Regard neuf sur le réemploi
Avec la pièce de seconde main, on peut voir le verre à moitié vide ou plein. Débutons avec une perspective optimiste : depuis le 1er avril 2019 et l'entrée en vigueur de l'arrêté fixant les conditions de vente des pièces issues de l'économie circulaire (Piec), leur usage semble progresser dans les ateliers. Selon les derniers chiffres de l'association SRA, qui couvrent les 9 premiers mois de l'année, la part des réparations comptant au moins une pièce de réemploi (PRE) a atteint 12,1 % (contre 9 % en 2019).
Sur l'ensemble des éléments remplacés par les réparateurs, les PRE ont représenté 3,9 % des véhicules (4 % en 2019), et même 6,2 % pour les voitures âgées de 5 ans et plus (5,5 % en 2019). Rappelons que ces indicateurs, en légère progression, reposent uniquement sur les expertises de réparation-collision et ne tiennent donc pas compte des réparations hors sinistres. Autrement dit, le taux d'usage des pièces d'occasion est potentiellement plus important que ce que laissent penser les indicateurs SRA.
Sur le terrain, c'est la tendance observée par plusieurs acteurs de la filière. "La PRE a le vent en poupe, confirme Johan Branca, cofondateur d'Opisto. Le chiffre d'affaires réalisé par les centres VHU en 2022 devrait atteindre 65 millions d'euros, dont 45 à 49 millions sur nos marketplaces. L'an dernier, ce chiffre d'affaires s'était porté à 48 millions, dont 31 sur les places de marché."
La dynamique est tout aussi positive chez Back2Car, marque du groupe Alliance Automotive (AAG), qui devrait enregistrer une hausse de ses résultats de 30 % en 2022. "Nous explosons nos scores mois après mois, se félicite Luc Fournier, directeur de l'activité Piec chez AAG. Les familles de produits qui progressent le plus sont les gammes carrosserie et moteurs/boîtes de vitesses."
Un contexte favorable
La filière Piec doit son allant à plusieurs facteurs. Tout d'abord, elle a bénéficié d'un environnement porteur. La crise mondiale de l'énergie déclenchée par l'invasion russe en Ukraine a en effet entraîné une vraie prise de conscience dans de nombreux secteurs industriels. Partout, le mot d'ordre est à la sobriété. Y compris dans l'après-vente où de nombreux acteurs ont fait de l'économie circulaire un nouvel axe de leur développement.
La pièce de réemploi fait maintenant partie de l'aftermarket. Nous l'avons vu à Equip Auto avec le Village du réemploi. Et tous les réseaux proposent une offre dédiée à leurs réparateurs, et déploient des politiques RSE plus ambitieusesconstate Johan Branca.
Les prescripteurs jouent également de plus en plus leur rôle, à commencer par les assureurs. À l'instar de Direct Assurance qui affiche un taux de recours aux pièces de réemploi de 13 % pour ses sinistres automobiles. Notons aussi que la Macif s'investit particulièrement dans ce domaine, nouant en septembre dernier un partenariat avec Aniel Marketplace pour alimenter en PRE son réseau de 1 600 réparateurs agréés. Chez les experts automobiles, même tendance : la Piec semble devenir une priorité. Dans sa dernière charte signée avec le syndicat Mobilians, le 18 octobre 2022, le cabinet BCA Expertise indique favoriser l'utilisation de la Piec dans le cadre de la réparation-collision.
Outre ces facteurs structurels, la filière a certainement bénéficié d'une opportunité plus conjoncturelle avec la pénurie observée sur certaines gammes de pièces neuves. "Les crises successives et pénuries qui ont pu suivre ont joué en notre faveur. Plus globalement, ces crises ont démontré notre dépendance à l'égard de l'Asie et ont poussé certains acteurs à chercher des alternatives", observe Johan Branca, qui précise toutefois que la Piec n'a pas vocation à remplacer la pièce neuve.
