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Réparer autrement : les garages face au défi de la durabilité

Publié le 17 juin 2025
Par Mohamed Aredjal
8 min de lecture
Face à la montée des exigences environnementales, les ateliers amorcent un tournant structurant. Derrière cette évolution, une redéfinition progressive des pratiques rebat les cartes de l’efficacité et de la compétitivité dans l’après-vente. Plongée au cœur d’une transformation qui dessine déjà le garage de demain.
Dans les ateliers, la transition écologique est en marche. Tri des déchets, réparations durables et maîtrise de l’énergie redessinent peu à peu le quotidien des réparateurs. ©AdobeStock
Dans les ateliers, la transition écologique est en marche. Tri des déchets, réparations durables et maîtrise de l’énergie redessinent peu à peu le quotidien des réparateurs. ©AdobeStock

L’après-vente automobile n’échappe plus à la transition environnementale de l’économie. À l’instar de la filière amont, les métiers de la maintenance et de la réparation doivent désormais intégrer des objectifs de durabilité. Un changement à la fois culturel, économique et technique. Ce sont d’abord les attentes sociétales qui évoluent.

Si l’argument prix reste essentiel dans les décisions d’achat, il est de plus en plus challengé par la question de la réparabilité, de la durée de vie ou de l’empreinte carbone des biens. Cette évolution commence à se faire sentir dans les ateliers.

"On observe que la sensibilité environnementale des clients progresse. Ce n’est pas encore un levier prioritaire de choix pour les particuliers, mais ce n’est plus une attente marginale", constate Frédéric Moulin, directeur marketing de BestDrive.

Les garages face aux exigences réglementaires

Pour les clients professionnels en revanche, notamment les gestionnaires de flotte et loueurs longue durée, l’exigence est déjà bien ancrée. "C’est une demande forte de nos clients grands comptes", confirme Frédéric Moulin. La transparence sur la gestion des déchets, les engagements en matière de circularité, la traçabilité des flux de pièces ou les pratiques de réduction d’émissions deviennent des conditions d’éligibilité pour de nombreux marchés. Dans ce contexte, la réparation automobile doit revoir ses standards.

La pression réglementaire joue un rôle déterminant dans cette transformation. La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), entrée en vigueur début 2024 pour les grandes entreprises et progressivement étendue aux ETI, impose de nouvelles obligations de transparence en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

Même si les garages indépendants ne sont pas concernés à ce stade, les enseignes et réseaux intégrés doivent s’y conformer, avec un effet d’entraînement sur l’ensemble de leurs partenaires. Parallèlement, les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) se multiplient. Après les pneumatiques et les huiles usagées, elles s’étendent à de nouvelles gammes de produits.

"Les filières REP se développent et viennent modifier le fonctionnement historique de notre métier. […] À ce jour, c’est le cas sur les huiles, les véhicules hors d’usage et prochainement, normalement, sur les batteries, les emballages professionnels (bouteilles, bidons d’huile, fûts, etc.). Cela va modifier l’organisation des garages et démultiplier le nombre d’acteurs qui interviennent dans les garages", résume Aurélien Dumarche, responsable commercial national du groupe Chimirec.

Une RSE encore inégalement structurée

Face à ces nouveaux impératifs, où en sont réellement les professionnels de la réparation ? Le baromètre RSE de Mobilians, mené en avril 2025, offre un éclairage intéressant. Il montre que 63 % des répondants consacrent une part importante de leur budget RSE à des actions environnementales. Mieux : un tiers des entreprises interrogées ont déjà formalisé une politique RSE. Ces chiffres doivent cependant être nuancés. La structuration de la démarche dépend fortement de la taille de l’entreprise.

Dans les groupes ou les grandes enseignes, la RSE est pilotée de manière professionnelle. "Les enjeux environnementaux sont au cœur de la stratégie globale de Norauto, témoigne Anne-Danièle Fortunato, leader développement durable de Norauto. Depuis 2019, nous nous sommes engagés dans une stratégie bas carbone, dans le cadre des Accords de Paris. Notre objectif est de réduire notre empreinte carbone de 2,5 % par an sur l’ensemble de nos émissions."

Pour répondre à ces engagements, l’enseigne a diminué de plus de 30 % sa consommation énergétique en quatre ans. "Nous travaillons sur une offre de produits et de prestations plus responsables et durables sur tout le cycle de vie (écoconception, matières, packaging, transport et recyclabilité). Nous avons créé un référentiel qui permet d’identifier nos produits et prestations plus responsables et plus vertueux", ajoute Danièle Fortunato.

Dans les garages indépendants, l’approche reste, en revanche, souvent empirique, voire informelle. Certaines entreprises pratiquent une gestion responsable sans la nommer, d’autres hésitent à s’y engager faute de temps ou de retour sur investissement mesurable. Mais l’écart se réduit.

Gestion des déchets : une professionnalisation progressive

Illustration de cette nouvelle dynamique : la gestion des déchets automobiles a connu une évolution notable en vingt ans. Longtemps considérée comme une simple contrainte, elle est devenue un véritable enjeu opérationnel.

