Comment la filière VHU se réinvente face aux défis du marché
La pièce issue de l'économie circulaire n'a jamais été autant d'actualité. Au cœur d'un climat européen dévoué à la transition écologique, elle apparaît comme la solution la plus raisonnable pour entretenir son véhicule vieillissant. Depuis l'article L221-217 du Code de la consommation de 2017, la pièce d'occasion doit être automatiquement proposée aux clients par les réparateurs en France, au même titre qu'une pièce reconditionnée, d'origine constructeur neuve ou adaptable.
Bien que l'inverse ne soit pas sanctionné, le texte a de quoi démocratiser une alternative plus économique et respectueuse de l'environnement sur le marché de la rechange automobile. La mesure commence à porter ses fruits : cette année, la Piec est passée de 3 % à près de 6 % du marché de la pièce de rechange.
Progressivement, donner une seconde vie aux éléments issus de VHU s'ancre dans les bonnes pratiques et ce, à tous les niveaux. En témoignent les chiffres du baromètre établi par Mobilians et Gipa en septembre dernier, réalisé auprès d'un panel de 500 réparateurs français. Selon ce rapport, la pièce issue de l'économie circulaire est familière pour 65 % des garages sondés, contre 37 % l'an dernier. Une augmentation "spectaculaire et rarement observée, même dans le milieu du marketing", estime Julien Dubois, directeur de la branche remanufacturing de Mobilians.
Autre avancée notable : 62 % des ateliers se disent favorables à l'utilisation de la Piec, contre 54 % auparavant. Plus étonnant encore, les concessionnaires et agents de marques, autrefois moins bons élèves dans l'utilisation de la Piec (46 % d'utilisateurs parmi les sondés), en sont désormais les premiers prescripteurs : 65 % d'entre eux y sont favorables.
Des automobilistes plus favorables au réemploi
Du côté des clients finaux, la pièce de seconde vie séduit aussi de plus en plus. Selon une enquête OpinionWay/Opisto dévoilée début octobre, 66 % des automobilistes se disent prêts à franchir le pas et à utiliser des Piec pour la réparation de leur voiture. Plus sensibles à la cause environnementale et souvent déjà consommateurs de produits de seconde main, les moins de 40 ans sont prêts à 70 % à acheter des pièces d'occasion (contre 57 % des 65 ans et plus).
Pour Julien Dubois, ces chiffres prometteurs témoignent de la progression du marché et du fait que les réparateurs se montrent bien plus "ambassadeurs que détracteurs". Mais du chemin reste à parcourir, y compris dans les ateliers : selon l'étude d'Opisto, seulement 24 % des automobilistes indiquent que leur garagiste leur a proposé une alternative Piec.
Outre un attrait plus marqué auprès de professionnels et du grand public, cet essor du réemploi doit également être corrélé à une réglementation toujours plus contraignante, tant au niveau de l'Hexagone que de l'Union européenne. Ce qui implique des exigences toujours plus fortes pour les professionnels du secteur. Or, dans le domaine du recyclage automobile, la filière du véhicule hors d'usage tricolore pourrait presque être qualifiée d'exemplaire. La directive européenne 2000/53/CE du 18 septembre 2000 imposait d'atteindre un taux de recyclage en masse du véhicule de 85 %, et de valorisation de 95 %.
À l'heure actuelle, les professionnels français font mieux. Le taux de réutilisation et de recyclage atteint 87 % tandis que le seuil de valorisation s'élève à 96 %. De même, si près de 2 millions de voitures neuves sont mises sur le marché en France chaque année, près de 1,3 millions sont récupérées et traitées. Ce bilan plutôt positif fait de l'Hexagone un bon élève de la déconstruction automobile en Europe.
Mais un grain de sable est venu se glisser dans la mécanique plutôt rodée des centres VHU français : la loi Agec de février 2020. Appliquée à tous les champs de produits réparables, cette réglementation suscite des interrogations dans les rangs des déconstructeurs de véhicules hors d'usage, qui craignent une remise en cause de leur modèle.
Des centres VHU sur le carreau ?
Concrètement, la loi Agec renforce la responsabilité élargie des constructeurs pour la gestion de leurs véhicules en fin de vie, afin d'en assurer la reprise sans frais sur tout le territoire national. L'objectif de cette mesure est de lutter contre la filière illégale et d'optimiser le traitement des VHU. À cette fin, les constructeurs peuvent s'adresser à des éco-organismes ou demander leur agrément en système individuel et gérer eux-mêmes le traitement des épaves. C'est ainsi qu'est né l'éco-organisme de la Csiam, Recycler mon véhicule, qui réunit notamment BMW, Mercedes et Porsche, ainsi que les systèmes individuels de Renault, de Stellantis ou encore du groupe Volkswagen.
L'incursion des producteurs sur ce marché a de quoi préoccuper les acteurs de la déconstruction automobile, qui redoutent une mise sous tutelle de leur activité. Pour continuer à travailler et garder leur agrément, les centres VHU vont effectivement être contraints de contractualiser avec au moins un éco-organisme ou un système individuel.
