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La guerre interne est déclarée à la FFC

Publié le 7 décembre 2023
Par Nicolas Girault
5 min de lecture
Le conflit ouvert est engagé à la FFC Industries et Services. Le syndicat lance une procédure judiciaire contre la direction de sa branche carrossiers constructeurs. La fédération réplique notamment à l'invalidation de la dernière élection de son ancien président, Patrick Cholton, ainsi qu'à une campagne jugée calomnieuse. Retour sur la genèse d'une querelle intestine.
FFC Patrick Cholton et Patrick Nardou
Patrick Cholton (à gauche) et son successeur Patrick Nardou, à la tête de la FFC Industrie et Services. ©FFC

Elle avait promis une contre-attaque juridique après la clôture du salon Solutrans, celle-ci est désormais amorcée. La direction de la FFC (Fédération française de carrosserie) annonce porter plainte pour diffamation contre sa branche constructeurs et le journal l'Argus. Cette procédure vise des informations distillées par l'organisation professionnelle, entrée en rébellion contre sa centrale syndicale, et rapportés dans la presse, le 13 novembre 2023, à la veille du salon de la filière du véhicule industriel et des transports.

L'article de notre confrère informait de l'invalidation de l'élection de Patrick Cholton à la présidence de la FFC. Mais il l'accusait aussi d'enrichissement personnel, par le biais de sa présidence de Carpromo (société commerciale de la FFC, gestionnaire de la formation, de la communication et de Solutrans) et de la SCI de l'organisation. Accusation niée par l'intéressé, qui affirme uniquement recevoir 13 000 euros de défraiement par an. Sa gestion du syndicat professionnel y était également largement remise en cause. L'invalidation de Patrick Cholton à la présidence de la FFC avait entraîné l'élection en urgence de Patrick Nardou, pour assurer l'intérim à la tête de la fédération, le 14 novembre 2023.

Représailles promises aux rebelles

Outre sa plainte, la FFC étudie également la possibilité de mesures internes à l'encontre de la FFC constructeurs, qui seront décidées le 14 décembre 2023, lors d'un comité de direction. La fédération les justifie en invoquant "des préjudices considérables causés depuis des années par la FFC Constructeurs à la FFC et à ses adhérents qui sont les premières victimes de ces agissements. […] Chacun, et en premier lieu les représentants de la FFC Constructeurs, devra à cette occasion assumer les conséquences irrémédiables de ses actes". Cette branche de l'organisation syndicale est actuellement présidée par Patrick Olivier et codirigée par son secrétaire général Benoît Daly. Contactée, celle-ci ne souhaite pas s'exprimer pour l'instant.

La centrale syndicale ajoute aussi que "la politique de conflit et de blocage systématique menée depuis plus de dix ans par la FFC Constructeurs les conduit inéluctablement à l’effondrement de leur branche au sein de la FFC. Les chiffres en témoignent : le nombre de carrossiers-constructeurs représente à ce jour moins de 20 % des adhérents de la FFC". Elle souligne que lors de la dernière édition de Solutrans, les adhérents de la FFC Constructeurs représentaient 3,5 % du nombre d’exposants et 4,2 % de la surface d’exposition.

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Mais comment une organisation patronale en est-elle venue à s'entredéchirer ainsi ? La réponse nécessite un retour quelques années en arrière. L'invalidation par la justice le 31 octobre 2023 de la réélection de Patrick Cholton (en mars 2022), puis son remplacement, ont mis en lumière un long conflit interne. Pour mémoire, la FFC est en effet composée de trois métiers indépendants : les carrossiers constructeurs, les carrossiers réparateurs et les équipementiers.

Défiance entre branches

L'origine de cette crise remonterait au moins à la première élection de Patrick Cholton, en 2014. Le dirigeant était alors passé de la tête de la branche équipementiers à la présidence de la fédération. Il affirme s'être alors opposé à quelques carrossiers industriels qui se seraient réservés certains moyens du syndicat au bénéfice de leurs entreprises. Des velléités qui nourrissaient déjà des tensions internes lors de la présidence précédente de Joseph Libner.

Un point de vue partagé par Philippe Sandrin, lui-même carrossier industriel et ancien président de la FFC constructeurs de 2019 à 2021. Dans une interview accordée à notre confrère TRM24, il dénonce un "conflit latent entretenu par l’égo de certains dirigeants de la FFC constructeurs". Celui-ci affecte naturellement les relations avec les autres branches de la fédération. Le chef d'entreprise regrette "la méfiance et la défiance initiées par [la] branche".