En vingt ans, les garages ont développé leur collecte de déchets avec un accroissement constant du nombre de garages faisant appel à un prestataire agréé. Pour la collecte des filtres à huiles et à carburant, on est passé de 1800 professionnels en 2002 à 21000 en 2022, et pour les pare-brise de 900 à 6000 ateliers observe Aurélien Dumarche.

Cette évolution est particulièrement visible dans les réseaux et groupes de distribution. "Leur organisation permet une harmonisation des processus sur l’ensemble des sites. Cela facilite une collecte optimisée et un suivi rigoureux", poursuit le responsable. À l’inverse, les réparateurs indépendants ou les MRA isolés présentent des situations beaucoup plus hétérogènes.

"Le fonctionnement n’est pas totalement mature, et plusieurs milliers de professionnels ne font pas collecter leurs déchets correctement", constate Aurélien Dumarche, qui ajoute que les principales difficultés dans les ateliers sont liées au respect du tri. Pour accompagner ces acteurs, le spécialiste de la gestion de déchets automobiles a mis en place des solutions clé en main, incluant des contenants adaptés, des tournées de collecte et des supports de communication.

Dans un atelier, les flux de déchets sont multiples et parfois complexes à identifier. Ils recouvrent à la fois des déchets industriels dangereux (DID) – huiles, batteries, filtres, liquides de refroidissement – et non dangereux (DIND) – plastiques, cartons, pare-chocs, pare-brise. Leur traitement diffère selon la nature du flux et le niveau de tri à la source. Chimirec étudie d’ailleurs ces flux pour améliorer leur valorisation.

Autre projet innovant sur lequel travaille le groupe : la production de CSE (combustible de substitution énergétique). "Nous venons de lancer cette activité sur notre filiale d’Aulnay-sous-Bois. Nous broyons et criblons les pots de peinture vides, les chiffons souillés, les résidus de peinture pour produire un combustible utilisé dans l’industrie cimentière."

La structuration de la gestion des déchets n’est pas réservée aux prestataires spécialisés. Certains réseaux l’ont internalisée et en ont fait un levier de performance. Chez Norauto, la démarche a été lancée dès 1995. "Aujourd’hui, nous avons 24 filières de gestion des déchets. Les principales sont : pneumatiques usagés, batteries, huiles, filtres, matériaux souillés, aérosols, cartons, plastiques… Cela représente plus de 30 000 collectes par an, et autant de tonnes de déchets traités."

Réparer et pas remplacer, un changement culturel

L’économie circulaire dans l’après-vente automobile repose sur une logique simple : allonger la durée de vie des composants et privilégier leur réutilisation ou leur reconditionnement. Mais sa mise en œuvre pratique suppose de changer les habitudes, celles des réparateurs et de leurs clients. C’est notamment pour favoriser ces bonnes pratiques qu’est né l’Eco Repair Score, outil d’évaluation environnementale des activités de réparation automobile, lancé par le cabinet d’expertise Vonck et l’institut de recherche Vito.

"Ce que nous cherchons à mettre en évidence avec l’Eco Repair Score, c’est la valeur environnementale d’une réparation plutôt que d’un remplacement", explique Kévin Le Blévennec, expert en économie circulaire pour la solution. "On met des chiffres sur des pratiques vertueuses, comme réparer une jante au lieu de la remplacer, ou utiliser une pièce de réemploi."

Selon Chimirec, l’électrique va demander aux garages un meilleur tri sélectif, notamment des métaux ferreux/non ferreux et des plastiques, ces deux déchets étant les plus présents dans les véhicules zéro émission. ©Chimirec

Selon Chimirec, l’électrique va demander aux garages un meilleur tri sélectif, notamment des métaux ferreux/non ferreux et des plastiques, ces deux déchets étant les plus présents dans les véhicules zéro émission. ©Chimirec

Cette approche s’appuie sur une rigoureuse analyse du cycle de vie (ACV), alimentée par une base de données constamment enrichie. "On est passé de l’analyse a posteriori des portefeuilles de sinistres à l’intégration directe de notre calculateur dans les outils de chiffrage. Aujourd’hui, des carrossiers en Finlande ou en Suède nous envoient des calculs toutes les minutes via notre partenaire CAB Group."

La France suit progressivement cette dynamique. "On avance bien avec les acteurs du réemploi, comme GPA ou Valused. Ils utilisent une version API de notre calculateur pour valoriser les émissions évitées grâce à leurs pièces."

Fort de ces nouveaux outils et de l’appui des assureurs, favorables à une baisse du coût moyen de réparation des sinistres, le marché de la pièce issue de l’économie circulaire (Piec) se professionnalise. La structuration des filières et la standardisation des process ont permis de gagner en légitimité. Selon le dernier baromètre Mobilians dédié à ce sujet, 93 % des réparateurs connaissent les Piec, contre seulement 37 % un an plus tôt.

