Bornes : les enseignes multimarques ont du retard à l'allumage
Petit à petit, la transition énergétique du parc roulant se confirme. En août dernier, fait inédit, la part de marché des voitures électriques a dépassé 20 % en Europe, selon les chiffres de l'Association des constructeurs (ACEA).
Dans l'Hexagone, le marché suit la même tendance. Sur le même mois d'août, les hybrides non rechargeables y ont représenté une part de marché de 22 % (+ 41,9 %) tandis que l'électrique culmine à 17,3 % (+ 59,8 %). C'est sûr, les enseignes de maintenance multimarque ne peuvent plus ignorer la transformation qui s'opère dans le parc.
Centres autos et fast-fitters en pole position
Après les réseaux constructeurs, elles sont de plus en plus nombreuses à se préparer à l'arrivée de ces véhicules en équipant leurs ateliers d'infrastructures de recharge. Et sur ce sujet, les réseaux de centres autos et de fast-fit ont été les premiers à franchir ce cap.
Dès 2022, Norauto a annoncé le déploiement de bornes "accessibles en prix et ouvertes à tous" sur les parkings de 120 sites. "96 centres en ont été dotés et nous parviendrons à notre objectif dans les prochaines semaines", confirme Amaury Daniel, chef de projets électrique de l'enseigne du groupe Mobivia.
Précisons toutefois que ce déploiement ne concerne que des succursales du groupe. Pour les franchisés, Amaury Daniel indique que "le travail est en cours". Les ambitions sont toutes aussi fortes dans le réseau Speedy, qui vient d'annoncer son intention d'installer des points de recharge dans une centaine de centres d'ici à fin 2024.
Du côté des MRA, en revanche, le sujet tarde à se concrétiser. Chez Clas, qui développe une offre dédiée depuis l'an dernier, on remarque que ce sont principalement les agents de marques et les centres autos qui s'équipent. "Ils sont dans l'anticipation du marché des véhicules électrifiés. Les offres dédiées aux garagistes sont très limitées. De plus, on observe un manque de compétences produits."
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Quelques acteurs du marché ont toutefois pris les devants, comme le groupe Autodistribution, qui a noué un accord avec TotalEnergies pour électriser ses réseaux avec l'ambition d'équiper 2 000 réparateurs d'ici à 2025. Chez Alliance Automotive, le lancement d'une offre de bornes est bien à l'ordre du jour, dans le cadre du concept de réparation Nexdrive, dévoilé à Equip Auto en octobre 2022.
Ce projet a été piloté avec la filiale rennaise Hiot, déjà spécialisée dans l'installation de stations de carburant. "Nous avons réalisé une analyse de marché complète pour concevoir les besoins de nos clients avec une offre clé en main", souligne Fabien Guinard, en charge du développement commercial et marketing chez Hiot. AAG espère déployer cette nouvelle offre début 2024.
Des projets sur mesure
Si les installations de points de recharge tardent à se généraliser dans les réseaux multimarques, c'est en partie parce que ces projets restent difficiles à appréhender. Entre les différentes puissances (de 7,4 kW à plus de 350 kW), les recharges en courant alternatif ou continu, la facturation à la minute ou au kW/h, les questions sont multiples et les réparateurs peinent à s'y retrouver. C'est pourquoi de nombreux fournisseurs mettent à leur disposition des solutions "tout compris".
À l'instar de Proxitech, qui a développé un catalogue spécifique depuis mars dernier. "Nous proposons un service clé en main. Dès la prise de contact via le grossiste, nous nous occupons de tout. Et avant chaque projet, nous réalisons une visite technique", explique Coralie Thomas, responsable département mobilité électrique du distributeur francilien.
Cette première étape, essentielle, permet d'identifier le type de bornes adaptées à l'usage et à la configuration du bâtiment. Le fournisseur détermine également à cette occasion le bilan électrique du site. "La question de la puissance électrique est incontournable. Sur certains sites, nous sommes aussi contraints de demander l'autorisation du bailleur. Les projets peuvent aussi demander du génie civil, ce que nous évitons pour des raisons de coût", détaille Lyes Cheurfa, directeur commercial tertiaire de Waat.
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La question de la puissance électrique est d'autant plus importante qu'elle peut impliquer de nombreux aménagements pour le garage. "C'est une vraie problématique car les réseaux n'ont pas été adaptés lors de la construction des bâtiments. Pour définir la puissance d'abonnement du compteur électrique, il faut tout d'abord tenir compte des consommations maximales du bâtiment et y ajouter la puissance de la borne. Pour un tarif bleu, la puissance varie de 3 à 36 kVA. Au-delà de 36 kVA, on passe en tarif jaune, ce qui demande une modification de puissance d'abonnement et un changement de compteur. Ce qui peut demander des travaux importants en fonction de la vétusté de l'installation", complète Coralie Thomas.