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Sur le fond, Patrick Cholton accuse ses antagonistes d'entretenir des velléités hégémoniques vis-à-vis des autres branches, pourtant indépendantes et paritaires. "Il s'agit d'une poignée de carrossiers constructeurs, implantés dans les instances dirigeantes. Certains de leurs homologues sont de notre côté, alors que la majorité de leurs adhérents se moquent de toutes ces considérations", complète Didier Dugrand, délégué général de la FFC. "Depuis des années maintenant, ils ont entamé une politique de conflit qui les isole", conclut Patrick Cholton. De fait, ses adversaires ne détiendraient plus que 3 sièges sur 17 au comité de direction.

Manœuvres en coulisses

Cet antagonisme entre les deux parties se serait d'abord cristallisé en 2018. Cette année-là, la réélection de Patrick Cholton (face à Daniel Magyar, à l'époque président des constructeurs) est remise en cause une première fois devant la justice – sans succès. A cette époque, la FFC constructeurs rendait payant le service de veille réglementaire de la fédération pour les membres des autres branches. Jusqu'alors, celui-ci était mutualisé pour tous ses adhérents. Ceux qui ont fréquenté les couloirs de l'organisation à l'époque se souviennent du climat délétère qui y régnait...

Philippe Sandrin, alors président de la FFC constructeurs, en aurait fait les frais en se faisant destituer par son propre comité de direction en mars 2021. Un mois plus tard, cette même équipe était parvenue à annuler toute modification des statuts de la FFC. Celui-ci visait à autoriser Patrick Cholton à briguer un troisième mandat, alors qu'aucun successeur n'était en vue.

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Détail important : la majorité du conseil d'administration de la fédération y était favorable. Mais elle n'a pas remporté les deux tiers du scrutin nécessaires à une voix près. Des témoins dénoncent des pressions économiques exercées sur certains adhérents pour infléchir leur vote contre le projet.

Rupture consommée

C'est dans ce contexte particulièrement tendu que s'est tenue l'élection du nouveau président en mars 2022. Faute de successeur et en violation des statuts, l'assemblée générale réélit Patrick Cholton pour un troisième mandat. Un pas est à nouveau franchi dans la discorde, qui amènera la FFC constructeur à porter l'affaire en justice. Et à obtenir l'invalidation de l'élection. Une décision contre laquelle la FFC, ainsi que ses branches réparateurs et équipementiers ont fait appel.

Entre le début de ce troisième mandat et la décision de justice, s'écoule 18 mois pendant lesquels les tensions se multiplient. La FFC constructeurs quitte notamment les bureaux de la FFC et crée son propre site internet. "On ne les revoit que deux à trois fois par an, lorsqu'ils organisent des réunions ici", raconte Didier Dugrand. Elle cesse de donner la liste de ses adhérents et ses comptes à la centrale. "Alors qu'ils m'accusent de ne pas respecter nos statuts, eux-mêmes ne les respectent pas", ironise l'ancien président, Patrick Cholton.

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Parallèlement, la branche équipementiers ouvre ses portes aux carrossiers constructeurs et prend le nom de FFC Équipements et Véhicules. Plusieurs grands carrossiers constructeurs s'éloignent des frondeurs et la rejoignent. Celle-ci intègre aussi le spécialiste de la veille réglementaire Martin 3D – concurrent du service intégré privatisé par les constructeurs…

Préserver l'intérêt de la filière

Patrick Cholton reste cependant à la tête de Carpromo, propriétaire du salon Solutrans. Il a ainsi pu orchestrer la dernière édition du salon, dont la réussite est saluée par tous les participants. Accusé par les constructeurs de "s'accrocher" à son siège, ce dernier a d'ailleurs confirmé son départ en 2025.

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Reste maintenant à voir comment réagira la direction de la FFC constructeurs. On l'a notamment vu se rapprocher récemment de Mobilians – syndicat parfois en rivalité avec les réparateurs de la FFC – à l'occasion de la publication d'un baromètre commun sur le VI...

Parmi les procédures en cours devant la justice, figure également un litige sur la propriété de la marque "FFC Constructeurs Carcoserco". Les constructeurs revendiquant la pérennité historique du syndicat. Va-t-on assister à une sécession des carrossiers industriels ? La majorité silencieuse suivra-t-elle le mouvement ? Quelle sera l'issue finale de cette crise ?

Dans tous les cas, la FFC en ressortira difficilement grandie. Mais cette épreuve n'est probablement pas insurmontable pour une organisation née il y a 176 ans. Une époque où les carrossiers étaient à la fois constructeurs et réparateurs. Pour répondre à des enjeux désormais internationaux, l'ensemble de la filière du véhicule industriel et des transports y a tout intérêt.

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