Stéphane Duroule (Covéa) : "La forte inflation du coût de réparation est un défi"
Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Le groupe Covéa a publié fin mai un livre blanc en faveur d'une culture de la durabilité dans la réparation automobile. Avez-vous le sentiment que les professionnels de l'après-vente ne se sont pas encore saisis des nouveaux enjeux environnementaux ?
Stéphane Duroule : Je ne pense pas qu'ils soient en retard sur ces sujets. Un certain nombre de contraintes réglementaires liées à la préservation de l'environnement pèsent sur ces professionnels, qui ont dû investir et se réorganiser pour faire face à cette législation. Mais avec ce livre blanc, nous n'avons pas pour démarche de leur dicter ce qu'ils doivent faire.
Nous nous positionnons comme un contributeur pour donner un élan supplémentaire à ce mouvement déjà engagé. Je pense en particulier à des domaines – et c'est le cas de la pièce de réemploi – qui peuvent présenter des risques de prise de contrôle par une filière exclusive, à savoir celle des constructeurs automobiles, comme c'est le cas avec la pièce de carrosserie neuve.
Au-delà de ce soutien et de quelques exemples sur les actions qui peuvent être conduites, nous sommes ouverts à toute collaboration pour accélérer ce mouvement et y contribuer voire, dans certains cas, le rendre plus solide sur le plan économique. Notre ambition n'est autre que celle-ci, et en aucun cas de donner la leçon. Nous sommes le premier assureur automobile en France, et nous nous sentons une responsabilité de contribuer à cette évolution nécessaire dans cette position de partenaire.
J2R : Comment le groupe Covéa pourrait-il favoriser la structuration de la filière du réemploi ?
S.D. : La réglementation, et notamment la loi Agec, oriente fort logiquement les évolutions attendues de la filière. Cette loi comporte un certain nombre d'exigences pour la filière de la déconstruction automobile, qui va devoir structurer ses activités, sur la production de pièces de réemploi mais aussi sur la logistique, sur la distribution des pièces, etc. Un modèle économique est sur le point de se transformer, ce qui pourrait favoriser un phénomène de concentration des acteurs de cette filière.
Chez Covéa, nous voulons faire en sorte qu'il reste sur ce marché une saine concurrence avec une filière qui puisse se renforcer, se structurer et agir indépendamment de solutions déployées par les constructeurs.
Nous n'avons rien à gagner à ce qu'un seul acteur ou type d'acteurs ait l'emprise sur cette filière. Avec une pluralité d'acteurs complémentaires, nous bénéficierons d'une maîtrise du coût de ces pièces de réemploi et du coût de réparation.
J2R : De quelle manière le groupe Covéa pourrait s'impliquer plus activement pour préserver cette pluralité, cette indépendance de la filière du réemploi ?
S.D. : Très clairement, nous ne nous interdisons rien. Nous avons des discussions avec un certain nombre d'acteurs de cette filière qui participent à ce mouvement de concentration, d'investissement et de renforcement. Ceux-ci étendent leur couverture du territoire pour répondre aux besoins, ou augmentent leurs capacités et leurs volumes d'activité. Nos discussions sont en cours et notre rôle est à définir. Nous n'avons pas d'idée arrêtée sur le sujet. Et encore une fois, j'insiste sur la notion d'indépendance de ces acteurs qui doivent mener leur modèle économique. C'est un élément auquel nous sommes très attachés. On peut accompagner sans pour autant prendre le contrôle.
J2R : Selon de nombreux réparateurs, les pièces de réemploi nécessitent souvent une remise en état avant leur utilisation. Or, ce travail ne serait pas suffisamment valorisé. Comprenez-vous leurs réticences ?
S.D. : Je comprends ce discours. Le but du jeu, c'est de lever ces réticences pour que les professionnels auxquels on demande de contribuer au développement de l'usage de ces pièces de réemploi n'y soient pas perdants économiquement. Sinon, le jeu est complètement déséquilibré. Il faut donc trouver une équation économique, avec un certain nombre de paramètres dans leur rémunération qui doivent évoluer. C'est un travail que nous mènerons bien entendu avec eux, puisque les outils de chiffrage et leur calibrage actuel n'ont pas évolué à la même vitesse.
J2R : Le monopole sur les pièces de carrosserie pourrait prochainement tomber définitivement grâce aux instances européennes. Si cette libéralisation se confirme, pourrait-on assister, demain, à la baisse générale des prix de la pièce de robe ?
S.D. : Pour demain, cela me semble difficile. Après-demain, peut-être… Ce qui est décevant, c'est le temps imposé par la législation européenne, qui est très long. Entre les délais nécessaires à l'évolution de la réglementation et celui laissé à la discrétion de l'État français pour intégrer cette législation, on risque d'attendre sept à dix ans avant que les choses changent véritablement. C'est très long.
