Quand l'intelligence artificielle se met au service de l'après-vente

109 milliards d'euros ! C'est l'investissement qu'est prêt à consentir le président français, Emmanuel Macron, dans les prochaines années pour faire de l'Hexagone une référence dans le domaine de l'intelligence artificielle. L'annonce s'inscrit dans le cadre du Sommet mondial pour l'action sur l'IA, qu'accueille le Grand Palais du 6 au 11 février 2025.
Cet événement réunira plusieurs leaders du secteur (Open AI, Google DeepMind, Mistral AI, etc.) pour faire le point sur cette révolution technologique qui, après avoir bouleversé de nombreux domaines scientifiques, s’apprête à transformer les différents secteurs de notre économie. Et notamment le marché de l’après-vente automobile.
Des diagnostics prédictifs aux plateformes de gestion de données, en passant par l’optimisation des processus logistiques et l’évolution des modèles économiques, l’IA va reconfigurer les règles du jeu pour les différents acteurs de la filière. Sur le terrain, et en particulier dans les ateliers, elle représente déjà une réalité dans le cadre de certaines applications, avec de véritables bénéfices à la clé.
Des diagnostics plus rapides et plus précis
Avant d’aller plus loin, un rappel s’impose. Par intelligence artificielle, il faut entendre un ensemble d’algorithmes conférant à une machine des capacités d’analyse et de décision qui lui permettent de s’adapter aux situations en faisant des prédictions à partir de données déjà acquises. Et dans l’industrie automobile, cette technologie présente d’infinies possibilités. Elle trouve des applications multiples avec la conduite autonome, la personnalisation des services ou les systèmes embarqués.
À l’après-vente, elle offre également aux réparateurs des outils sans précédent pour améliorer leur efficacité et leur rentabilité, en combinant analyse des données, automatisation et prise de décision basée sur des modèles prédictifs. Selon Mario Winkelhaus, directeur de la stratégie digitale de Hella Gutmann, l’intelligence artificielle augmente l’efficacité des tâches quotidiennes dans les ateliers. Ce qui leur permet de se concentrer sur des aspects à plus forte valeur ajoutée.
L'IA peut être utilisée pour développer des outils de formation adaptés aux besoins des techniciens. Des simulations réalistes et des tutoriels interactifs amélioreront leurs compétences et garantiront la qualité des réparations. ©AdobeStock
"L’un des principaux avantages de l’IA est sa capacité à gérer des tâches répétitives et courantes, telles que les diagnostics et les contrôles de maintenance de routine. Les outils de diagnostic alimentés par l’IA peuvent identifier rapidement et précisément les problèmes, en fournissant aux réparateurs des informations précises et en réduisant le temps consacré à la recherche de pannes. Cela permet non seulement d’accélérer le processus de réparation, mais aussi de garantir une précision et une fiabilité accrues", détaille le dirigeant.
Une vision partagée par Fernando Pernigo, vice-président régional des ventes chez Solera, qui estime que cette nouvelle technologie offre des opportunités considérables sur le marché de l’entretien et de la réparation automobile.
Et l’une de ses premières applications concrètes est déjà visible avec les outils de diagnostic électronique. Dopées aux algorithmes de machine learning, ces solutions peuvent aider les techniciens à déterminer plus rapidement les pannes les plus complexes. "L’IA peut grandement améliorer l’efficacité des réparations grâce à des diagnostics plus précis et à des recommandations de pièces personnalisées. En analysant des quantités massives de données, les systèmes d’IA peuvent rapidement identifier la cause d’une panne, réduisant ainsi le temps d’immobilisation du véhicule", confirme Fernando Pernigo.
Évidemment, c’est un sujet que tous les fabricants d’outils de diagnostic explorent aujourd’hui, à commencer par Hella Gutmann. Le groupe allemand a mis au point sa fonctionnalité "Diagnostic automatisé", qui s’appuie sur un modèle d’IA formé sur plusieurs années pour identifier les pièces défectueuses avec une probabilité de 80 à 90 %. "Ce taux de précision élevé réduit considérablement les efforts et le temps que les mécaniciens consacrent à l’identification des défaillances, ce qui leur permet de se concentrer sur les réparations et d’autres tâches essentielles", ajoute Mario Winkelhaus.
