Ces dernières semaines, Samuel Brigantino est très présent dans les médias et réseaux sociaux. Le dirigeant de Glass Express s'y est affiché à de nombreuses reprises pour pointer du doigt l'acquisition en février de Mondial Pare-Brise par la Macif, premier assureur à prendre possession d'un réseau de réparation. "C'est en lisant l'article du Parisien, totalement à charge contre les réparateurs non agréés, que j'ai décidé de réagir", explique Samuel Brigantino.
Il faut dire que la reprise du numéro 3 du marché du bris de glace n'est pas passée inaperçue, suscitant de nombreuses interrogations sur l'indépendance du réseau de poseurs de vitrages… Des doutes auxquels la Macif a répondu en affirmant que "l'arrimage de ce réseau vertueux à la Macif se fera dans le respect de son autonomie et préservera son modèle de croissance ouvert et ses nombreux partenariats avec d'autres assureurs".
Pas de quoi rassurer Samuel Brigantino. Fils de garagistes s'étant spécialisés dans le vitrage, il revendique déjà, à 36 ans, dix-huit ans d'expérience dans ce domaine. Son entreprise indépendante créée en 2013 à Évreux (27) compte 20 agences employant 120 salariés, générant un chiffre d'affaires d'environ 10 millions d'euros.
Relations toujours plus tendues avec les assureurs
"Comment est-il possible que la Macif, plus gros assureur de particuliers, ait été libre de racheter le troisième plus gros réseau de vitrage national ? Il est très étonnant que la Commission européenne se soit opposée, il y a quelques mois, au rachat du fonds d'investissement de Mondial Pare-Brise par celui de Carglass au motif d'une position dominante de marché, et qu'elle ferme les yeux sur cette transaction", lance le dirigeant. Selon lui, cette opération constitue une nouvelle étape de la mainmise des assureurs sur les spécialistes de la réparation de bris de glace.
C'est d'ailleurs cette emprise qui a conduit le dirigeant de Glass Express à s'émanciper des agréments. "Cette expérience difficile m'a convaincu de créer ma propre entreprise et de m'affranchir des agréments d'assurance", explique-t-il. Ceux-ci restent insuffisants pour assurer la qualité de service, selon lui. Ces remises seraient supportables jusqu'à 10 % du prix affiché par les réparateurs, alors qu'elles s'élèvent parfois jusqu'à 40 %.
Samuel Brigantino, dirigeant de Glass Express. ©Glass Express
Pour Samuel Brigantino, cette pression a largement contribué à atomiser le marché et à générer les abus et offres promotionnelles pratiqués par certains acteurs pour obtenir les faveurs des sinistrés. Aucune ambiguïté à ce sujet : "Nous sommes les premiers à déplorer la surenchère d'offres commerciales sans aucun rapport avec notre activité : consoles de jeux, robots ménagers ou séjours à Disneyland Paris… Il est hors de question de nous aligner sur celles-ci. Si offre il y a, elle doit être cohérente avec notre activité."
Samuel Brigantino voit les relations se tendre de plus en plus entre assureurs et réparateurs non agréés avec l'essor de ces indépendants aux pratiques commerciales jugées abusives. "Les assureurs s'y perdent et mettent tout le monde dans le même panier, en resserrant considérablement les modalités de prise en charge." Si le dirigeant veut assainir ces rapports en affichant sa transparence (barèmes constructeurs à l'appui), il estime qu'il reste difficile de travailler avec les apporteurs d'affaires. "Les compagnies d'assurance ne voient pas d'un bon œil que les clients passent par nous, au lieu d'aller chez des réparateurs agréés auxquels elles imposent des tarifs extrêmement bas."
De gros écarts entre agréés et indépendants ?
Si les assureurs resserrent toujours plus leurs conditions, c'est en partie parce que la charge bris de glace ne cesse de grimper depuis plus de dix ans. "En quatre ans, les volumes de sinistre ont baissé de 15 % alors que le coût moyen de leur réparation a augmenté de 60 % à cause de la hausse du prix des pièces et de pratiques commerciales très agressives", observe Bruno Lacoste Badie, directeur expertise et solutions d'indemnisation de Covéa. Ce groupe de mutuelles a traité 500 000 dossiers de bris de glace par an. Les deux tiers sont pris en charge par ses agréés. "Pour un même sinistre, nous constatons un écart moyen de 300 euros sur la facture d'un agréé et d'un non-agréé", souligne-t-il.