Si nous avons un espoir – mais ça fait plusieurs années qu'il est exprimé sans être entendu –, c'est que les décideurs français puissent raccourcir ce délai pour que la concurrence puisse s'exercer sur ces pièces neuves fabriquées sous le joug des constructeurs français.
Tout marché qui ne fait pas l'objet d'un minimum de concurrence a un impact négatif sur les prix. On le voit bien sur l'évolution tarifaire des pièces neuves, qui progresse beaucoup trop rapidement. Pour nous, il y a une anomalie dans ce système. Cela étant, je comprends que les constructeurs aient besoin de financer leur transition énergétique. C'est une source de revenus pour eux, et ils jouent leur carte. Mais il faut rééquilibrer les choses pour que l'application de cette législation soit plus rapide.
J2R : Quel regard portez-vous sur les pièces dites de qualité équivalente, déjà commercialisées dans plusieurs marchés européens ?
S.D. : Du fait qu'elles ne sont pas commercialisables en France et que l'essentiel de notre activité est réalisé dans l'Hexagone, nous n'en avons pas fait un objectif de développement prioritaire. Mais c'est un marché que nous suivons. Comme vous le savez, nous comptons comme partenaire, avec notre centre Cesvi France, le groupe Mapfre.
À travers nos échanges avec Mapfre, nous avons déjà identifié ces pratiques différentes sur le marché espagnol, où ces pièces de qualité équivalente sont utilisées. Elles n'ont pas les mêmes vertus que les pièces de réemploi sur le plan écologique, mais elles peuvent concourir à cette concurrence avec les pièces neuves d'origine et favoriser une modération des prix.
J2R : Dans les ateliers automobiles, la culture du remplacement reste forte puisque seules 29 % des pièces endommagées lors d'un sinistre-collision ont été réparées, selon votre livre blanc. Estimez-vous que des efforts restent à faire dans ce domaine ?
S.D. : Oui, nous le pensons. Et pour que cette situation évolue, il faut pleinement valoriser l'acte de réparation face aux marges réalisées avec les pièces. Nous devons aussi poursuivre nos recherches sur les techniques de réparation, et c'est la vocation de Cesvi France. Grâce à ce travail, nous pouvons aujourd'hui intervenir sur des éléments en aluminium qu'on n'envisageait pas de réparer autrefois.
Dans les carrosseries, des techniciens doivent également être formés à ces actes-là, et pas uniquement au remplacement des pièces. Ce qui nous semble vertueux, puisque la formation favorise l'acquisition de compétences pour des emplois localisés sur le territoire français. Nous ne pouvons donc qu'espérer que ce taux de pièces réparées progresse à l'avenir.
J2R : Une proposition de loi contre "la surfacturation dans la réparation automobile" a été déposée l'an dernier pour dénoncer les pratiques abusives dans le bris de glace. Avez-vous une idée du nombre de dossiers qui font chaque année l'objet d'une surfacturation ?
S.D. : Je n'ai pas d'idée du nombre de dossiers concernés mais, ce qui est certain, c'est qu'il est croissant. Nous l'observons à travers le nombre de sociétés et d'enseignes créées ces dernières années et proposant ces pratiques, pour le moins contestables, visant à inciter à un remplacement de pare-brise au moyen de cadeaux. Nous sommes demandeurs d'une régulation de ces pratiques parce qu'elles sont néfastes pour tout le monde.
Elles sont néfastes pour l'image même des acteurs de la réparation et pour les assurés, puisque ces surfacturations sont inévitablement répercutées dans le prix de l'assurance. Elles sont, en outre, néfastes pour l'environnement puisqu'elles incitent parfois au remplacement de vitrages qui ne sont pas endommagés. Pour l'instant, ce projet de loi n'a pas abouti, mais il faut continuer à chercher un moyen de ramener tous ces acteurs à la raison.
J2R : Au sein du groupe, comment luttez-vous contre ces pratiques abusives ?
S.D. : Nous restons très attentifs à ce point, dans la limite, bien entendu, du respect du libre choix du réparateur. Nous avons des accords avec un certain nombre de réparateurs et de réseaux dont nous faisons la promotion à l'intention de nos assurés, en expliquant notamment qu'ils bénéficieront chez ces prestataires d'un certain nombre de services et d'engagements sur la qualité de prestation. Ça, c'est le premier élément.
