Le freinage affronte l'inflation et prépare l'avenir
En dépit d'un contexte atypique, le marché du freinage a une nouvelle fois fait preuve de stabilité l'an dernier, et s'est plutôt bien comporté selon les fournisseurs que nous avons interrogés. "En 2022, nous avons ressenti un marché plutôt stable. Mais il a été nettement impacté par l'inflation", résume Yvon Granier, directeur général de MGA. Cependant, aucun chiffre global n'est encore disponible, le Gipa n'ayant pas publié son baromètre annuel, habituellement diffusé au début de l'été.
Le dernier en date indiquait qu'en 2021, son volume s'élevait à 6,8 millions de jeux de plaquettes et 2,9 millions de disques. Globalement stable d'un exercice à l'autre, ce marché reste très dépendant du kilométrage parcouru. "Les intervalles de remplacement sont uniquement conditionnés par l'usure et ne tiennent pas compte d'une échéance particulière, comme pour le liquide de frein, qu'il faut régulièrement vidanger", précise Thibault Danieli, responsable produits de freinage du groupe Bosch.
C'est ainsi que le marchĂ© du freinage avait Ă©tĂ© fortement touchĂ© par la baisse du kilomĂ©trage parcouru lors de la crise Covid-19. La distribution globale de plaquettes avait chutĂ© de 4 points entre 2019 et 2020. “Leur taux d'opĂ©ration Ă©tait passĂ© de 18 % Ă 14 %. En 2021, il est revenu Ă 15 %. Les disques ont connu le mĂªme phĂ©nomène : leur taux d'opĂ©ration est passĂ© de 6,1 % Ă 6,8 % entre 2020 et 2021« , se souvient Thibault Danieli. Depuis la fin de la crise sanitaire, les Français ont repris la route, malgrĂ© la hausse des prix du carburant.
Le secteur observe cependant une érosion progressive de ses volumes en raison de l''évolution globale du kilométrage moyen parcouru, qui tend à diminuer depuis les années 2000. Mais si les ventes unitaires se réduisent, le marché progresse en valeur… "Le volume des plaquettes (60 % du marché) est décroissant. Cependant, leur prix moyen augmente. Parallèlement, les disques restent à un niveau étal. Ce marché est désormais mature", affirme Georges-Henry Descos, responsable marketing de DRiV (Ferodo, Champion, etc.).
Hausse des coûts de 20 % pour le freinage
Baisse de l'inflation en vue ?
Dans cet environnement inflationniste, d'autres tentent de s'adapter Ă la situation et Ă en tirer parti. C'est le cas de MGA. "Nous avons profitĂ© du contexte pour repositionner nos tarifs, afin d'Ăªtre plus percutants", explique Yvon Granier. Il positionne son offre parmi les marques alternatives aux leaders haut de gamme. "Mais pas low cost !", insiste-t-il. La marque cible notamment la seconde voiture des foyers. "Les automobilistes choisissent plutĂ´t des marques de plaquettes Ă 40 euros pour leur vĂ©hicule principal, et des modèles Ă 32 euros pour le second", observe Yvon Granier.
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De fait, la hausse gĂ©nĂ©rale des tarifs pèse naturellement sur les choix des automobilistes et leur pouvoir d'achat. Cette pression risque de se traduire par des dĂ©cisions davantage axĂ©es sur le prix, ce qui incite les marques premium Ă affĂ»ter leurs arguments. Or, pour ces dernières, le prix ne fait pas tout. "La qualitĂ© doit Ă©galement Ăªtre prise en compte, sinon une dĂ©faillance ou une usure prĂ©coce pourrait annuler le bĂ©nĂ©fice", prĂ©vient Thomas Gorkow, responsable produit et marketing d'Hella Pagid. Optimiste, il prĂ©voit d'ailleurs une baisse de l'inflation au second semestre 2023.
Nous avons profitĂ© du contexte pour Ăªtre plus percutantsajoute Yvon Granier, directeur gĂ©nĂ©ral de MGA.
Prime Ă l'innovation pour les freins
Au-delĂ de l'inflation, l'un des principaux dĂ©fis qui attend les Ă©quipementiers est celui des Ă©volutions technologiques automobiles. Celles-ci sont marquĂ©es Ă la fois par le poids croissant des vĂ©hicules Ă©lectriques (VE) dans le parc roulant, et par les discussions autour de la future norme Euro 7. Du cĂ´tĂ© de l'Ă©lectrification, les fournisseurs des constructeurs automobiles ont Ă©videmment pris de l'avance. "Lorsqu'on est prĂ©sent en première monte, cela reprĂ©sente beaucoup de travail pour respecter le cahier des charges des constructeurs. Mais l'avantage, c'est que nous pouvons proposer les mĂªmes produits en rechange", tĂ©moigne Georges-Henry Descos.
Avec l'ajout de plus de 230 nouvelles références à son catalogue en 2022, Hella Pagid couvre 6 611 applications supplémentaires. ©Hella
Cette position représente un réel atout pour ces équipementiers qui peuvent valoriser leur stratégie d'innovation et capitaliser sur leur stratégie first to market. Chez DRiV, on n'hésite pas à rappeler que Ferodo a été la première marque à formuler un liquide de frein spécifique pour VE et hybrides. "Sa viscosité est étudiée pour fonctionner à froid, afin de répondre à des sollicitations différentes à chaud du thermique, et avec moins de conductivité aussi."