Des budgets très variables
L'étude technique de chaque infrastructure permet, en outre, de déterminer le coût d'installation. Le montant de la facture reste très variable selon la borne déployée et les travaux engagés. "Pour les bornes AC, l'investissement est autour de 3 000 euros, installation comprise, variant de 2 000 à 8 000 euros. En ce qui concerne les bornes DC [généralement utilisées pour la recharge rapide, ndlr], on est plutôt sur un investissement démarrant à 15 000 euros avec la partie génie civil", fait-on savoir chez Clas.
Pour financer ces infrastructures, plusieurs options sont possibles. Si beaucoup de professionnels privilégient l'acquisition, d'autres réparateurs préfèrent soulager leur trésorerie en choisissant la location. Une formule qui peut s'avérer intéressante si la borne est mise à la disposition du grand public et génère ainsi des revenus réguliers.
"Si on couple le leasing de la borne et sa monétisation, on parvient à un budget moyen de 80 euros par mois et à un chiffre d'affaires relativement similaire. Ce qui permet aux réparateurs de faire le même métier qu'une station-service en achetant leur kWh 30 centimes et en le revendant 50", suggère Lyes Cheurfa.
Un autre mode de financement est de faire appel à un tiers investisseur. Le principe est simple : un opérateur va financer le projet avec, en contrepartie, la propriété de cette installation et des revenus qu'elle génère pendant une période déterminée. C'est la formule adoptée par Norauto.
Quelle que soit l'option choisie, les garages peuvent bénéficier de subventions et d'aides pour l'ouverture de leur point de recharge. Citons notamment le programme de primes Advenir, ouvert aux professionnels de l'automobile. Pour un usage privatif, le taux d'aide ne peut dépasser les 25 % avec un plafond à 750 euros HT.
Pour les points de recharge ouverts à tous les publics, le taux d'aide maximal est fixé à 50 % pour un plafond variable selon la puissance de recharge (jusqu'à 15 000 euros HT pour une borne supérieure à 140 kW DC). L'éligibilité à cette prime dépend toutefois de plusieurs critères : le recours à un installateur référencé, la signature d'un contrat de maintenance prévoyant au moins une inspection tous les ans sur 36 mois, ou encore la signalisation des places.
Prendre le virage de la mobilité électrique
Lancé en 2016 et reconduit jusqu'en 2025, le programme Advenir a pour objectif de financer 175 000 points de recharge sur cette période. Pour les fournisseurs d'infrastructures de recharge, ce dispositif constitue surtout un sérieux coup de pouce de l'État, auquel peuvent s'ajouter d'autres subventions locales. “Nous incitons nos clients à concrétiser leur projet s'ils veulent bénéficier de ces subventions intéressantes qui ne seront pas maintenues dans les prochaines années”, indique Lyes Cheurfa.
Mais au-delà de cet aspect financier, le directeur commercial de Waat estime que les réparateurs multimarques peuvent tirer d'autres bénéfices de leur borne. "Ouvrir un point de recharge au public, c'est aussi rendre son garage plus attractif et générer du flux. J'ai l'exemple d'un client garagiste qui accueille aujourd'hui des Tesla sur son parking : c'est un vrai plus pour son atelier."
Un discours qui fait écho à celui d'Amaury Daniel, qui reconnaît que ces bornes permettent d'augmenter le trafic dans les centres Norauto équipés, qui accueillent des véhicules très récents plus habitués aux réseaux constructeurs. "Nous attirons un certain nombre d'automobilistes qui ne sont pas clients chez Norauto : ils viennent se recharger et peuvent faire des achats en magasin pendant ce temps."
Pour l'enseigne du groupe Mobivia, ces infrastructures s'intègrent également dans le cadre d'une stratégie plus globale visant à prendre position sur le marché de la maintenance de VE.
"Nous développons des prestations atelier et une offre en magasin pour répondre aux attentes des conducteurs de voitures électriques. Nous avons lancé la révision du véhicule électrique, des câbles de recharge en magasin, un service d'installation de bornes chez nos clients, etc. Proposer ce service de recharge permet de légitimer notre positionnement sur ce type de véhicules, et notre virage vers la mobilité électrique", conclut le chef de projets électrique de l'enseigne du groupe Mobivia.