Fabrice Henriot, directeur d'Allo Casse Auto, s'inquiète de dépendre des producteurs : "Jusqu'à maintenant, nous avions besoin de répondre à un cahier des charges administratif fixé par l'État et notre agrément était délivré par la préfecture. La loi Agec change beaucoup de choses puisque dès 2025, pour continuer d'exercer notre métier en France, nous devrons obligatoirement signer avec des producteurs. Mais rien ne nous assure qu'ils seront enclins à signer avec tous les centres VHU, et l'on risque alors de perdre notre travail." Ces craintes sont partagées par Patrick Poincelet, directeur de la filière VHU de Mobilians.
"Si l'on écoute actuellement tous les éco-organismes et systèmes individuels, ils s'accordent à dire qu'ils n'ont besoin que de 800 à 1000 opérateurs sur toute la France. Or, il y a plus de 1 700 centres agréés en France. Quid des 600 à 800 centres restants ? Comment continueront-ils à exploiter ?" Outre la pression commerciale qui pèse sur certains centres VHU, Julien Dubois perçoit aussi celle des normes, qui pourraient mettre en péril plusieurs centaines d'entrepreneurs.
"Seuls 1 000 centres VHU sur les 1 700 vendent de la pièce. Or, le dernier cahier des charges de la filière REP impose des objectifs de réutilisation des pièces. Si ces centres ne s'adaptent pas, ils risquent également de perdre leur agrément et leur travail."
Le futur incertain de nombre d'acteurs
Pour plusieurs observateurs du marché, ces pertes d'agrément risqueraient de conduire certains déconstructeurs à maintenir leur activité dans l'illégalité. Un comble pour le législateur, qui avait fait de la lutte contre la filière parallèle l'un de ses objectifs.
"Les 600 à 800 entreprises qui ne pourront pas contractualiser ne vont pas se faire hara-kiri. Les exploitations les plus importantes réussiront à s'en sortir, mais les plus petites vont aussi devoir continuer à travailler, en sortant bien souvent du cadre légal. Cette manière illégale de fonctionner sur le marché du traitement VHU n'est plus un secret pour personne", assène Patrick Poincelet.
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Mais le tableau n'est pas si sombre, puisque le directeur de la filière VHU de Mobilians estime que la profession a de l'avenir et que l'économie circulaire va s'imposer plus fortement sur le marché automobile. "Il ne fait aucun doute que notre profession a le vent en poupe, et tous les indicateurs sont au vert."
Investir pour réussir
Face à ce nouvel environnement réglementaire, les déconstructeurs n'ont guère le choix et doivent donc s'adapter tout en se modernisant. Une transition déjà amorcée depuis plusieurs années, selon Fabrice Henriot, qui rappelle que les "casses" avec des centaines de véhicules rouillés entassés ne sont plus qu'un mythe. "Chaque jour, nous devons communiquer et montrer que nos établissements ne sont pas ce que l'on voit dans les films, avec des voyous qui enferment des cadavres dans les coffres de voiture." Pour structurer leur activité, les centres de démantèlement de véhicules ont notamment mis en place des organisations industrialisées.
Le marché a ainsi vu émerger de véritables usines consacrées au recyclage automobile, à l'instar de l'entreprise familiale GPA, basée à Livron-sur-Drôme (26). "GPA a récemment investi près d'un demi-million d'euros pour améliorer la productivité de l'usine. Nous avons optimisé les outils et installé un système de convoyeur qui permet de séquencer le démontage du groupe motopropulseur", souligne Hugo Barberot, directeur marketing de GPA. La “Rolls” des centres VHU s'est même équipée cette année de la plus grande éolienne privée de France, afin d'être autosuffisante en énergie.
Si l'investissement matériel est réellement nécessaire à la modernisation des centres VHU, la digitalisation accompagne ces changements. Le directeur marketing du groupe drômois confirme que “de bonnes pratiques commencent à émerger.” Fonctionnant par mimétisme d'un centre à l'autre, elles consistent à homogénéiser l'utilisation de la photographie de chaque pièce pour faciliter sa traçabilité et sa commercialisation en ligne. Pour répondre aux attentes des réparateurs, les déconstructeurs ont également pris le pli de la livraison en J+1.
L'accompagnement technique fait aussi partie des priorités, martèle Hugo Barberot : "Nous nous sommes entourés d'un service commercial structuré et d'une quinzaine de téléconseillers qui travaillent sur nos ventes en direct avec les professionnels et les particuliers à travers le call center. Nous avons également une équipe chargée de l'administration des ventes en ligne, tant sur notre site internet qu'avec des plateformes spécialisées."
Mais ces investissements ne sont évidemment pas à la portée de l'ensemble des 1 700 déconstructeurs agréés, et seule une partie d'entre eux pourra suivre ce mouvement dicté par la réglementation et l'évolution du marché. Nul doute qu'une vague de consolidation risque d'emporter les centres qui ne pourront pas garder la tête hors de l'eau.
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Rappelons qu'Alliance Automotive a réalisé plusieurs acquisitions ces dernières années, tout comme le suédois Autocirc, qui a bouclé quatre rachats dans le réseau Caréco. GPA est aussi passé à l'offensive cet été avec la reprise du site Debrito, près d'Angers (49). C'est inévitable, seuls les acteurs avec la capacité financière nécessaire pour s'adapter aux nouvelles pratiques réussiront à tirer leur épingle du jeu. Pour les autres, le risque est clair : se faire racheter ou disparaître face à une concurrence mieux structurée.