Chez Norauto, la logique circulaire passe ainsi par plusieurs prestations. "Nous proposons à nos clients le pneu Leonard, reconditionné à Béthune, avec 80 % de matière réutilisée et une réduction de 60 % des émissions de CO₂ à la fabrication. Sur l’électronique, avec notre partenaire Cotrolia, on peut réparer un calculateur au lieu de le remplacer."

Le baromètre Mobilians note toutefois que, si les produits remanufacturés sont bien perçus, les pièces d’occasion restent sous-exploitées en raison de différents freins.

Ce n’est pas la pièce d’occasion qui pose réellement problème, mais les contraintes qu’elle implique en termes de disponibilité, de délais de livraison, etc. Son utilisation peut aussi susciter quelques complications en cas de désaccord avec les experts nuance Patrick Poincelet, président de la branche des recycleurs de Mobilians.

Pour faire adopter ce modèle aux réparateurs, plusieurs acteurs du marché veulent leur proposer une expérience comparable à ce qu’ils trouvent dans le neuf : disponibilité rapide, service client efficace, qualité constante. Une mission dont s’est notamment saisi Alliance Automotive Group avec sa marque dédiée à l’économie circulaire, Back2Car. Son catalogue propose plus de 400 000 pièces, dont 20 % issues du remanufacturing.

Des écogestes pour agir sur les consommations

La gestion e l’énergie est souvent la face cachée des engagements environnementaux dans l’après-vente. Moins visible que l’optimisation des déchets ou l’économie circulaire, elle constitue pourtant un levier à fort potentiel. Éclairage, chauffage, air comprimé, équipements électromécaniques : les postes consommateurs sont nombreux dans un atelier.

Chez Norauto, où la question de la sobriété énergétique fait partie des priorités, Anne-Danièle Fortunato rapporte : "Notre réduction de plus de 30 % de notre consommation énergétique en quatre ans est le résultat d’un ensemble de mesures : sensibilisation des collaborateurs, suivi régulier des consommations, mise en place de la gestion technique des bâtiments, généralisation des LED…"

La méthode repose sur un pilotage précis et régulier. Le réseau prévoit également de compléter ce dispositif par un système de récupération d’eau de pluie.

Un projet est à l’étude pour réutiliser cette eau dans le nettoyage des ateliers. Cela ferait sens avec notre politique d’adaptation aux enjeux climatiques.

La consommation d’énergie ne se limite pas aux bâtiments. Elle concerne aussi la mobilité liée à l’activité des ateliers, notamment dans les réseaux disposant de flottes de véhicules utilitaires pour les interventions extérieures. Chez BestDrive, cette dimension est pleinement intégrée.

"Une grande partie de notre activité se passe hors de nos ateliers. Nous avons donc lancé des challenges d’écoconduite depuis trois ans", détaille Frédéric Moulin. "Les résultats sont nets : 12 % de gain de coût carburant en moyenne. Mais il y a aussi un bénéfice en matière de sécurité et d’engagement local."

Le rôle de la formation

La baisse des consommations suppose l’adhésion des équipes, et donc une politique spécifique de formation et de sensibilisation. Du côté de Norauto, un dispositif complet a été mis en place dans ce domaine avec cinq modules e-learning consacrés à la trajectoire bas carbone, aux labels, à la mobilité responsable, au chiffre d’affaires à impact positif, et à la politique de développement durable de l’entreprise.

Même logique chez Chimirec, qui mise sur la prévention. "Pour limiter les erreurs de tri, nous avons mis en place deux actions principales. Tout d’abord, un suivi commercial accru pour réaliser des sensibilisations auprès des équipes. La seconde action est auprès des écoles automobiles. Nous présentons régulièrement le devenir du déchet aux élèves afin qu’ils comprennent l’importance de bien trier dès leur apprentissage", indique Aurélien Dumarche.

La sensibilisation est donc à la fois un outil d’appropriation et un levier d’efficacité. Elle permet d’inscrire les pratiques écoresponsables dans le quotidien des ateliers. Si ces efforts sont notables, les pistes de progrès sont multiples. D’abord, renforcer la pédagogie et la formation, à tous les niveaux. À cette fin, plusieurs enseignes n’hésitent plus à mettre en avant leurs réussites et leurs "bons élèves".

C’est le cas du réseau Five Star qui a déployé un label RSE. Même démarche adoptée récemment par Axial. Autre initiative notable : le projet "Green Garage" de Nexus Automotive. En collaboration avec plusieurs partenaires, le groupement a mis au point un référentiel pour identifier et structurer ce que peut être un réparateur durable, entre empreinte carbone, économie circulaire et considérations sociales, s’appuyant sur un outil d’audit avec une vingtaine d’indicateurs.

Un programme ambitieux, dont Nexus Automotive entend faire un standard pour le marché. Car le garage bas carbone ne relève plus de l’utopie. Il existe déjà. Il est multiforme, imparfait, parfois hésitant, mais il trace un chemin. Celui d’une réparation automobile plus durable, au service d’un modèle de mobilité plus soutenable.

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