation en ligne de son rapport annuel, l’association SRA a invité Jessica Descoubes, dirigeante d’Esthétic Auto à Tours (37), à partager son expertise. Devant un auditoire composé d’assureurs, d’experts et de journalistes, elle a dressé un état des lieux précis des réalités de la profession : hausse des coûts, réparabilité, électrification du parc, disponibilité des pièces… Autant de sujets qui pèsent sur les carrossiers.

Une carrosserie modèle en perte de visibilité

Membre du réseau Acoat Selected (AkzoNobel), Esthétic Auto figure parmi les ateliers les plus avancés techniquement. Avec 25 salariés et un équipement de pointe, elle réalise des réparations complexes et bénéficie de l’agrément Tesla pour les véhicules électriques. En 2024, son activité a généré 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires pour plus de 2 000 véhicules réparés.

Pourtant, l’année a été marquée par un manque de visibilité inquiétant. "L'activité 2024 et le début 2025 ont été pénalisés par une visibilité très faible, ce qui va nous empêcher d'avancer sereinement en 2025. C'est dû aux mutations du marché et à l'inflation et les réparateurs doivent être proactifs pour s'adapter à ces mutations", alerte Jessica Descoubes.

Parmi les principales préoccupations des réparateurs, la hausse des coûts pèse lourdement sur les trésoreries. "Au-delà du prix des pièces, de la peinture et de la main-d’œuvre, il y a d’autres charges invisibles pour les apporteurs d’affaires", souligne Jessica Descoubes. "Les consommables, la parapeinture et surtout l’énergie (gaz, électricité) grèvent nos budgets. Rien que ce poste représente une hausse de 10 à 20 %, difficilement répercutable sur nos facturations."

Une normalisation des prix de l’énergie, notamment en cas d’apaisement des tensions géopolitiques, pourrait alléger ces charges. Mais en attendant, les réparateurs doivent jongler avec ces coûts croissants sans garantie de compensation.

Défis techniques des véhicules récents

Avec l’évolution des véhicules et l’usage croissant de matériaux complexes (aluminium, alliages légers), la réparabilité est au cœur des préoccupations. Si elle permet d’optimiser les coûts et de limiter les déchets, elle impose aussi une montée en compétence des techniciens. Chez Esthétic Auto, les salariés bénéficient notamment de formations intensives en partenariat avec le Cesvi.

Un accompagnement indispensable pour intervenir sur des modèles aux matériaux complexes. "En tant que réparateurs Tesla, j'ai vu des véhicules principalement composés d'aluminium et d'alliages en redressage sur le marbre. C'est assez impressionnant et on se fait peur pour deux raisons. D'une part les accroches d'amarrage lâchent plus facilement et les caisses bougent", décrit Jessica Descoubes.

En effet, l'aluminium est un métal qui se déforme et se déchire plus facilement que l'acier. "Un tirage sur la moitié inférieure de la caisse peut impacter le haut... En un an, nous nous sommes fait la main. Mais les premières fois, c'est inquiétant". Le gain d'expérience permet toutefois d'effectuer ces interventions délicates. Dans certains cas, les carrossiers parviennent même à réparer des pièces montées en gigacasting – mais uniquement avec le feu vert du constructeur Tesla.

Une réparabilité en question

Cette complexité croissante pose aussi la question de la durabilité des réparations. "Un pare-chocs déformé sur 40 cm est théoriquement réparable, mais tiendra-t-il un nouveau choc de la même manière ?", Jessica Descoubes.

Si la réparation des VE n’est plus un problème en soi, leur connectivité et l’arrivée de nouvelles marques chinoises – BYD, Lync & Co, etc – compliquent le travail des carrossiers. En effet, la carrossière souligne que les procédures de réparation préconisées par ces constructeurs ne sont toujours pas mises à disposition des réparateurs. Par ailleurs, l'organisation de leur distribution de pièces reste encore floue. "Si ces véhicules cassent le marché en étant 30 % moins chers, on peut se poser des questions sur leur réparabilité, observe la carrossière. Ne risquent-ils pas de faire augmenter la part de véhicules économiquement irréparables (VEI) ? L'avenir nous le dira, notamment grâce aux études de SRA en particulier."

La réparation automobile évolue rapidement, et les carrossiers doivent désormais intervenir bien au-delà des Adas et du calibrage des capteurs. "Aujourd’hui, nous devons interagir directement avec les ordinateurs de bord des véhicules. L’avenir, c’est d’avoir un « super technicien» capable d’intervenir sur toutes les marques et d’assurer une veille technologique permanente." Un défi supplémentaire pour les ateliers, qui devront recruter et former ces experts pour rester compétitifs face aux évolutions technologiques des constructeurs.

Pièce de réemploi et de qualité équivalente : des solutions à double tranchant

Autre point critique : la disponibilité des pièces. "Sur deux dossiers sur cinq, nous faisons face à des délais de livraison rallongés, dépassant souvent les 72 heures", rapporte la dirigeante. Dans un cas sur cinq, certaines pièces sont purement et simplement indisponibles, obligeant les réparateurs à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Problème : multiplier les fournisseurs dilue les volumes d’achats et réduit les marges sur les pièces. "Nous devons jongler avec des stocks plus éclatés, ce qui complique notre gestion des coûts."

Le développement de la pièce de réemploi (PRE) est une réponse partielle à ces difficultés. Chez Esthétic Auto, son utilisation progresse de 3 à 4 % par an, atteignant désormais 20 % des factures. Mais son potentiel n’est pas infini. "À terme, nous atteindrons une saturation, car toutes les références ne sont pas disponibles en PRE", anticipe Jessica Descoubes.

Quant aux pièces de qualité équivalente (PQE), elles sont de plus en plus imposées par les experts d’assurance. "Le problème, c’est l’absence de réglementation claire. Toutes les PQE ne se valent pas et leur qualité est trop hétérogène."

Une filière sous pression, en quête de soutien

Le secteur fait face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Pour compenser, les ateliers investissent massivement dans la formation. "Nous formons nos techniciens en interne, c’est notre seule option pour maintenir un haut niveau de compétence." Mais cet effort pourrait être compromis par les récentes coupes budgétaires du gouvernement. "Si les aides à la formation disparaissent, cela aura un impact direct sur nos capacités de recrutement et de montée en compétence", déplore la dirigeante.

Face à ces nombreux défis, l’innovation reste un levier d’optimisation. Les carrossiers adoptent progressivement des technologies comme les tire-clous portatifs, les machines automatiques de mélange de teinte ou encore les réchauffeurs d’air en cabine de peinture. "Ces équipements ne révolutionnent pas notre métier, mais ils nous permettent de gagner du temps et de réduire nos coûts énergétique", précise la dirigeante.

Jessica Descoubes dresse donc le portrait d’un secteur en pleine mutation, contraint d’innover et d’investir en permanence pour s’adapter. Mais cet effort ne pourra être soutenu sans un ajustement des conditions économiques. Les assureurs, particulièrement attentifs à cette intervention, seront-ils prêts à revoir leurs grilles tarifaires pour assurer la viabilité des réparateurs indépendants ? Un enjeu crucial pour l’avenir de la filière, qui dépendra autant de leur bonne volonté… que des attentes de leurs actionnaires.


Retrouvez le webinaire complet de l'association SRA avec l'intervention de Jessica Descoubes : 

 

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