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Distribution

Retours de commandes : pourquoi les distributeurs durcissent les règles

Publié le 24 mars 2025
Par Elodie Fereyre
9 min de lecture
Casse-tête logistique, la gestion des retours de pièces de rechange continue de peser lourd sur les épaules des distributeurs. Entre erreurs de commandes, nouveaux impératifs environnementaux et pratiques discutables de certains réparateurs, ces derniers doivent redoubler d’ingéniosité pour rationaliser ce flux complexe.
Au sein du groupe Partsmen, les techniciens du call center ne peuvent pas référencer les pièces hors catalogue constructeur. ©Partsmen
Au sein du groupe Partsmen, les techniciens du call center ne peuvent pas référencer les pièces hors catalogue constructeur. ©Partsmen

Qu’il s’agisse de groupements, de plateformes ou de distributeurs en lien direct avec les clients réparateurs, la gestion des retours ne tient pas forcément la même place pour chacun. Toutefois, un son de cloche fait l’unanimité : il y en a toujours trop ! Concernant entre 2 % et 18 % des ventes dans les cas les plus extrêmes, les annulations de commandes, intégrées gratuitement à la majorité des offres de services dans la distribution traditionnelle, représentent un coût important et nécessitent une logistique spécifique.

"Dans le groupe Alternative Autoparts, nous possédons toutes les activités de la pyramide : groupement, plateforme de groupement, plateforme régionale, plateforme nationale et distributeur grossiste. Et selon les niveaux, le taux de retour varie. Au niveau de la plateforme, où nous travaillons avec des distributeurs, le taux de retour est d’environ 6,5 à 7 %, alors que chez les distributeurs, qui œuvrent en direct avec les MRA, le taux de retour atteint 14 à 15 %. C’est du simple au double ! En moyenne, nous enregistrons un taux de retour de 8,5 % dans le groupe, soit environ 21 millions d’euros de pièces retournées", confie Christophe Combes, directeur des opérations d’IDLP.

De son côté, Frédéric Toussaint, gérant du groupe TIC & PRCO, qui possède plusieurs activités de grossiste (Pierre Auto Angoulême, Cognac Pièces Autos et PRCO - plateforme Sirius de l’Agra), affiche un taux de retour plus faible mais souligne l’impact logistique de ce flux.

"Je traite environ 10 000 euros de retours sur 800 000 euros de chiffre d’affaires mensuel, soit entre 1 et 2 %. Cela peut sembler minime mais en volume, ce flux peut représenter un nombre considérable de petites pièces, notamment des filtres à quelques euros l’unité. De plus, pendant que ces retours sont gérés, le service achats continue de réapprovisionner, ce qui peut vite générer des stocks en double, triple, voire quadruple. Une bonne gestion de la trésorerie est alors essentielle."

Un enjeu financier sous-estimé ?

Gérer ces retours nécessite une adaptation logistique, financière et organisationnelle. Chez Adipa, où le taux de retour s’établit à 12 %, soit 2 millions d’euros sur 22 millions de pièces vendues, quatre personnes y sont entièrement dédiées : deux en logistique et deux en bureau.

"Ce service après-vente concerne également les vieilles matières et les garanties. Nous mettons un point d’honneur à être vigilants, mais aussi à traiter le retour rapidement. Pour nous, quand il s’agit d’une situation standard, c’est-à-dire le retour d’une pièce neuve, celui-ci doit être traité dans la semaine", indique Laurent Ferré, directeur général d’Adipa.

Même approche du côté de Jérémy Sellin, directeur d’Auto Pièces Industrie à Quimperlé (29) : "Nous avons une personne dans l’équipe qui se charge des avoirs. Dès que nous avons durci nos règles de retour, il est devenu indispensable d’en assurer un suivi quotidien. Sans cela, les pièces s’entassent dans nos locaux. En traitant ce flux au jour le jour, les pièces repartent au plus vite chez nos fournisseurs si nous décidons de les renvoyer."