Dans un second temps, nous opérons des contrôles et expertises sur des travaux qui font apparaître des niveaux de facturation très décalés par rapport aux tarifs pratiqués dans une zone géographique donnée. Dans certains cas, nous pouvons aller jusqu'à la voie judiciaire, quand nous avons les éléments permettant de contester ces pratiques. Mais je crois que le moyen d'action le plus efficace reste la pédagogie vis-à-vis des assurés. Nous devons leur expliquer que les solutions recommandées par un assureur permettent d'éviter ces pratiques abusives, sans être contraires à leur droit et sans compromettre la qualité des réparations.
J2R : La consommation automobile évolue, basculant vers un modèle non plus de propriété, mais d'usage, en particulier grâce au boom de la LOA et de la LLD. Comment répondez-vous à ces mutations ?
S.D. : Ces dernières années, nous avons effectivement vécu une accélération des modes d'acquisition du véhicule, notamment avec l'émergence des modèles électriques et hybrides. Nous avions déjà des garanties qui permettent d'accompagner et de compenser le risque auquel un assuré peut être confronté à la suite d'un sinistre. Mais ces garanties n'étaient pas suffisamment mises en perspective dans le cas particulier d'une LLD ou d'une LOA.
Pour prendre en compte cette accélération du marché, nous avons donc lancé en juin dernier des formules spécifiques chez MAAF et MMA – et prochainement chez GMF. Ces offres repositionnent les garanties de perte financière, mais aussi l'accompagnement lors de la restitution du véhicule. Ces nouvelles formules, qui peuvent être adoptées indépendamment du loueur, nous permettent d'être plus en phase avec ce changement de mode de consommation.
J2R : Les voitures électriques sont de plus en plus présentes sur nos routes. Comment ces nouvelles technologies influencent-elles les offres d'assurance automobile ?
S.D. : Un certain nombre de questions se posent en raison du manque de recul que nous avons avec ces véhicules. Nos interrogations portent notamment sur la différence du coût de réparation entre les véhicules électriques et thermiques. Les réparateurs doivent investir dans la formation et dans de nouveaux équipements pour sécuriser leurs interventions sur ces motorisations. Il y a aussi un certain nombre de surcoûts liés à la fabrication même de ces véhicules.
Les premiers chiffres que nous avons pu recueillir font état d'un surcoût de réparation moyen d'environ 20 % par rapport à un modèle thermique.
En outre, il y a un autre point de vigilance lié à la conception de ces véhicules. Je pense notamment à la pratique du "gigacasting" poussée par Tesla. Ce mode de production par grands blocs plutôt que par assemblage de multiples pièces nuit à la réparabilité. Nous devons donc poursuivre nos échanges entre constructeurs automobiles et assureurs pour que la durée de vie de ces véhicules ne soit pas considérablement réduite par rapport aux motorisations thermiques.
J2R : Quels sont les principaux défis auxquels le marché de l'assurance automobile est confronté, et comment le groupe Covéa compte-t-il les relever ?
S.D. : Le principal défi auquel tous les assureurs sont confrontés, du moins sur le marché français, c'est celui de la forte inflation du coût de réparation automobile. Alors que le pouvoir d'achat est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, l'augmentation du prix des cotisations d'assurance a une limite.
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Nous devons donc trouver les moyens de modérer ce coût de réparation par l'utilisation de pièces de réemploi, par le développement des réparations au lieu du remplacement, par la modération du prix des pièces neuves… L'assurance doit rester un produit accessible à tous avec un niveau de garantie qui préserve le propriétaire du véhicule. C'est le véritable enjeu aujourd'hui.
J2R : D'ici 2025, 85 % des véhicules neufs pourraient être connectés, selon plusieurs études. Comment appréhendez-vous les risques de cyberattaques ?
S.D. : On est un peu au début de l'histoire sur ce sujet-là. Nous avons commencé à nous pencher dessus il y a sept ou huit ans, quand certains prétendaient que le véhicule autonome risquait de condamner les assureurs puisqu'il n'y aurait plus de sinistre. Or, nous avons pu constater qu'il y a des limites à l'autonomie des véhicules…
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Nous avons également pris conscience de la fragilité des systèmes embarqués et informatisés face aux prises de contrôle externes. Même si nous n'avons pas constaté jusqu'ici de phénomène d'ampleur avéré pour ces cyberattaques, le risque reste réel. C'est pourquoi il faut tout mettre en œuvre, en lien avec les constructeurs, pour que les dispositifs de sécurité restent hermétiques à l'intrusion et à la prise de contrôle externe. Même si nous savons que cette protection ne pourra jamais être parfaite.
D'autre part, il y aura aussi probablement des garanties à faire évoluer dans nos produits d'assurance pour que les victimes de ces attaques soient mieux prises en compte. Nous sommes aujourd'hui dans un entre-deux, avec une réflexion en cours chez tous les assureurs et constructeurs. Le débat de la responsabilité finale d'un accident est au cœur de cette réflexion, et ce sujet reste évidemment complexe.