Dossier plateformes - Un marché 2024 sous tension
Dans le meilleur comme dans le pire, le monde de la rechange a appris à garder son calme. Parce que tout est une question de cycles. Une crise en chasse une autre, plus ou moins forte et plus ou moins impactante. Chacun tient son cap en attendant le retour du soleil, tout en sachant que les nuages reviendront…
Notre panorama 2024 des plateformes tricolores de pièces détachées ne dit rien d'autre que cela. Comme à notre habitude, nous avons interrogé les principaux acteurs du marché pour connaître leur ressenti sur les derniers mois et faire le point sur leur actualité. De façon quasi unanime, les témoignages font état de résultats positifs.
Un bilan contrasté
À quelques jours de sa clôture, l'exercice en cours est donc synonyme de croissance. Sans pencher vers l'exceptionnel, les tendances partagées montrent un niveau d'activité solide, dans la lignée des années 2022 et 2023 elles aussi positives. Reste que les chiffres ne disent pas tout. Il faut savoir lire entre les lignes, même si cela devient de plus en plus difficile. Phénomènes de fond ou épisodes passagers chahutent les habitudes bien établies du monde de la rechange, et de celui des plateformes tout particulièrement.
"2024 aura été une année particulière, résume en préambule Olivier Vejdovsky, secrétaire général d'Alliance Automotive Group. Avec le fort ralentissement de l'impact lié à l'inflation, la progression de notre chiffre d'affaires plateformes s'est révélée irrégulière au fil des mois avec des tendances moins lisibles qu'à l'accoutumée, même si la fin d'année paraît très bien orientée."
Julien Raimbault, directeur logistique de Logisteo, la plateforme nationale d'Autodistribution, confirme : "Si l'on regarde l'évolution mois par mois, le niveau d'activité est un peu aléatoire. C'est une tendance qu'on avait observée en 2023, et qui s'est renforcée en 2024." Même écho du côté de Nicolas Bencteux, directeur général d'ACR Group : "On a connu une saisonnalité qui n'est pas conforme à celle des autres années."
Une saisonnalité moins marquée
Le directeur général d'ACR Group explique que, dans son entreprise, le "plateau de mai" et la "reprise de septembre" ont été moins marqués que dans le passé. "L'été a été bizarre, confirme Olivier Chaussende, patron de l'entreprise éponyme. Le boom d'activité habituel en juin n'a pas vraiment eu lieu. Mais juillet et août ont été plutôt de bons mois."
Sentiment corroboré par Christophe Gloux, directeur du commerce pièces et services France de Stellantis. "Globalement, notre niveau d'activité a été satisfaisant. On a notamment fait un bon premier semestre, même s'il a été marqué par un deuxième trimestre inférieur au premier."
Et à l'instar du dérèglement climatique, celui du commerce de pièces de rechange résulte de plusieurs facteurs. L'un d'eux s'est joué durant l'été. Les plateformes parisiennes ont dû jongler avec la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques qui, sans enrayer la machine, ont provoqué certains changements. Le taux de service est resté très bon, surtout au cœur de l'été, parce que la région parisienne s'est vidée, ce qui a aussi engendré une dégradation des volumes.
Mais le facteur le plus évident, le plus prégnant, tient à la baisse du pouvoir d'achat. Un sujet qui n'est plus nouveau. Christophe Gloux y voit un lien direct avec la situation actuelle. Même si, chez Distrigo, le phénomène est plus marqué dans certaines régions de l'Hexagone (le Centre, les Hauts-de-France) que dans d'autres, la problématique du budget des ménages est visible sur l'ensemble du territoire.
Un marché tiré vers le bas
Ce manque de moyens consacrés à l'entretien automobile tire le marché vers le bas avec un "double effet kiss cool". D'un côté, les consommateurs retardent ou, pire, renoncent à la maintenance périodique de leur voiture et cherchent à limiter leurs dépenses avec des alternatives plus économiques.
De l'autre, dans les plateformes, le portfolio de produits évolue pour suivre cette mutation de la demande avec des références à moins fortes marges, exacerbant la concurrence. "Bien sûr que le marché est tiré vers le bas. Tout le monde regarde beaucoup les prix et il y a une certaine forme d'agressivité tarifaire", résume Nicolas Bencteux.
Même son entreprise, filiale de PHE, pourtant historiquement positionnée dans le haut du panier, a été obligée de revoir sa copie. "On s'adapte, même si on se refuse à aller vers le plus bas. AujourÂd'hui, il y a pléthore d'offres. On voit bien que les marques dépositionnées et les MDD continuent de prendre du poids."
Laurent Attal, directeur du développement commercial de LKQ France (qui a quitté ses fonctions depuis, ndlr), indique que la MDD représente 30 % de l'activité de son groupe dans l'Hexagone. Un sujet tellement stratégique qu'il fera l'objet en fin d'année d'une profonde réorganisation avec trois marques pour trois propositions différentes : Optimal pour le segment medium, Era pour les pièces techniques et Starline pour celles économiques.
Le responsable d'ACR Group pousse encore plus loin l'analyse contextuelle, évoquant un "piège" sur le point de se refermer sur la rechange. "Il y a eu tellement de hausses de prix chez les équipementiers que le consommateur ne peut plus suivre. Le pouvoir d'achat est ce qu'il est. En parallèle, toutes les plateformes cherchent à gagner de la place, à augmenter leurs stocks, à trouver plus de personnel… alors que le contexte se tend. Le risque est donc d'avoir des capacités supérieures au marché."
Et des résultats inférieurs aux efforts consentis pour tous ces investissements… De quoi inciter à la prudence pour les prochains mois avec une gestion plus fine des développements et une prise de risque raisonnée, garde-fou à d'éventuels soucis. Car l'avenir ne s'annonce pas particulièrement radieux.
"Beaucoup de facteurs affectent l'économie du pays. On est plutôt sur des hypothèses de stabilisation des chiffres d'affaires pour 2025", juge Olivier Vejdovsky chez AAG. "Entre la baisse d'activité dans certains secteurs, les incertitudes liées au contexte social et politique, et les interrogations qui pèsent sur le monde de l'automobile, on peut anticiper un ralentissement pour 2025", analyse Julien Raimbault du côté de Logisteo.
Le nombre de plateformes reste stable
Ces interrogations et ces incertitudes n'empêchent pas les principaux acteurs de la distribution française d'avancer. C'est là aussi une autre forme de continuité pour chacun. Le temps des grandes manœuvres est révolu. Les ouvertures et les rachats en cascade qui ont animé le marché à la fin de la décennie 2010 ont permis aux groupements et réseaux dominants d'asseoir leurs positions.
Pris dans sa globalité, le monde des plateformes est stable depuis plusieurs exercices. Le nombre d'entrepôts est resté quasiment le même entre 2023 et 2024, et cette tendance devrait se confirmer en 2025. Notre nouveau panorama recense 163 plateformes. Un maillage dense où l'ambition de chacun ne porte plus réellement sur la quantité mais sur la qualité. L'essentiel du travail se concentre donc sur le renforcement des sites existants et sur l'optimisation des organisations.