"Le marché est encore en phase de rémission." Directeur général d'ACR Group (Parts Holding Europe), Nicolas Bencteux a le sens de la formule, et celle-ci résume finalement assez bien la situation. Il y a un an, dans notre précédent panorama des plateformes de distribution de pièces détachées, il était beaucoup question des difficultés du secteur de la rechange.
Au carrefour de multiples soucis, celui-ci faisait alors face à un manque de matières premières (synonyme d'un manque de pièces), à la dérégulation du fret mondial (démultipliant les coûts de transport) et à des difficultés d'approvisionnement (obligeant à trouver de nouveaux référencements). Le constat était d'autant plus amer pour tous les acteurs de l'après-vente que le marché automobile, lui, se portait bien, avec une demande encore en phase de reprise post-Covid plutôt soutenue.
Un an plus tard, tout a changé, mais rien n'a réellement changé. Pourquoi cet oxymore ? Parce que les problématiques relevées en 2021 sont toutes plus ou moins rentrées dans l'ordre, mais que d'autres ont fait leur apparition, une crise chassant l'autre. La question si cruciale des approvisionnements, par exemple, s'est assez nettement améliorée depuis douze mois.
"Ça reste un sujet, mais qui est très variable d'une famille à une autre", note Jean-Christophe Barthelet, directeur général d'Exadis. "C'est toujours compliqué avec certains fournisseurs", poursuit Pierre Rague, directeur général de Pavi Ouest et du groupe éponyme. Serge Falco, patron d'AFP, juge quant à lui que "les bons élèves d'hier sont encore de bons élèves aujourd'hui, et les mauvais sont encore plus mauvais !"
Les taux de service rentrent dans l'ordre
Si la donne a aussi changé, c'est parce que la plupart des plateformes ont su s'adapter. De nombreux acteurs du marché sont ainsi devenus des adeptes du surstockage. Stratégie onéreuse, mais qui permet de compenser les aléas de livraisons également mieux anticipées (4, 5 ou 6 mois à l'avance) et parfois plus massives qu'auparavant. Chemin faisant, les taux de service sont peu ou prou revenus aux meilleurs standards, plusieurs acteurs s'accordant sur 95 ou 96 % de disponibilité, contre 97 ou 98 % en temps normal.
Autre élément, positif de prime abord, le renchérissement des matières premières a logiquement engendré un boom des prix des pièces détachées. Plus chères à acheter, celles-ci sont également plus chères à vendre, ce qui booste le chiffre d'affaires des plateformes. Rares sont les sociétés à présenter des bilans négatifs. De quoi ravir les experts-comptables, mais moins les chefs d'entreprise.
Désormais détenu par Emil Frey France, le groupe Barrault va pouvoir concrétiser le projet de modernisation de sa plateforme de Niort.
Déjà parce que cette hausse quasi généralisée est uniquement mécanique. Tout bon patron aimerait s'enorgueillir d'avoir enregistré une croissance à deux chiffres grâce aux efforts de ses équipes… Dans le cas présent, cette hausse du prix des pièces est aussi à double tranchant. Certes, elle améliore les bilans, mais elle complexifie la politique commerciale.
L'inflation des pièces complexifie la donne
À la question : "Répercutez-vous ces augmentations tarifaires et si oui, de quelles manières ?", les réponses varient. Certains (rares) s'y refusent. D'autres s'y plient. Entre les deux, demeure une zone grise. "Nous, on fait le choix de répercuter, mais pas en totalité, précise Claudie Cahart, à la tête d'ID Rechange. On rogne sur les marges de nos plateformes."
"C'est un sujet très délicat à gérer, estime Philippe Caseau, son homologue chez Cap VI. On est confrontés à des hausses tarifaires, mais surtout à une forte instabilité tarifaire. On subit plus vite que ce qu'on peut relayer au marché." Et Nicolas Bencteux d'étayer : "En réalité, c'est bien là toute la difficulté. On subit des vagues fortes, très aléatoires, avec des explications qui ne sont pas toujours rationnelles."