Même avis du côté de Mathieu Haudiquer, dirigeant des centres VHU LDA (La Déconstruction Automobile) et RAS (Rouen Automobiles Services), qui estime que cette situation a surtout mis en lumière l'offre des déconstructeurs : "La pénurie de certaines pièces ne s'est pas trop ressentie sur la progression de notre chiffre d'affaires. C'est relativement marginal pour ma part, mais cela a permis de voir que nous étions une alternative crédible à la pièce neuve."
La Piec de plus en plus accessible
Autre facteur qui a favorisé l'éclosion du secteur : la digitalisation croissante des centres VHU. Ces derniers ont su amorcer leur virage numérique et proposent de plus en plus leurs pièces sur des plateformes de vente e-commerce et autres places de marché. Cette informatisation croissante des stocks a eu pour répercussions bénéfiques d'améliorer la traçabilité des pièces et de standardiser les offres. De nombreux pure players (Opisto, Reparcar, FRPA, etc.) ont d'ailleurs émergé ces dernières années pour accompagner les démolisseurs dans cette voie.
Chez Indra Automobile Recycling, la vente en ligne est devenue un véritable relais de croissance pour ses 370 centres VHU grâce à l'outil Precis, lancé en 2013. "Sur le digital, nos progressions sont à 2 chiffres, ce qui contribue au marché de la PRE. C'est un vrai plus de proposer autant de fournisseurs accessibles et mutualisés sur une ou plusieurs plateformes, pour une offre de plusieurs centaines de milliers de pièces", souligne Olivier Cor, responsable de la business unit Precis, selon lequel les centres Indra commercialisent aujourd'hui entre 20 et 50 % de leur stock de pièces sur la plateforme du réseau.
Même sentiment chez Mathieu Haudiquer : l'accélération du digital est indéniable depuis quelques années. "Notre « vieux » métier est devenu beaucoup plus moderne avec la multiplication des plateformes/marketplaces de vente. Cela nous pousse à informatiser encore plus notre stock pour qu'il soit visible par tous." C'est ce constat qui a conduit le dirigeant à racheter la plateforme de vente B2B de Piec FRPA, en octobre dernier. "À ce jour, plus de 16 000 réparateurs ont rejoint la plateforme et nous enregistrons plus de 1000 demandes par jour, avec un panier moyen de vente de 200 € HT. Ça motive pour développer son commerce, non ?", lance Mathieu Haudiquer.
Des freins à lever
Si de nombreux signaux sont au vert pour la pièce issue de l'économie circulaire, quelques ombres au tableau demeurent. En effet, si l'usage des Piec progresse dans les ateliers, cette hausse reste assez timide. Et pour cause : alors que les réparateurs sont réglementairement obligés de proposer des pièces de réemploi à leurs clients, dans les faits, ils ne jouent pas toujours le jeu. Selon une étude dévoilée en octobre par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de nombreux garages manquent à leurs obligations liées aux informations sur les pièces de réemploi (taux d'anomalies de 56 %).
Une autre étude dévoilée en 2020 par nos confrères de 60 millions de consommateurs révélait même que 1 garage sur 10 refuse d'intégrer des Piec dans ses devis… Les raisons de ces réticences ? Des délais de livraison jugés trop longs, des incertitudes sur la qualité des pièces et des difficultés à trouver la bonne référence. De nombreux professionnels pointent également du doigt le temps de travail nécessaire pour remettre en état certaines pièces de carrosserie. Des opérations qui ne sont pas toujours valorisées par les experts et assureurs…
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"Les réparateurs doivent trouver un intérêt économique avec la PRE, confirme Olivier Cor. Si les problématiques environnementales ont été prises en compte, l'équilibre financier reste fondamental pour les professionnels. Dans Precis, nous établissons des barèmes de facturation pour permettre à chacun de s'y retrouver, aussi bien le centre VHU que le réparateur et le client final ou l'assureur."