Des règles de retour de plus en plus strictes

Face aux coûts induits, de nombreux distributeurs ont mis en place des politiques plus rigoureuses. Certains ont même déployé des outils pour fluidifier cette gestion, à l’instar d’ILDP.

"Nous avons mis en place un formulaire de demande de retour sur la plateforme de commande. Il n’y a plus de retours faits « à la volée », ils sont désormais refusés, détaille Christophe Combes. C’est pour éviter de recevoir des pièces qu’on risquerait de perdre, dont on ne connaîtrait pas la provenance. Vu le nombre de pièces que nous transportons chaque jour, nous évitons de nous retrouver avec des produits mal identifiés, car ils pourraient être égarés."

D’autre part, ce process permet aux équipes d’IDLP (cinq personnes à la plateforme de Fresnes, une vingtaine à l’échelle du groupe) d’analyser chaque retour. Premier élément à contrôler : le délai écoulé avant de retourner le produit. Au-delà de 12 mois, le groupe refuse la demande. De plus, si la pièce renvoyée a déjà été commandée plusieurs fois dans les 12 derniers mois, les équipes du distributeur incitent le client à la conserver pour lui éviter de la recommander dans les prochains jours.

"Et systématiquement, nous refusons les grosses rotations. Enfin, les équipes vérifient la nature du produit, car nous ne reprenons simplement pas certaines références. Cette plateforme sert de premier filtre pour limiter les retours inutiles, car certains clients ne font pas attention à ce qu’ils retournent", ajoute le directeur des opérations d’IDLP.

Qu’il s’agisse de délais pour retourner une pièce, de refus de retour sur certaines catégories, ou encore d’abattements imposés (pouvant aller jusqu’à 50 % dans les cas les plus stricts), chacun a mis en place une politique spécifique. Un point commun : les pièces montées ne sont bien évidemment jamais reprises, car elles sont logiquement refusées par les fournisseurs.

Et pour beaucoup, les produits électroniques ne sont pas repris, car il est parfois difficile de savoir s’ils ont été montés. C’est le parti pris par Jérôme Barbosa, gérant d’Auto Pièces Concept (APC) à Bourg-en-Bresse (01), qui gère entre 1 500 et 2 000 euros de retours par mois sur 64 000 pièces vendues en 2024 (moins de 5 % de taux de retour).

Dans la plupart des cas, les retours sont dus à une mauvaise identification des pièces. ©ZF

Dans la plupart des cas, les retours sont dus à une mauvaise identification des pièces. ©ZF

"Nous limitons au maximum la reprise des produits électroniques. La règle est souvent la suivante : nous indiquons systématiquement que ces pièces ne peuvent pas être reprises, car il est difficile de savoir si elles ont été montées ou non. Par ailleurs, les garagistes doivent intégrer que le diagnostic ne se fait pas avec les pièces facturées, une pratique encore trop répandue."

En parallèle, les distributeurs mettent en place des abattements allant de 5 à 50 % en fonction du délai et de la nature du produit. Des délais sont aussi imposés aux réparateurs (généralement entre un mois et un an) pour renvoyer leurs produits. Mais tous insistent sur la nécessité de travailler en bonne intelligence.

"Nous avons instauré une nouvelle approche avec nos clients : dès qu’ils passent commande, ils doivent considérer que la pièce ne sera pas reprise, sauf en cas d’erreur de notre part. Concrètement, soit nous ne reprenons pas la pièce, soit nous appliquons des pénalités sous forme d’abattements allant de 5 à 20 %. Il faut aussi comprendre que les plateformes avec lesquelles nous collaborons appliquent elles aussi des abattements. Commander sans nécessité a un coût, et il est essentiel que nous travaillions tous dans la même direction", ajoute Jérôme Barbosa.

L’optimisation du taux de retour est d’autant plus essentielle que les distributeurs sont de plus en plus soumis à des impératifs de verdissement de leur activité logistique. En limitant les annulations de commandes, ils peuvent diminuer leur empreinte carbone.