De nouveaux assistants dans les ateliers
Outre le diagnostic, l’IA a également trouvé sa place dans les ateliers avec une autre opération récurrente : le chiffrage. Depuis quelques années, de nombreux acteurs historiques du marché ainsi que plusieurs start-up émergentes – à l'instar de Tractable – affirment pouvoir estimer en quelques secondes les coûts de réparation d’un dégât ou d’un sinistre dans son ensemble, à partir d’images et de vidéos. À la clé, une meilleure productivité, mais pas seulement…
Exemple : chez l’éditeur Solera, l’intelligence artificielle permet d’évaluer rapidement et précisément les dommages d’un véhicule en se basant sur des images. Cette évaluation automatisée accélère considérablement le processus de gestion des sinistres et améliore la précision des estimations des coûts de réparation.
"Grâce à l’IA, Solera peut personnaliser l’expérience client en proposant des services adaptés aux besoins spécifiques de chaque client. Par exemple, l’IA peut recommander des options de réparation ou des services complémentaires en fonction de l’historique du véhicule et des préférences du client", ajoute Fernando Pernigo.
En exploitant un vaste ensemble de données comprenant un historique de 379 millions de sinistres et 1,5 milliard d’images de véhicules endommagés, Solera est en mesure de développer des solutions d’IA de pointe. ©AdobeStock
Les gains de productivité et les bénéfices offerts par ces progrès technologiques sont d’autant plus salutaires qu’ils permettront – en partie – de répondre aux pénuries de personnel qui pénalisent les ateliers.
"L’après-vente automobile souffre d’un manque de personnel à tous les niveaux, aussi bien chez les productifs que les administratifs. Or, les ateliers ont de moins en moins de temps à consacrer à la saisie des rapports d’experts, à l’envoi de factures, etc. Ce sont des métiers qui impliquent une forte manipulation d’informations, alors même que les effectifs diminuent", expose Sylvain Piolet, directeur de la Lacour Électronique.
Fort de ce constat, le groupe Lacour a également investi le champ de l’IA pour concevoir des solutions destinées à accompagner les réparateurs dans toutes leurs tâches.
"Les carrossiers doivent jongler avec des sollicitations variées de la part des apporteurs d’affaires, des clients et des experts. Ces tâches, bien que simples, s’avèrent très chronophages et représentent un volume de travail très conséquent", souligne Sylvain Piolet.
Ambitieux, ce dernier estime que l’intelligence artificielle pourra même constituer un véritable atout pour les entreprises en quête d’optimisation dans leur gestion. À travers son aptitude à automatiser des processus et à analyser de vastes ensembles de données, la technologie facilitera la prise de décisions, pour un meilleur pilotage.
Une logistique optimisée par les algorithmes
Au-delà des ateliers, les algorithmes intelligents vont également contribuer à parfaire la gestion de la logistique de l’ensemble de la filière. Un enjeu crucial dans un secteur où la gestion des stocks joue un rôle déterminant… Prédire la demande, planifier des livraisons, gérer et optimiser les stocks sont autant de domaines où l’IA s’améliore chaque jour et aide les fabricants et distributeurs.
La gestion des stocks fait notamment appel à de très nombreux paramètres qu’il n’est pas toujours aisé de maîtriser. Grâce à une analyse fine des données relatives à la demande, aux tendances des ventes, aux caractéristiques des portefeuilles produits et aux contraintes des fournisseurs, les outils d’analyse prédictive permettent aux fabricants et aux distributeurs de mieux anticiper les besoins du marché. Ce qui permet d’ajuster les niveaux de stock et de réduire les risques de rupture ou de surstockage.
De plus, les systèmes d’IA peuvent moduler les prévisions en fonction de données en temps réel : changements soudains de la demande, perturbations de la chaîne d’approvisionnement… Cette agilité garantit un alignement constant des niveaux de stock sur les conditions actuelles du marché. Chez les distributeurs, l’intelligence artificielle est aussi en mesure de calculer de manière dynamique les seuils de réapprovisionnement pour chaque produit en fonction de sa vitesse de vente, de ses délais de livraison et du niveau de service fixé par l’entreprise.
Ce n’est pas tout : l’IA va également jouer un rôle clé dans la gestion des entrepôts, en automatisant là encore de nombreux processus. Exemple : la société française Exotec utilise des robots intelligents pour placer les produits de manière optimale dans les containers, en s’appuyant sur des algorithmes de machine learning. Une technologie qui a séduit le groupe Renault pour son entrepôt de Villeroy (89), dédié à la logistique de pièces de rechange, ainsi qu’Alliance Automotive pour sa plateforme logistique de Saint-Fargeau-Ponthierry (77).
