La recherche de personnel qualifié est un thème récurrent dans les conversations des garagistes et des carrossiers. Ce sujet n'est pas nouveau, mais le problème semble s'aggraver depuis la sortie de la crise Covid. Certains salariés ont changé de vie, augmentant une pénurie de main-d'œuvre déjà complexe à gérer dans les ateliers. Concessionnaires, garagistes indépendants, carrossiers et autres spécialistes des services automobiles sont touchés, et y répondent avec plus ou moins de bonheur.
"Nous ne sommes pas les seuls professionnels concernés, mais les métiers de la carrosserie et de la mécanique sont clairement en tension. Quasiment tous nos adhérents en parlent", rapporte Fabien Guimard, directeur des réseaux de réparation Autodistribution. Néanmoins, en y regardant de plus près, l'ampleur réelle du problème reste difficile à cerner. Le réseau Axial a mené une enquête interne pour évaluer l'étendue de cette pénurie chez ses adhérents.
Résultat : "Certains chefs d'entreprise ont le sentiment d'avoir besoin de main-d'œuvre lors de l'état des lieux. Mais beaucoup ne le quantifient pas réellement lorsqu'on leur demande d'être plus précis", témoigne Adeline Bourdon, présidente d'Axial. "Environ la moitié de nos adhérents affirme rencontrer des problèmes de main-d'œuvre. Nous estimons que le réseau manque d'environ une centaine de techniciens d'atelier."
21 000 postes à pourvoir
À côté de ces spécialistes, on manque aussi de personnels administratifs. S'ils paraissent moins difficiles à former, leur absence pénalise également les réparateurs – notamment les carrossiers. Car "il est très compliqué de former des assistants, alors qu'on voit beaucoup de burn-out dans cette spécialité. De notre côté, peut-être que nous ne les accompagnons pas suffisamment, reconnaît Adeline Bourdon. La pression sur leurs épaules est énorme. Ils doivent maîtriser de multiples procédures, différentes selon les donneurs d'ordres. Ils doivent aussi gérer le téléphone et un nombre croissant de mails. Et depuis la crise Covid, les clients sont plus impatients."
La moitié de nos adhérents affirme rencontrer des problèmes de main-d'œuvretémoigne Adeline Bourdon, présidente d'Axial
Le sujet est suffisamment important pour pousser Axial à en faire l'un de ses chantiers en 2025. Côté techniciens, l'Observatoire de l'ANFA (Association nationale pour la formation automobile) estime que la filière entretien-réparation subirait un déficit de plus de 21 000 postes en 2024 – contre 11 400 en 2017. Plus précisément, il manquerait 6 734 mécaniciens VP, 2 600 carrossiers et 2 300 mécaniciens VI.
Ces postes resteraient vacants alors même que les offres d'emploi de la filière ont augmenté de 1,8 % en 2023 – soit 6 900 salariés en plus. De plus, ces professions de la réparation-maintenance sont celles qui recrutent le plus au sein de la branche des services automobiles. Une tendance logique au regard du vieillissement du parc automobile, dont l'âge moyen atteint 10,9 ans. Si l'avènement du véhicule électrique devrait entraîner une baisse des effectifs dans les ateliers, cette perspective demeure très lointaine.
Quelles sont les causes de ce déficit de réparateurs ? Chacun s'accorde pour dire qu'elles sont multiples. D'abord, les effectifs sortant des formations professionnelles restent insuffisants pour répondre aux besoins des entreprises. L'idéologie dominante teintée de "car-bashing" pénalise clairement la filière, et l'automobile attire moins de vocations.
Par ailleurs, la dévalorisation des métiers manuels détourne les meilleurs élèves des carrières de la réparation. Tandis que d'autres, en échec scolaire et démotivés, sont poussés vers la filière. Ainsi, l'ANFA indique qu'en 2023, 46 % des jeunes inscrits en bac pro carrosserie n'avaient pas placé cette formation en premier choix.
Investir l'apprentissage
Autre cause : la perte de vitesse de l'apprentissage dans les entreprises ces dernières années. Les professionnels fustigent souvent l'Éducation nationale et la mauvaise formation des jeunes. Mais pendant quelques années, nombre d'entre eux se sont aussi désengagés de l'apprentissage. Pris entre l'investissement dans leur entreprise et des jeunes qu'ils peinent parfois à comprendre et à former, ils y ont renoncé dans certains cas.
Mais aujourd'hui, leurs réseaux et syndicats professionnels les poussent à s'y consacrer, tandis que l'urgence de la situation incite bien des réparateurs à reprendre des apprentis. L'enseignement professionnel a ainsi connu un sursaut bienvenu en 2023. En effet, la formation initiale aux métiers des services automobiles a vu ses effectifs augmenter de 4 % (71 282 lycéens et apprentis) par rapport à l'année précédente – soit 2 750 de plus qu'en 2022.
Certains réparateurs s'en sortent particulièrement bien. Par exemple, "un carrossier AD a nommé un tuteur dans son atelier, spécialement chargé d'encadrer et d'accompagner ses apprentis. Ce système fonctionne très bien", se félicite Catherine Duyck, directrice d'AD Carrosserie.
Pour promouvoir l'apprentissage, le réseau au triangle rouge a signé un partenariat avec le Garac depuis trois ans. Celui-ci fournit des promotions de 18 apprentis (mécaniciens et carrossiers) aux ateliers des adhérents d'Île-de-France. "Ce partenariat est concluant. Nous allons le démultiplier auprès des CFA à travers les régions", annonce Fabien Guimard.