Pour donner un ordre d'idées, ces inflations varient de 5 % à 25 % selon les familles de produits – freinage, embrayage, distribution et filtration étant les plus touchés. C'est d'autant plus problématique que les clients, en majorité compréhensifs et au fait de la situation, n'en demeurent pas moins en attente de solutions. "Nos clients comprennent ce contexte, mais ils sont comme nous tous. Ils surveillent leurs dépenses", ajoute Philippe Caseau.
"Ils attendent des solutions de la part de leur plateforme et c'est à nous de proposer des positionnements différents avec des gammes plus courtes en termes de taux de couverture et des positionnements prix plus attractifs, sans compromis sur la qualité", expose Jean-Christophe Barthelet. "La clé, c'est de trouver la pièce, note Jean-Luc Picard, à la tête de la plateforme Est Entrepôt. Nous, on achète partout et ça, on le doit à notre indépendance, c'est ce qui nous aide à avoir cette liberté." Raison aussi pour laquelle la plupart des stocks présentés dans notre étude ont augmenté depuis un an.
Des entrepôts chers à alimenter
In fine, tout ce micmac s'apparente plus à un casse-tête qu'à une opportunité. Personne n'est dupe. D'autant que d'autres problématiques pointent le bout de leur nez. 2022 est une année difficile à décrypter avec une appétence pour les montagnes russes, ou les yoyos, selon les goûts et les passions…
Si le premier semestre s'est avéré globalement dynamique, le second a vu s'enchaîner des mois satisfaisants et d'autres décevants, sans réelle logique. La preuve que le marché automobile, dans son ensemble, reste en souffrance. En parallèle, comme toute la société française, le monde de la rechange est touché par d'autres inflations, à commencer par celle de l'énergie. On l'oublierait presque, mais faire fonctionner des entrepôts mesurant plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés coûte cher, très cher.
Plus que le chauffage, c'est surtout l'éclairage, la mécanisation et la recharge des équipements électriques des sites qui s'avèrent particulièrement dispendieux. "Ce qui n'était pas un sujet jusqu'à présent l'est devenu depuis six mois", déplore Nicolas Bencteux. Son confrère de chez Exadis précise qu'à date, "l'inflation sur les produits a été, jusqu'à ce jour, plus forte que celle sur les charges d'exploitation", mais la différence tend à se réduire et l'inquiétude grandit.
Le président de la République, Emmanuel Macron, a confirmé en octobre dernier que les entreprises seraient soutenues pour faire face à la hausse des prix de l'énergie grâce à des mesures, variables en fonction de leur taille, avec une limitation des tarifs de l'électricité et du gaz pour les TPE, et un mécanisme d'amortissement pour les PME.
Alliance Automotive attend First
Malgré ces incertitudes, le marché de la pièce détachée demeure dynamique et ses représentants prouvent, par leurs actes, leurs investissements et leur actualité récente, qu'ils restent pleinement convaincus de sa pertinence. Du côté des leaders, le statu quo prévaut. Provisoirement car, que ce soit chez Alliance Automotive ou chez Parts Holding Europe, une profonde réflexion est enclenchée.
Dans le groupe détenu par GPC, cela se concrétisa en 2023 (a priori en milieu d'année) par l'ouverture d'une nouvelle plateforme en région parisienne. Amené à être le nouveau vaisseau amiral d'Alliance, l'entrepôt First, c'est son nom, prendra ses quartiers à Saint-Fargeau-Ponthierry (77) et regroupera les stocks de l'actuelle plateforme de Sainte-Geneviève-des-Bois (94) et de celle de Saint-Amand Service, à Villebon-sur-Yvette (91). Au total, le site rassemblera 200 000 références sur plusieurs milliers de mètres carrés.
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PHE, lui, dispose déjà d'un outil de ce type avec Logisteo, ce qui ne l'empêche pas de phosphorer. Depuis plusieurs années, le groupe entend perfectionner sa plateforme nationale et optimiser son fonctionnement. Pour gagner de la place, choix a été fait de réorganiser certaines cellules avec des allées plus étroites et le recours à de nouveaux chariots. Face à la flambée du cours du carton, un travail a été engagé pour basculer, avec certains gros clients, sur des bacs consignés.
