À voiture exceptionnelle, réparateurs hors pair. C'est bien le cas des carrossiers liés à la marque d'Elon Musk. Considérant que les réparations en carrosserie sont importantes pour "la fonctionnalité, la sécurité et la longévité" de ses véhicules, Tesla, dès ses débuts en France, a choisi de s'appuyer sur un réseau de réparateurs sélectionnés.
"Nous exigeons de ce réseau, en pleine expansion, les plus hauts niveaux de qualité, grâce à une formation et des évaluations rigoureuses", précise le constructeur sur son site. Avec l'essor de son parc roulant, la marque ne cesse d'étoffer ce réseau. Elle souhaiterait passer rapidement d'une cinquantaine d'ateliers agréés à 80. Une information cependant non confirmée par la société d'Austin (États-Unis), qui n'a pas répondu à nos sollicitations. Car c'est cela aussi, Tesla : une culture de la discrétion sur le détail de ses activités.
"Lorsque nous nous faisons agréer par Tesla, nous signons une charte de confidentialité rigoureuse. Nous nous engageons notamment à ne pas divulguer les activités de la marque", précise l'un des membres du réseau. Ces restrictions poussent la majorité des membres interrogés à témoigner anonymement, à deux exceptions.
Beaucoup semblent échaudés par la suspension récente de l'un d'eux (voir encadré). Selon Thomas Alunni, dirigeant de la carrosserie Lecoq, les ateliers partenaires représentent la marque, respectant constamment ses standards (identité, techniques, outils). Le carrossier francilien a été le premier à nouer un accord avec Tesla, en 2015. Il a été suivi par trois autres réparateurs : les carrosseries Brachet, Hervé et D'Attoma.
Amélioration de la réparabilité
Les premières Tesla étaient alors des voitures haut de gamme sans équivalent, dont le prix débutait à 120 000 euros. "Il existait peu d'outillages spécifiques. Les postes à souder l'aluminium et les riveteuses que nous utilisions à l'époque pour réparer les Tesla ne nous servent plus", raconte Thomas Alunni. Depuis, le constructeur a approuvé de plus en plus d'outils, en maintenant des standards élevés.
Tesla a créé un standard de réparation pour les véhicules électriquesThomas Alunni, dirigeant de la Carrosserie Lecoq
Il faut dire que Tesla suit une démarche d'amélioration continue. "La marque a aussi fait évoluer ses modèles pour améliorer leur réparabilité, en termes de rapidité et de coûts. Je pense que l'on répare très bien les Tesla, et de mieux en mieux", ajoute le dirigeant de la carrosserie Lecoq. Ainsi, certains éléments autrefois irréparables ne le sont plus.
"Ce qui change avec Tesla, c'est que le réparateur doit être habilité pour les réparer. Son habilitation électrique dicte des procédures différentes des autres. Ses structures aluminium sont aussi spécifiques", précise Olivier de Stefano, dirigeant de la carrosserie ODS.
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L'omniprésence de ce métal favorise le collage et le rivetage, alors que le soudage est proscrit dans bien des cas. Un autre réparateur prévient que la réparation des Tesla chez les carrossiers indépendants peut entraîner des dérives. "Par exemple, les non-agréés ne peuvent pas effectuer de réparation au tire-clou, car ils ne peuvent pas mettre le véhicule en veille. Ils doivent donc recourir au masticage." Pour eux, le prix des pièces est également majoré, et les réparations structurelles interdites. "Ce type de chantier n'est pas viable économiquement dans le temps pour les non-agréés", assure un autre carrossier.
Une trésorerie solide est impérative
Autre point particulier : les taux horaires de la marque restent importants – plus de 100 € HT. Mais ces coups sont désormais acceptés par les assureurs. Pour Olivier de Stefano, ces tarifs de main-d'œuvre restent dans les standards des constructeurs premium : "Ils ne sont pas plus élevés que ceux de Porsche ou BMW."
Le gérant de la carrosserie ODS estime même que collaborer avec Tesla permet aux ateliers agréés de valoriser un savoir-faire souvent déprécié. "Nous vendons des heures de main-d'œuvre au niveau où nous devrions vendre celles des autres marques." Néanmoins, cette situation pousse certains réparateurs à créer une entité à part en signant cet agrément, afin de distinguer cette activité. "On évite ainsi les conflits d'intérêts sur le taux horaire. De plus, les techniciens qui interviennent sur les Tesla sont spécifiques et ne suivent pas les mêmes formations que les autres", explique un carrossier.