De son côté, Axial a déjà noué des relations semblables avec certains CFA. "Dans le domaine technique, nous mettons en place des synergies entre carrossiers et professeurs de technique", explique Adeline Bourdon. Les uns et les autres s'accordent sur les savoir-faire à acquérir pour les besoins de l'entreprise… Encourageantes pour l'avenir, ces initiatives restent cependant insuffisantes pour résoudre la pénurie qui impacte aujourd'hui les ateliers et les automobilistes.
Mises à niveau pénalisées
Ce manque de productifs bride d'abord la capacité d'absorption des chantiers de maintenance et réparation. "Si les délais de réparation s'allongent en raison de la pénurie, les clients peuvent être moins enclins à utiliser les services de l'atelier et à le recommander à d'autres, ce qui peut avoir un impact négatif sur la réputation de l'entreprise", analyse Maelle Dosias, responsable RH du groupe concessionnaire Hamecher, en Occitanie. Les clients des carrossiers Axial doivent ainsi attendre en moyenne deux mois avant la prise en charge de leur véhicule.
Cet allongement de délai est proche de celui de leurs homologues et garagistes du réseau AD. "Il existe des disparités régionales, et les mécaniciens sont un peu moins touchés que les carrossiers. Mais le planning des carrosseries s'est rallongé de six à dix semaines, quand celui des garages indépendants oscille entre trois semaines et un mois, alors que les délais de rendez-vous chez les concessionnaires varient entre six et huit semaines", constate Fabien Guimard.
Le responsable précise que les postes les plus techniques sont aussi les plus recherchés. Ainsi, les ateliers manquent de mécaniciens experts et de techniciens (notamment spécialistes du diagnostic et du PassThru), ainsi que de chefs d'équipe, tôliers, peintres, etc.
Depuis longtemps, le statut d'autoentrepreneur (ou de journalier) est courant chez les dégrêleurs. La pénurie de techniciens le favorise chez les mécaniciens et carrossiers traditionnels. ©J2R/NG
Ces sous-effectifs en atelier entraînent un autre effet pervers préoccupant, formulé par Catherine Duyck : "Le problème de la formation et de la montée en compétence des techniciens". Faute d'effectifs suffisants, les réparateurs retardent la formation continue de leurs salariés. D'autres la refusent par peur de voir partir chez des concurrents leurs salariés nouvellement formés…
Dans tous les cas, "cela pose un réel problème, car les carrossiers doivent développer et mettre à jour de nouvelles compétences comme la maîtrise du recalibrage des Adas et le PassThru. Cela leur évite de sous-traiter ces opérations et leur apporte de la valeur ajoutée", rappelle la responsable.
Le manque de techniciens a également une conséquence très sensible pour les ateliers : la hausse globale des salaires. Pour conserver leurs salariés, les réparateurs sont parfois obligés de les augmenter. Peintres et mécaniciens spécialisés confirmés peuvent ainsi allègrement dépasser les 3 000 euros de salaire net dans certaines agglomérations. Les chefs d'entreprise peuvent aussi être poussés à leur accorder de nouveaux avantages : tickets restaurant, véhicule de fonction, etc. D'autres attirent les techniciens en utilisant des arguments semblables. Le concessionnaire Hamecher fait même appel à des chasseurs de têtes pour débaucher chez ses concurrents les techniciens dont il a besoin.
"Nous contactons des profils parfois absents des réseaux sociaux", explique Gaëlle Philippe, cheffe d'équipe Headhunting Factory. Ensuite, elle évite de leur proposer des hausses salariales. "Nous mettons plutôt en avant les avantages offerts par nos clients, comme le rapprochement de leur domicile, leurs perspectives d'évolution ou des formations." Ce service efficace est toutefois coûteux. L'une de ses formules comprend un forfait mensuel de 5 850 euros pour rechercher deux profils pendant six mois… D'autres font appel à des auto-entrepreneurs pour répondre à leurs besoins immédiats, notamment via des plateformes comme Mon Spécialiste Auto ou Relief Team.
Moins durable, cette solution a l'avantage d'être moins coûteuse que l'intérim. "Nous travaillons avec un partenaire recourant notamment à de la main-d'œuvre espagnole et portugaise, explique Adeline Bourdon. Ceux-ci ont plutôt un profil de tâcherons et sont assez mobiles. Mais ce partenariat peut aussi déboucher sur des CDD ou des CDI. Environ une vingtaine d'entre eux ont déjà été placés dans le réseau."
La RSE, un levier pour fidéliser son équipe
Malgré tout, dans ce contexte compliqué, certains réparateurs ne connaissent pas la pénurie. C'est le cas du concessionnaire Rodolphe Touquet au Havre (76). Sa carrosserie dernier cri, dotée de postes de travail ergonomiques et d'une organisation optimisée, attire.
"Entre la réputation de mon entreprise et les conditions de travail, les candidats viennent d'eux-mêmes pour postuler. Dernièrement, j'ai recruté un excellent peintre qui travaillait depuis trente ans chez un carrossier", explique-t-il. Ce dirigeant soucieux des conditions de travail de ses employés a réorganisé son activité autour de la semaine de quatre jours.
Sa carrosserie ne rencontre aucun problème pour recruter, afin de monter en puissance… C'est là l'un des rares effets positifs de la pénurie de main-d'œuvre. Cette crise favorise et encourage les ateliers orientés vers la RSE (responsabilité sociale et environnementale). A contrario, son aspect le plus sombre, associé à l'inflation et au remboursement du PGE, reste la disparition des entreprises les plus faibles. Adeline Bourdon constate que "lorsqu'une entreprise est en mauvaise santé, généralement les salariés anticipent et partent d'eux-mêmes. Les bons techniciens se retrouvent rarement sans emploi."
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La réparation en chiffres
560 000 salariés et indépendants actifs dans les services automobiles en 2023
140 750 salariés employés en réparation automobile
65 887 entreprises dédiées à la réparation automobile
96 % des entreprises emploient moins de 11 salariés