Logisteo se modernise, Distrigo s'étoffe
Pour gagner du temps et améliorer la productivité, Logisteo va progressivement muter pour, à terme, gérer uniquement des produits mécanisables. Toutes les références gros volumes destinées aux garages ont été déménagées sur le site de Lieusaint. Reste la question de la réception, que PHE aimerait entièrement ou partiellement automatisée, mais trouver des réponses probantes demande encore du temps. Toujours dans la galaxie PHE, chez ACR, maintenant que l'intégration des opérations logistiques de Doyen Auto est terminée, la prochaine étape sera marquée par le déploiement d'un nouveau WMS sur tous les sites. Une initiative loin d'être anodine, qui contribuera à fluidifier la gestion des stocks de tous les entrepôts.
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Autre acteur clé du marché tricolore, Distrigo s'est lui aussi montré actif ces derniers mois. Dans l'Hexagone, le réseau comprend 38 plaques, désormais soutenues par deux niveaux annexes représentés par Distrigo Market – amené à atteindre 150 implantations en 2023 – et Distrigo Relay qui compte une quinzaine de sites. Dans le contexte perturbé du moment, tout l'écosystème Distrigo a également vu sa palette d'outils s'étoffer. Tous les sites peuvent ainsi s'appuyer sur la solution Power Supply qui permet à chaque plaque d'identifier plus facilement des alternatives : dépannage inter-gammes, approvisionnement croisé à l'international, jusqu'à des partenariats spécifiques avec des distributeurs indépendants.
Alternative Autoparts et GPI, flux inversés
Derrière les trois mastodontes de la rechange, les outsiders restent aussi nombreux qu'entreprenants et la bataille pour être "le meilleur des autres" bat son plein. Juste avant Equip Auto, Alternative Autoparts s'est illustré en réalisant assurément l'un des gros coups de l'année 2022. Le groupement, dont les opérations sont désormais dirigées par Marie-Jo Faivre, a en effet convaincu Distri Cash d'intégrer ses rangs.
Ce sont les 6 plateformes de sa filiale dédiée à la pièce détachée, DCA Plateforme, qui quittent GPI et rejoignent Alternative Autoparts, qui compte maintenant 19 entrepôts logistiques. Cet accord prévoit en outre le soutien de Distri Cash aux adhérents du groupement sur la partie pneumatique, activité de plus en plus importante dans les plateformes. Le bonheur des uns ne fait pas forcément le malheur des autres.
Exemple de GPI, justement, qui ne s'étonne pas d'avoir été délesté de 6 plateformes. "On sentait que ça pouvait arriver, nous expliquait en octobre Olivier Maretti, cogérant avec Éric Viot de CDAL et président de GPI. Que ce soit de notre côté ou du côté des autres membres du groupement, on a assez d'expérience pour se rendre compte des choses. Quand depuis six mois, vous n'avez quasiment plus d'échanges avec un collègue…"
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Soutenue par ses fournisseurs, et par ailleurs membres d'Amerigo International, la structure continuera de soutenir les intérêts de ses membres. Elle s'appuie aussi sur d'autres exemples récents pour ne pas s'inquiéter de la suite. "Le nombre ne fait pas forcément la force ni l'attractivité d'un groupement. Apprau a su se réinventer sans PAP, Est Entrepôt n'a jamais été aussi performant que depuis que Jean-Luc Picard a décidé de se mettre en retrait de tout réseau, donc on sait aujourd'hui qu'on peut exister autrement", souligne Olivier Maretti.
Van Heck Interpièces n'en a pas fini
Autre outsider, l'attelage Agra/ Sirius a consolidé ses positions et sa structure depuis un an. Avec l'ouverture de Drop Occitanie, à Toulouse, et l'intégration de PRCO, la plateforme du groupe Tic devenue Drop Aquitaine, à Angoulême, le groupement a bouclé sa couverture nationale. Les court et moyen termes seront marqués par un changement de DMS et de WMS, une accélération, là encore, en pneumatique grâce à des accords noués avec les fabricants Hankook et Kumho ainsi que le distributeur Dipropneu, et une redéfinition des gammes (certaines familles comptant 5 voire 6 cartes…) pour gagner en efficacité.