Dans ce domaine, la marque oblige ses réparateurs à habiliter au moins deux réparateurs par poste. Si l'un d'eux change d'employeur, elle leur laisse quelques mois pour former un remplaçant. Cette formation, réalisée aux Pays-Bas, dure une semaine et coûte 5 000 à 7 000 euros. Elle doit être renouvelée tous les deux ans. Un investissement auquel il faut ajouter le prix élevé des consommables pour les outils agréés par Tesla… Autant de dépenses à répercuter sur le taux horaire.
De gros chocs sur ces voitures lourdes et puissantes peuvent occasionner des dommages importants. ©J2R/NG
Autre particularité de la marque : sa logistique de pièces de rechange, également gérée depuis les Pays-Bas. Pendant longtemps, s'approvisionner en pièces Tesla a été plus long que chez les autres constructeurs. "On peut être livré avec des délais d'une à trois semaines", confie un réparateur. Mais cela s'arrange avec la mise en place d'une plateforme lyonnaise, assurant désormais de plus en plus de commandes en 24 à 72 heures.
Un facteur d'autant plus important que Tesla ne facture pas les pièces sous 30 jours, comme les autres marques, mais seulement au moment de la réparation. "En attendant, nous leur servons de banque", grince un carrossier. Ce dernier avance ainsi parfois plusieurs dizaines de milliers d'euros par semaine, pour des chantiers qui lui seront payés plusieurs mois après.
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Finalement, le ticket d'entrée dans le réseau s'élèverait entre 150 000 et 200 000 euros d'équipement et de formation. Mais il faut aussi prévoir une trésorerie solide. Malgré ces exigences, aucun des carrossiers interrogés ne regrette d'avoir hissé ce panneau. "Tesla a créé un standard de réparation pour les véhicules électriques qui n'existait que pour les marques de prestige. Depuis, Jaguar, Land-Rover, Ford et Fisker se sont basés sur ce modèle", affirme Thomas Alunni. D'après lui, cette excellence de la réparation de multi-matériaux manquait à la profession. La stratégie disruptive du constructeur serait donc positive sur ce point.
ENCADRÉ : Satisfaction client et réparation sous contrôle
"Lorsqu'une Tesla reste sur mon parking, il m'arrive de recevoir un mail de la marque au bout de 24 heures. Elle me demande pourquoi le véhicule y stationne aussi longtemps", raconte un réparateur agréé. Cette anecdote illustre le contrôle qu'opère la marque sur ses véhicules connectés. Ce qui fait dire à certains que si les constructeurs ont embarqué des ordinateurs dans leur voiture, Tesla en a construit une autour d'un ordinateur. Grâce à la connectivité de ses véhicules, le constructeur restreint à distance leurs réparations structurelles à son réseau.
Exemple : seul l'un de ses membres peut obtenir une mise en veille pour certaines opérations. Cette connectivité très poussée permet aussi à la marque d'entretenir une forte proximité avec ses clients très connectés… Et parmi ses exigences, elle impose notamment à ses réparateurs un taux de satisfaction de plus de 92 %. "Le problème, c'est qu'une partie de l'insatisfaction qui pèse sur nous dépend directement de la marque, notamment pour les délais de réparation découlant de la livraison des pièces", déplore un carrossier.
Autre point à prendre en compte : toutes les réparations dans les ateliers agréés sont tracées en détail – photos et numéros de notes techniques à l'appui. Celles-ci servent notamment à vérifier la qualité des interventions lors d'audits internes. C'est dans ce cadre que l'un des membres du réseau a été suspendu par Tesla. Pourtant, selon les réparateurs que nous avons interrogés, le carrossier incriminé a agi de bonne foi et en toute transparence.
"Mais sur certaines opérations, la différence entre méthodes prescrite et interdite est très subtile. Par exemple, on n'a pas le droit de vériner un bloc avant ou arrière déporté. Mais le redressage est autorisé dans certains cas." L'un des réparateurs estime même que "80 % des carrossiers de la marque auraient pu commettre la même erreur, voire l'ont déjà faite". Le risque est d'autant plus élevé que les ateliers doivent parfois argumenter face à des experts automobiles poussant à réaliser des opérations interdites par Tesla…