"Avec l’évolution du monde du travail, de nombreux concepts émergent, notamment la RSE. Les retours de pièces font partie des enjeux que nous mettons en avant, car chaque transit génère du CO2. Des allers-retours inutiles ont donc un impact non négligeable. Cela fonctionne dans les deux sens : nous veillons également à limiter ces retours en nous assurant que chaque pièce envoyée ne reviendra pas", insiste Christophe Combes.

L’objectif est donc d’inciter les clients à adopter de bonnes pratiques, mais aussi de travailler en interne pour réduire les erreurs au départ, comme en témoigne Sreta Mirkovic, directeur général de Partsmen Groupe : "Avant de sensibiliser nos clients et d’appliquer des règles strictes d’abattement, nous avons d’abord travaillé avec nos équipes. Par exemple, les personnes du call center, c’est-à-dire de notre service référencement, n’ont pas le droit de référencer les pièces hors catalogue constructeur. Tous les référencements des pièces des demandes clients doivent absolument être faits à l’aide des catalogues constructeurs pour minimiser les erreurs".

Idem chez Adipa, qui possède un référent technique (un "pro de la pièce") capable de renseigner le client de manière précise sur ce qu’il recherche. Malheureusement, la main-d'œuvre qualifiée pour ce type de tâches est rare. "Cela fait deux ans que nous en cherchons un deuxième pour compléter l’équipe, mais nous ne trouvons pas le bon profil !", regrette Laurent Ferré.

Lutter contre les pratiques abusives

Autre phénomène qui contribue à grossir le nombre de retours, les pratiques "opportunistes" dont semblent user certains réparateurs. Ainsi, des ateliers n’hésitent pas à commander la même pièce à plusieurs fournisseurs pour ne garder que celle qui est livrée le plus rapidement, comme le décrit Sreta Mirkovic.

"Certains commandent chez nous car nous livrons plus vite et après, ils commandent auprès de leur centrale d’achat, car les conditions commerciales sont plus favorables. Toutefois, nous sommes une entreprise familiale et indépendante, et nous avons l’avantage d’être en lien direct avec les responsables des garages et centres autos, à qui j’explique que l’honnêteté et la sincérité sont essentielles dans une relation commerciale. Nous avons tout de même mis en place un système de marquage invisible qui nous permet de vérifier que la pièce retournée provient bien de chez nous."

Chez Auto Pièces Industrie, une solution similaire est envisagée : un marqueur incolore détectable à la lumière infrarouge, pour identifier l’origine des pièces retournées. "Nous avons des doutes sur certains clients qui commanderaient aussi sur Internet et nous retourneraient cette pièce car la nôtre est arrivée avant. Nous réfléchissons donc avec nos fournisseurs à cette nouvelle solution. Ça ne demande pas un gros investissement, je pense que nous y viendrons", indique Jérémy Sellin.

Pour d’autres acteurs de la distribution, la politique est encore plus stricte, et les distributeurs n’hésitent pas à aller jusqu’à fermer le compte du client lorsque ce type de pratique survient. Certains fournisseurs commenceraient également à développer deux codes-barres, un pour la référence du produit et un autre "unique" pour identifier chaque pièce. Autant de stratégies qui pourraient freiner drastiquement ces pratiques à l’avenir.

Pourquoi tant de retours ?

Parmi les principales catégories de pièces retournées, figurent les PGV (pièces de grande vente), en particulier les produits des gammes filtration, freinage, suspension et essuyage. Jérôme Barbosa avance trois explications à cet état de fait.

"30 % de ces annulations de commandes sont dues à des erreurs d’identification. Malgré les avancées technologiques, des ratés subsistent, même à l’origine. À cela s’ajoutent 30 % d’erreurs de diagnostic de la part des clients : certains commandent des pièces par précaution, simplement après avoir écouté l’automobiliste, sans examiner le véhicule, tandis que d’autres se fient aux valises de diagnostic, qui, malheureusement, ne sont pas infaillibles. Le reste des retours s’explique par des désistements clients ou des délais de livraison non respectés. Par ailleurs, ces deux dernières années, j’ai constaté une recrudescence des problèmes liés au transport", rapporte-t-il.