Les réparateurs indépendants "sérieux” de vitrage offrent des cadeaux promotionnels "raisonnables et financés sur leur marge". ©Glass Express
La surenchère de cadeaux aurait démarré avec l'apparition de Rapid Pare-Brise en 2013, selon les spécialistes interrogés. Toutefois, le responsable dément que la baisse des prix soit la première motivation des assureurs. "La réalité de notre métier est la recherche d'équilibre entre coûts, qualité de réparation et de service." Le plan d'action de Covea est donc d'informer ses assurés et de leur proposer les services de ses réparateurs partenaires, "tout en respectant le libre choix du réparateur". Le contrôle des réparations a priori et a posteriori se renforce aussi, avec plafond de prise en charge.
Du côté des agréés, on défend la relation avec les assurances et la réduction des coûts de réparation. Ainsi, chez Carglass, leader du marché, on recommande d'abord la réparation plutôt que le remplacement dès que possible. "Notre taux de réparation est d'environ 30 %, contre 10 % sur le marché global. Cela revient 6 fois moins cher que le remplacement", déclare Dominique Cadiou, directeur commercial de Carglass. Le réseau peut aussi s'appuyer sur son maillage de plus de 470 centres pour jouer sur ses volumes d'achat.
"Remettre de l'ordre sur le marché"
Mais au-delà du coût, pour Carglass, la satisfaction du client demeure prioritaire, prônant la meilleure qualité de réparation afin de limiter la volatilité des assurés chez son partenaire. "Notre stratégie repose sur le meilleur rapport coût/qualité de service, avec une facture moyenne de 550 € et un NPS de 87 à 90 %", affirme Dominique Cadiou.
À lire aussi : France Pare-Brise fait sa pub
Covéa évalue précisément les coûts de la réparation et du remplacement de vitrage dans son Technocentre du Cesvi. ©Covea
Chez France Pare-Brise également, on souhaite préserver de bonnes relations avec les apporteurs d'affaires. Et pour cause : le modèle économique de l'enseigne repose presque exclusivement sur les accords avec les assurances (dont la Macif). Pierre-Yves Desjeux, son directeur général, l'assure : "Nos relations avec eux sont bonnes, notre objectif étant que l'expérience client se passe toujours bien, en maintenant leur mobilité (avec des véhicules de prêt) et leur sécurité en recalibrant les Adas dans les règles de l'art." Estimant que "la surenchère dans les cadeaux est à la charge de tous les assurés", il voit donc plutôt d'un "bon œil" l'acquisition réalisée par la Macif qui devrait "remettre de l'ordre sur le marché".
Opinion partagée par Bruno Lacoste Badie, qui juge que "le statu quo n'est plus possible." Et d'ajouter : "Les assurés ne veulent pas voir augmenter leurs cotisations. Nous devons donc trouver des solutions avec les autres assureurs." Il relativise aussi l'acquisition du réseau de réparateurs : "Si Mondial Pare-Brise avait été repris par quelqu'un chassant la rentabilité, ce serait inquiétant… Mais la Macif a des valeurs proches des nôtres."
Notre stratégie repose sur le meilleur rapport coût/qualité de serviceDominique Cadiou, directeur commercial de Carglass
Mais tous les acteurs de marché n'en sont pas convaincus. Samuel Brigantino reste circonspect, voyant dans cette acquisition une offensive contre les indépendants, au regard de la pression sur les assurés observée sur le terrain. "Il serait bon que les compagnies d'assurance soient fermement enjointes par les autorités à respecter la loi. De notre côté, nous n'hésitons pas à aller en justice pour faire valoir nos droits", assure le chef d'entreprise. Ce qui ne l'empêche pas de penser que l'exclusion des réparateurs abusifs doit venir du contrôle de la qualité des réparations et de leur transparence. Une position finalement proche de celle affichée par les agréés.
À lire aussi : Diesel Technic mise sur le vitrage