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Distribution

Charles Taris : "J’ai plus une âme de grossiste que d'équipementier !"

Publié le 27 mai 2024
Par Mohamed Aredjal
5 min de lecture
Retraité depuis peu, Charles Taris en profite pour jeter un œil dans le rétroviseur et revenir sur son parcours dans la rechange automobile. Précurseur des marques alternatives avec MGA et artisan du redressement du groupe Barrault, il nous livre son regard sur l'évolution de la distribution de pièces détachées.
Charles Taris MGA Barrault
Ancien dirigeant de MGA et du groupe Barrault, Charles Taris se livre sur son parcours et sur sa vision du marché de la rechange. ©Charles Taris

Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Vous avez cédé Barrault et MGA à Emil Frey France en 2022. Qu'avez-vous fait depuis ?

Charles Taris : J'ai accompagné le groupe Emil Frey France dans cette acquisition jusqu'à fin février dernier. Depuis, je suis donc officiellement à la retraite ! Je pense d'ailleurs que je ne l'ai pas complètement réalisé. J'ai 78 ans, et je vais essayer d'en profiter en voyageant un peu, notamment à Arcachon où j'ai la chance d'avoir une résidence.

J2R : Suivez-vous toujours l'actualité du marché de la rechange ?

C.T. : Bien sûr ! Je m'intéresse toujours à ce qui se passe dans notre domaine. Même si je n'ai plus de projets dans l'automobile. À mon âge, il est temps de tourner la page !

J2R : D'autant que vous êtes tombé assez tôt dans la marmite de la pièce automobile…

C.T. : Effectivement, j'ai grandi dans une famille de grossistes. Mon grand-père a été l'un des premiers distributeurs de pièces dans la région bordelaise, il y a très longtemps. Et mon oncle avait lui-même créé la Copafa, qui était l'ancêtre de Starexcel puis de Precisium. Finalement, j'ai plus une âme de grossiste que d'équipementier !

J2R : Et pourtant, vous vous êtes d'abord illustré sur ce marché avec la création de la marque MGA. Pouvez-vous me rappeler comment tout a commencé ?

C.T. : Quand je suis arrivé sur le marché du travail, en 1968, j'ai réalisé plusieurs stages, dont un chez Steco, fabricant de batteries à Outarville, dans le Loiret. La marque existe toujours, d'ailleurs [Steco Power, ndlr]. J'ai eu la chance de travailler pendant neuf ans aux côtés d'un chef d'entreprise extraordinaire qui m'a fait découvrir le métier. Mais la société a été vendue à un groupe américain, et j'ai alors voulu tenter ma chance en créant MGA.

Tout est parti d'une idée très simple. J'ai simplement pris conscience de la différence entre le coût de fabrication d'une pièce de rechange et les tarifs pratiqués par les constructeurs automobiles. J'ai eu le sentiment qu'il était possible de se faire une place dans ce marché.

Il faut d'ailleurs replacer les choses dans leur contexte : à l'époque, l'activité après-vente connaissait une expansion naturelle. À mes débuts, le parc comptait un million de voitures. Il y en a 40 millions maintenant.

C'était donc un marché excessivement porteur, dominé par les constructeurs et les équipementiers. Le roi, ce n'était pas encore le client, mais celui qui fabriquait. On sortait des pénuries de l'après-guerre, et c'était presque un honneur de pouvoir acheter une pièce.

J2R : Ce contexte était-il favorable à la création d'une marque alternative ?

C.T. : Oui, car je me suis rendu compte que le marché allait basculer et que le consommateur jouerait un rôle majeur. Le marketing commençait à s'imposer. On s'intéressait de plus en plus à comment convaincre le client d'acheter son produit plutôt qu'un autre. C'était une petite révolution pour l'époque. La grande distribution est arrivée par la suite avec, pour notre secteur, l'éclosion des centres autos. J'ai profité de leur émergence.

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Ces acteurs de la grande distribution étaient mal vus de la profession, qui les appelait "les marchands de petits pois". Personne ne voulait les livrer. Il faut rappeler que les grossistes de l'époque étaient des "caïds régionaux", ils faisaient pression sur les fournisseurs et les équipementiers. J'ai saisi cette opportunité pour les livrer, ce qui a favorisé le développement de MGA.