Pour le désistement client, c’est bien évidemment une notion sur laquelle personne n’a de prise, mais qui a tout de même l’avantage d’être relativement saisonnière. En effet, ce phénomène est beaucoup plus important pendant l’hiver, lorsque la période des épidémies bat son plein. Il devient beaucoup plus sporadique à l’approche de l’été. La question de l’identification de la pièce reste donc l’un des éléments clés qui pourrait faire pencher la balance en faveur d’une baisse des retours.

La raison ? Des véhicules de plus en plus complexes, des techniciens moins bien formés et des outils qui, malgré leur efficacité, laissent parfois place au doute. "La principale raison des retours aujourd’hui, c’est que le client a commandé la mauvaise pièce, parce qu’identifier une pièce reste très compliqué. Nous avons beau avoir des catalogues électroniques comme ETAI ou TecDoc, les croisements de références ne sont pas toujours bien faits. Et chez nos clients, il y a de moins en moins de magasiniers qui ont cette connaissance de la pièce", partage Laurent Ferré.

Référencement : le rôle clé de la formation

Ce point soulève aussi la question de la formation chez les garagistes. En effet, la plupart des acteurs interrogés relèvent de fortes demandes de retours sur toutes les pièces électroniques, qui sont souvent mal identifiées malgré le passage de la valise. Le code défaut est fréquemment mal interprété.

"Lorsqu’un outil de diagnostic est branché sur un véhicule, il peut afficher une multitude d’informations. Encore faut-il savoir interpréter correctement les codes défauts… Beaucoup ne maîtrisent pas cette étape et commandent plusieurs pièces par précaution, comme un capteur d’arbre à cames et un capteur de vilebrequin. Ils montent l’un des deux, vérifient si le code défaut persiste puis, si c’est le cas, ils démontent la pièce et tentent de la retourner. Cette pratique est fréquente et témoigne d’un réel manque de connaissances techniques en matière de diagnostic électronique", déplore Sreta Mirkovic.

Pour Jérôme Barbosa, les garagistes, souvent seuls dans leur atelier, n’ont pas le temps de se former, et ne connaissent pas bien le fonctionnement des appareils de diagnostic qui permettent de régler 90 % des pannes en atelier. Et c’est aussi le cas chez le distributeur, avec ses vendeurs magasiniers. "Aujourd’hui, former ce corps de métier est difficile, et c’est très compliqué de recruter du personnel compétent", abonde le dirigeant.

La possibilité de retourner une pièce fait partie des services offerts généralement par les distributeurs à leurs clients. ©AdobeStock

La possibilité de retourner une pièce fait partie des services offerts généralement par les distributeurs à leurs clients. ©AdobeStock

Pour Christophe Combes, le garagiste, dernier maillon de la chaîne, n’est pourtant pas le seul en cause. Il rappelle, en effet, que de nombreux ateliers sont contraints de commander plusieurs modèles de pièces (courroie, filtration, plaquettes, disques, etc.) faute d’avoir pu identifier la bonne référence. Si cette pratique peut être perçue comme malhonnête, en réalité, ils n’ont souvent pas d’autre choix.

"Si les catalogues étaient plus performants et ne laissaient place à aucun doute, ce problème n’existerait pas. D’une certaine manière, nous sommes tous responsables de ces retours. Si les constructeurs facilitaient davantage l’accès aux données pour la rechange indépendante, les catalogues gagneraient en précision. Et si nous formions mieux nos clients à référencer correctement les pièces, comme nous le faisons en interne, nous améliorerions aussi la fiabilité du « cataloguing »", détaille le directeur des opérations d'IDLP.

Sans compter que les attentes des clients finaux ont évolué, exigeant toujours plus de réactivité de la part de leur garagiste. "Les automobilistes veulent déposer leur voiture le matin et la récupérer le soir. Il est difficile de répondre à cette demande alors que les réparateurs réduisent leurs stocks par manque de trésorerie", conclut Christophe Combes.

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