Dernière étape de la chaîne logistique, la livraison peut aussi gagner en efficience grâce à l’IA. Un véritable enjeu, car ce service représente la partie la plus coûteuse et la plus complexe de la supply chain. Or, avec le big data et les algorithmes, les fournisseurs et distributeurs peuvent anticiper la demande de leurs clients et ajuster les niveaux de stock en conséquence. Ce qui permet une meilleure planification des livraisons et une réduction des déplacements inutiles.
Une fois les véhicules sur la route, la technologie permet, en outre, d’optimiser leurs itinéraires, mais aussi de mutualiser leurs efforts logistiques. Plutôt que de simplement chercher à optimiser chaque kilomètre parcouru, l’accent est mis sur la collaboration et le partage des ressources pour réduire l’empreinte carbone globale. Pratique, alors que la mutualisation du dernier kilomètre de livraison, souvent coûteux et polluant, devient essentielle face à une préoccupation environnementale croissante.
Sur ce sujet, Solera vient d’ailleurs de nouer un partenariat avec Nexus Automotive afin de faciliter à ses membres l’accès à sa solution Roadnet Anywhere. Ce logiciel de planification, d’acheminement et de dispatch s’appuie sur des algorithmes avancés et l’analyse de données pour améliorer la gestion des flottes. L’application tient compte de la capacité de remplissage des véhicules, des règles commerciales, des exigences des clients et d’autres paramètres afin d’optimiser les tournées. En réduisant la consommation de carburant, en affinant la précision des livraisons et en minimisant l’empreinte carbone, Roadnet Anywhere permet ainsi d’optimiser sa chaîne logistique, selon Solera.
L’impact sur les modèles économiques
Mais l’IA ne se limite pas à l’opérationnel. Elle transforme également les modèles économiques de l’après-vente. Avec l’essor des véhicules connectés, les données deviennent une ressource précieuse et laissent entrevoir de nouvelles opportunités, en particulier dans le domaine de la maintenance préventive.
"Les modèles d’IA seront capables d’analyser les données de fonctionnement des véhicules en temps réel pour détecter les anomalies et prédire les défaillances potentielles. Cela permettra d’optimiser la maintenance et de réduire les coûts d’immobilisation", prévoit Fernando Pernigo.
Chez Hella Gutmann, Mario Winkelhaus estime que le développement de la connectivité des véhicules ouvre la porte aux diagnostics à distance et aux mises à jour logicielles. "Grâce aux diagnostics à distance, nous pouvons rapidement identifier et résoudre les problèmes sans que le véhicule soit physiquement présent dans l’atelier. Cela permet non seulement de gagner du temps, mais aussi de réduire les durées d’immobilisation pour nos clients."
L'IA devrait jouer un rôle crucial dans la prise de décision concernant les réparations des véhicules électriques. Elle permettra une évaluation plus précise du coût des différentes options de maintenance (pièces neuves, reconditionnées, etc.) en fonction des contraintes spécifiques à ces motorisations. ©Cesvi
Cette transition exige cependant une adaptation culturelle et organisationnelle, en particulier dans les ateliers où l’automatisation de certaines opérations devrait bouleverser le quotidien des réparateurs. Faut-il dès lors anticiper une substitution, à terme, de l’homme par la machine ? Sur le marché de la carrosserie, le mouvement semble être en marche puisque la société chinoise Onew a dévoilé lors du dernier salon Automechanika Francfort son robot Paint-Go-90E.
Cet automate de pulvérisation de peinture combine un scanner de pointe et des algorithmes adaptatifs optimisant les trajectoires, permettant un gain de temps et une réduction des pertes. Malgré ces innovations, Mario Winkelhaus demeure, pour sa part, plus circonspect, estimant que l’intelligence artificielle ne devrait pas remplacer les mécaniciens, mais les rendre plus autonomes.
"En automatisant les tâches routinières et répétitives, l’IA permet aux mécaniciens de se concentrer sur des aspects plus qualifiés et créatifs de leur travail. Selon moi, l’IA ne remplacera pas les personnes. Mais les ateliers qui n’utilisent pas l’IA seront remplacés par des ateliers qui l’utilisent", anticipe le directeur de la stratégie digitale de Hella Gutmann.
En replaçant l’humain au cœur des processus et en cadrant son utilisation par des réglementations adaptées, l’IA pourrait donc devenir un atout stratégique pour l’après-vente. Reste à surmonter les enjeux éthiques et organisationnels qu’elle soulève.