J'ai notamment eu la chance de me rapprocher de l'enseigne Norauto et d'être son fournisseur en pièces de freinage pendant une quinzaine d'années. Travailler avec ces réseaux nous a permis de développer de nouvelles gammes de produits, et surtout d'améliorer notre stratégie marketing en développant l'image de la marque, le packaging des gammes, etc.

Dans ce domaine, je dois une fière chandelle à Éric Derville, fondateur de Norauto, qui m'a permis de développer ce savoir-faire que j'ai pu apporter chez les grossistes traditionnels.

J2R : La création à l'époque d'une marque comme MGA n'a pas été simple, j'imagine, face au lobby des constructeurs et des équipementiers…

C.T. : C'est effectivement difficile à imaginer aujourd'hui, mais j'étais vu comme un pirate. On ne me serrait pas la main… À leurs yeux, je trahissais un peu le système puisque mes produits étaient moins chers que les leurs. Mais ce marché a évolué et les dirigeants de l'époque ont été remplacés.

Dix ans plus tard, j'ai d'ailleurs quitté la grande distribution, qui n'avait plus besoin de moi. Tous les équipementiers faisaient la cour aux centres autos et aux grands réseaux. Mon temps était donc fini.

Mais ce n'était pas très grave puisque j'avais lancé la mécanique. J'ai alors voulu apporter cette expertise acquise auprès de la grande distribution aux grossistes traditionnels qui, à l'époque, étaient surtout des stockistes. Je voulais les inciter à vendre de la pièce et à prendre des parts de marché. Ce qui m'a conduit à lancer plusieurs nouveautés pour l'époque, telles que les références simplifiées, la représentation de la pièce sur les packagings, etc. Faciliter l'identification du produit a été notre premier atout !

À l'époque, beaucoup de magasiniers partaient en retraite et étaient remplacés par des jeunes qui n'avaient pas la même connaissance du métier. Ils avaient notamment beaucoup de mal avec les références d'origine qui étaient excessivement compliquées. Nous leur fournissions donc la documentation nécessaire pour identifier rapidement les pièces de rechange dont ils avaient besoin.

J2R : Est-ce cette capacité à comprendre les besoins des distributeurs qui vous a conduit, en 2003, à racheter le groupe Barrault ?

C.T. : Le groupe Barrault a été l'un des premiers clients à me faire confiance. Claude Barrault était à l'époque le dirigeant de l'entreprise fondée par son père, et il m'a soutenu dès mes débuts. Mais le groupe a fini par rencontrer des difficultés, et Claude Barrault m'a alors confié qu'il était contraint de vendre sa société.

Je voulais lui éviter le même sort que l'entreprise Ragot, créée par mon grand-père, qui avait périclité après avoir été l'une des plus grosses affaires du Sud-Ouest. La reprise de Barrault était donc un beau challenge. Mais les choses ont été plus difficiles que je le pensais.

J'avais sous-estimé les difficultés de l'entreprise, et il a fallu dix ans pour remettre Barrault à flot. Puis petit à petit, nous sommes partis à la conquête de nouveaux territoires, et le maillage de magasins s'est étoffé.

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J2R : Comment avez-vous réussi à redresser le groupe ?

C.T. : Au départ, ce sont surtout les résultats de MGA qui ont permis de financer le développement de Barrault. Mais nous avons ensuite mis en place un concept de magasin de petite taille qui était rentable. Ce format de point de vente pouvait s'implanter dans n'importe quelle région. Il fallait surtout trouver l'équipe capable de le faire tourner. Le groupe a alors retrouvé une dynamique plus positive.

J2R : Peu de gens savent qu'outre vos activités dans l'aftermarket, vous œuvrez aussi dans la production cinématographique…

C.T. : Oui, effectivement, grâce à un ami auquel je me suis associé. Au départ, c'était presque un jeu. Et puis nous avons eu la chance, il y a vingt ans, de parier sur un premier film qui avait peu de moyens, L'Esquive [réalisé par Abdellatif Kechiche, ndlr]. Ce film a rencontré un énorme succès puisqu'il a remporté quatre Césars en 2005 ! C'était un peu le gros lot pour nous.

Nous avons donc continué, mais de façon plus passive pour ma part. Je ne fais qu'accompagner, le talent vient surtout de mon ami… C'est un autre monde très différent de l'automobile.

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