Mais s'ils sont de plus en plus nombreux sur la route, les modèles électrifiés n'arriveront pas chez les MRA avant quelques années. "Le volume actuel de réparation de véhicules électriques dans des ateliers indépendants est encore minime, car ils bénéficient souvent d'une période de garantie prolongée pour l'entretien et la réparation effectués dans les ateliers de la marque", indique Sylvain Rousseau, directeur commercial rechange d'ATE. Les véhicules ayant dépassé cette durée de garantie restent rares. Ils sont donc pour l'instant encore majoritairement captifs des réseaux agréés.
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Ce qui n'empĂªche pas les acteurs de l'IAM de prĂ©parer leur offensive. "Nous suivons de près l'Ă©volution du paysage des pièces dĂ©tachĂ©es pour les vĂ©hicules Ă©lectriques. Cela nous permettra de dĂ©cider rapidement lesquels de nos produits nous devrions introduire sur le marchĂ© de la rechange indĂ©pendante", confirme Sylvain Rousseau. Il prĂ©cise qu'une partie des 1 500 rĂ©fĂ©rences de disques et plaquettes du catalogue d'ATE devrait aussi convenir aux VE.
Une usure réduite, mais une plus grande sensibilité à la corrosion
L'enjeu autour des voitures électrifiées est d'autant plus important qu'on néglige parfois leurs besoins en maintenance. En effet, si certaines prestations liées à l'entretien de la chaîne de traction de ces véhicules vont inévitablement se réduire, en particulier dans le domaine du freinage, d'autres devraient croître, voire émerger. Et offrir ainsi de possibles opportunités dans les ateliers.
"Le système de freinage par rĂ©cupĂ©ration dans les VE reporte de nombreux coups de frein sur le moteur Ă©lectrique lui-mĂªme, explique-t-on chez Brembo. Le freinage hydraulique est donc moins utilisĂ©. Cela rĂ©duit l'usure de leurs composants. Mais leur manque d'action les rend Ă©galement vulnĂ©rables Ă une corrosion dangereuse, qui peut compromettre non seulement la durabilitĂ© d'un système de freinage , mais aussi ses performances et sa sĂ©curitĂ©."
Moins sollicitĂ©e, l'Ă©paisseur des disques spĂ©cifiques aux VE est souvent rĂ©duite pour gagner du poids. NĂ©anmoins, les freins des VE doivent Ăªtre extrĂªmement puissants et particulièrement rĂ©sistants Ă la corrosion. "C'est un conflit d'objectifs qui ne peut Ăªtre rĂ©solu qu'avec des composants de très haute qualitĂ©", rĂ©sume Thomas Gorkow.
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La gamme de disques de TMD Friction répond à la norme de qualité ECE R90. ©TMD
Autre caractéristique émergente avec l'électrification du parc : le frein à tambour devient de plus en plus populaire sur les essieux arrière des véhicules en raison de ses propriétés. "Encapsulé", il est en effet moins sensible à la corrosion. "»Nous avons déjà reçu des commandes de fabricants renommés pour l'équipement d'origine, y compris la famille VW ID", annonce Sylvain Rousseau. La généralisation de ce type de système entraîne des répercussions sur l'entretien. En effet, le frein à tambour se remplace moins souvent (environ tous les 100 000 km) que son homologue à disque (tous les 40 000 à 80 000 km).
En consĂ©quence, Thomas Gorkow estime que la frĂ©quence de remplacement des pièces de freinage , actuellement comprise entre 3 et 4 ans, pourrait Ăªtre Ă©tendue Ă 6 ou 8 ans. "La principale raison pour un remplacement ne serait alors plus nĂ©cessairement l'usure, mais le vieillissement du disque (rouille dans les aubes de refroidissement) ou des fissures dans le revĂªtement dur qui peuvent entraĂ®ner des taches de rouille dans le disque." Pour Ă©viter ces dĂ©faillances, plusieurs marques haut de gamme protègent d'ailleurs leurs disques d'une couche de revĂªtement.
Cependant, l'extension des Ă©chĂ©ances de remplacement ne reprĂ©sentera pas nĂ©cessairement un manque Ă gagner pour les rĂ©parateurs. Le prix plus Ă©levĂ© de ces pièces spĂ©cifiques devrait compenser leur longĂ©vitĂ©. "Le  chiffre d'affaires total de l'industrie des freins pourrait ne pas Ăªtre affectĂ©", pense Thomas Gorkow.
Un nouvel avenir pour le freinage avec Euro 7
Mais cette perspective reste lointaine, et l'activité des réparateurs devrait se concentrer sur le parc thermique pendant encore une dizaine d'années. "Le  parc de véhicules thermiques va continuer à progresser jusqu'à atteindre un pic en 2030. Il baissera ensuite sensiblement en faveur des VE, mais restera encore largement majoritaire en 2040", rappelle Daniel Rochefort.
Les fabricants et distributeurs ont donc un peu de temps devant eux pour s'adapter à cette mutation. Cette évolution pourrait d'ailleurs se doubler de nouvelles avancées technologiques pour les systèmes de freinage avec l'adoption de la norme Euro 7, actuellement en discussion au sein des institutions de l'Union européenne. La première ébauche du texte imposerait aux constructeurs de réduire les émissions de particules de freins et de pneumatiques à 7 mg par kilomètre.
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Pour rĂ©pondre Ă cette norme, plusieurs Ă©quipementiers ont mis au point un dispositif de filtration des particules liĂ©es Ă l'Ă©rosion des plaquettes et disques de frein. D'autres industriels privilĂ©gient la voie de nouveaux matĂ©riaux de friction pour les plaquettes. De quoi offrir, peut-Ăªtre, de nouvelles opportunitĂ©s dans les ateliers…