Pour Johan Branca, la pièce de seconde main subit aussi les conséquences de la concurrence sur le marché de la pièce neuve… "Avec la démocratisation de l'accès à la pièce neuve, les tarifs sont devenus plus transparents, et on assiste à une course au prix le plus bas. La PRE nécessite un travail de préparation plus important, c'est sûr, en particulier sur des éléments de carrosserie. Il faut encourager une évolution des mentalités pour valoriser le travail du réparateur."
Face à ces réticences, les opérateurs de la filière entendent poursuivre la structuration de leur activité en développant de nouveaux services pour répondre aux attentes des réparateurs. "Le principal souci pour le réparateur, c'est que jusqu'alors, il ne trouvait pas facilement la PRE recherchée. Une des forces que propose FRPA aux déconstructeurs, c'est qu'ils peuvent répondre aux demandes avec leur stock informatisé démonté et non démonté. Ce qui augmente grandement nos chances de vendre. Avec FRPA, c'est plus de 80 % des demandes qui ont au moins une réponse ! ”, précise Mathieu Haudiquer.
Autre objectif de la filière : enrichir l'offre de Piec mises sur le marché. Alors que seule la moitié des 1 635 centres VHU agréés produisent aujourd'hui de la pièce de réemploi, de plus en plus d'initiatives sont menées pour favoriser cette activité. "Nous voulons augmenter notre taux de démontage de 17 %. Et pour cela, nous prévoyons de recruter 22 personnes l'an prochain", confie Luc Fournier.
L'enjeu autour des véhicules électriques
En se professionnalisant toujours plus, la filière espère aussi se préparer à son prochain défi : appréhender la fin de vie des véhicules hybrides et électriques. Alors que la transition énergétique du parc s'accélère, de plus en plus de centres VHU se sont saisis de cette problématique, et ont réalisé les investissements nécessaires pour le stockage de ces véhicules et la sécurisation des interventions ainsi que les habilitations du personnel.
Nous démontons tous les véhicules électriques qui entrent dans nos centres. Tous nos chauffeurs ainsi que 3 personnes par site disposent d'une habilitation électrique. C'est une demande croissante de certains partenaires assureurs. Nous avons aussi commencé la mise en place du pricing de certaines pièces spécifiques de ces modèlesindique le directeur de Back2Car.
Pour préparer au mieux cette évolution, le réseau Indra s'appuie, quant à lui, sur son école de formation, ouverte en 2021. Elle accompagne la montée en compétences des équipes, dédiant notamment un module au traitement des VE (maîtrise des risques électriques, dépose des batteries, etc.).
Du côté de LDA et RAS, si les effectifs ont été également formés au transport et à la dépollution des VE, Mathieu Haudiquer reste prudent. Le dirigeant rappelle que le parc thermique devrait rester très largement majoritaire dans les VHU ces prochaines années, et s'interroge sur la stabilité économique de la filière, à terme.
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"Le parc automobile est de 40 millions de véhicules environ, ce qui permet à la filière d'avoir des perspectives sur de nombreuses années et de pouvoir investir sur du long terme dans nos entreprises. […] Même si l'interdiction de vendre des véhicules thermiques après 2035 est confirmée, il restera encore beaucoup de véhicules thermiques en circulation, et le besoin de PRE sera peut-être plus important qu'aujourd'hui, vu que ces véhicules seront plus âgés. […] Concernant la valorisation de la PRE issue des VE, nous sommes conscients qu'elle sera beaucoup plus faible vu l'absence de pièces mécaniques. Il faudra donc veiller à l'équilibre financier et développer nos marchés exports. C'est la raison d'être de LDA, qui exporte actuellement 10 000 moteurs thermiques par an dans 20 pays”, conclut le dirigeant.
Nul doute que la question du recyclage des batteries – activité à forte valeur technologique – risque de s'imposer comme un véritable enjeu pour les professionnels de la filière, alors que les constructeurs entendent bien garder la mainmise sur ce sujet.