Après avoir ouvert trois personnes en moins d'un an, Van Heck Interpièces a été l'un des grands animateurs du marché ces derniers mois.
Parlons à présent de Van Heck Interpièces qui, lui, n'a pas encore terminé son "tour de France". Longtemps en sommeil dans l'Hexagone, la structure batave s'est implantée à Toulouse fin 2021, en région parisienne au printemps 2022 et à Nantes durant l'été. Situé à proximité des axes routiers et d'un important pôle d'activité, ce dernier site peut couvrir efficacement (H+3) un rayon de 200 km autour de la région nantaise. S'étendant sur une superficie de 3200 m², il dispose d'un stock de 45 000 références. L'appétit vient en mangeant, et comme Van Heck n'est pas rassasié, il y a fort à parier que d'autres développements, notamment dans le Sud-Est, se concrétiseront sous peu.
Chez ID Rechange, l'heure n'est pas aux grandes manœuvres. Il n'empêche, comme ailleurs, on cherche à pousser les murs. Raison pour laquelle la plupart du réseau va faire l'objet de travaux d'agrandissement. Une démarche initiée à Toulouse puis à Carpentras. En parallèle, les outils informatiques vont être uniformisés au premier trimestre 2023.
Les ex-Laurent se portent bien
Stratégie similaire chez Exadis. Depuis son rachat en 2019 par Renault et Mobivia, l'ex-filiale du groupe Laurent s'est remise en ordre de marche. Portée par une croissance de 26 % sur le dernier exercice (le CA 2022 devrait s'élever à 90 millions d'euros), elle a agrandi son site principal de Saint-Priest (69), permettant d'y ajouter la bagatelle de 25 000 références. Un déménagement des sites de Lille et Marseille est également espéré. Enfin, un changement d'ERP est dans les tuyaux.
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Lui aussi autrefois membre de la galaxie Laurent, Cap VI est aujourd'hui soutenu par Bremsen Technik et suit la même trajectoire. Son activité est au plus haut et le déménagement de sa plateforme lilloise, au premier trimestre 2022, a porté cette dynamique. En 2023, l'attention se portera sur une mise à jour du catalogue électronique. Un sujet très important, Philippe Caseau faisant une priorité de l'accès aux pièces.
Au rayon des indépendants de la première heure, revenons sur Apprau. Citée en exemple par certains confrères, la structure a reçu l'an dernier le Prix de la Stratégie lors des Grands Prix de la Rechange organisés par le J2R. Une juste récompense pour un groupement qui a su redéfinir ses priorités et s'adapter pour demeurer cet acteur indéfinissable et pourtant si crucial de la rechange tricolore. À noter qu'à Nantes, l'agrandissement d'Adipa évoqué en 2021 est finalisé depuis septembre. Les flux entrants et sortants de la plateforme sont dissociés grâce à l'aménagement de 1 000 m² en plus, portant à 6 000 m² la surface totale du site.
Barrault et Flauraud, les deux font l'affaire
Pour finir, le cas du groupe Barrault. En pleine lumière ces dernières semaines, le distributeur des Deux-Sèvres a été repris avec la société MGA par Emil Frey France, poids lourd de la distribution automobile et propriétaire de Flauraud. Une bonne affaire pour ce dernier, Barrault comptant 52 magasins pour un CA 2022 espéré à 57 millions d'euros, ainsi que pour le distributeur, qui va profiter de nouveaux moyens.
La modernisation de sa plateforme de Niort (79), en gestation, devrait s'accélérer, tout comme le développement de son maillage. Concentré sur la façade ouest et le quart sud-est, celui-ci devrait logiquement s'agrandir. Si une fusion entre Barrault et Flauraud est exclue par la direction d'Emil Frey France, des synergies entre les deux entités vont progressivement se mettre en place. De quoi soutenir la logistique du premier en Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
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Si des incertitudes demeurent, le monde des plateformes continue d'avancer et de se réinventer, pour ne jamais dire non et rester dans le jeu. Le secteur a déjà prouvé sa résilience, ce que les prochains mois devraient encore confirmer. Rendez-vous donc dans un an pour un panorama qui s'annonce aussi riche qu'instructif.